L’illustration du singe qui se redresse par étapes pour atteindre progressivement la station verticale est bien connue. Elle permet de saisir en un clin d’œil la thèse de Darwin sur l’évolution qui mène à l’homme.
Le seuil entre le singe et l’homme n’était pas uniquement biologique. On a découvert que bien après l’émergence de l’allure humaine, le décollage ne s’est effectué qu’après des milliers d’années. Les êtres humains furent pendant des siècles « biologiquement des hommes qui ne vivent pas encore comme des hommes » selon l’expression du sociologue Jean-Claude Kaufmann.
Tant que les humains, faute de moyens extériorisés et bien bâtis, ne pouvaient recourir qu’à leur psychisme individuel, leurs apprentissages ne pouvaient pas s’inscrire dans la durée. Le continuum animal-humain fut par conséquent bien difficile à rompre. À mesure que des embryons d’outils furent façonnés se constitua un appareillage extériorisé, des éléments marqués en tant qu’objets, plus stables que les impressions individuelles. Ils reposaient devant soi en tant qu’objets et ils n’avaient pas à être renouvelés de génération en génération.
Moralité ? Ne comptez pas trop sur une psychoculture fondée sur les psychismes individuels pour faire avancer une cause. Donnez-vous comme base des outils, des institutions qui seront comme une mémoire extériorisée. La prise de conscience autant individuelle que collective suivra.
Quand des indépendantistes s’interdisent de construire sur de nouvelles bases « intrafédérales » ils se condamnent à attendre l’émergence d’un cogito politique avant d’agir. Ils oublient que l’homme évoluent d’après les moyens extérieurs qu’ils se donnent, des moyens forcément enracinés dans le milieu présent, et que des outils plus évolués en remplacent progressivement d’autres. Avant d’avoir une hache, il a fallu d’abord que des bifaces en amande remplace les galets taillés.
Certains diront qu’une république québécoise intrafédérale ou une Constitution affirmant les droits souverains de notre peuple ne nous dotera en fait d’aucun levier politique. Au contraire. Ils font davantage de l’Etat québécois sa propre référence et assoient davantage son espace politique.
Beaucoup d’indépendantistes sont obsédés par l’idée de travailler « pour de vrai » en faveur de l’indépendance. Ils se mettent à rêver d’un opérateur magique qui nous fera sortir du système. Pour masquer le vide explicatif du passage à un Etat indépendantiste, ils font des colloques sur un vrai parti indépendantiste qui n’usera que de moyens intrinsèquement indépendantistes dissocié de la sphère intrafédérale.
Quand on propose de doter le Québec de nouveaux contreforts institutionnels en usant notamment, [comme le propose André Binette->12543], du renvoi sur la sécession, eux dénoncent le légitimisme, la collusion avec le système. Pour eux, il ne revient pas aux indépendantistes de réfléchir à propos d’un dépassement d’un statut inféodé à l’état provincial au sein du Canada. On ne devrait rien faire émerger qui soit en deçà de la cause et s’en tenir à notre rôle strictement.
Donc, selon eux toujours, pas d’outils intrafédéraux, pas d’apparition progressive marquée par des étapes; ils en ont soupé de cela. Non, ce qu’il faudrait, à leurs yeux, ce serait articuler une représentation juste de notre condition comme province d’une autre nation puis instituer des tribuns, porteurs de cette vision, de vrais indépendantistes habités du charisme. Allergiques à l’étapisme, au référendisme, ils veulent d’une indépendance qui s’imposent soudainement. Ils veulent d’un calendrier qui brusquera la sortie du système sans induire quelque attente, sans souffrir de la moindre collusion, même apparente, au système fédéral.
Ils en sont réduits à condamner les acteurs présents, pas assez contagieux à leur goût, manquant de la force de conviction nécessaire. Il y a plusieurs problèmes inhérents à leur approche. D’abord ils voient l’indépendantisme comme une spécialisation. Ce sont les autonomistes qui ont le droit de défendre les préalables, l’idée d’affirmation du Québec comme résultat d’un processus à l’intérieur du Canada.
Les indépendantistes, eux, pour respecter les termes de leur spécialisation, ne doivent pas envoyer de messages croisés. L’émergence du Québec comme nation ne devrait pas se montrer entachée de déférences particulières au régime fédéral. À force de pointer les risques d’hésitations et les ambiguïtés, ces indépendantistes ne veulent plus qu’agir à partir d’une sphère indépendantiste hors de la légitimité canadienne.
Il a fallu au cours des années les voix de Lisée, Claude Morin, Gilbert Paquette et André Binette pour marquer la nécessité de s’ancrer dans un cadre réel. Le mouvement indépendantiste n’est pas un théorème qui découle de la pureté des principes. Son but n’est pas d’instituer un pouvoir pastoral qui combattra avec des outils sans tache.
Le mouvement indépendantiste est un combat politique qui doit composer avec les tendances lourdes de la société québécoise. Si le mouvement indépendantiste québécois doit restructurer l’espace politique de la nation québécoise avant de penser au décollage, que ce mouvement cesse de rêver d’un cogito indépendantiste épuré qui le dispenserait d’assumer ses responsabilités présentes telles qu’elles se révèlent, là, maintenant, dans l’ordre du possible.
En rêvant d’une pensée indépendantiste qui ne sera tributaire que des institutions du Québec indépendant, en rêvant de citoyens québécois dont la pensée rationnelle se fondrait sur le fait social québécois, les indépendantistes ne verraient que le haut de la pyramide. Ils oublieraient que toute évolution de l’opinion publique reste impliquée dans sa base par son rapport aux institutions actuelles, intrafédérales, qui, elles, opèrent vraiment sur la mémoire sociale.
Se mettre d’accord pour que le Québec cesse d’être une province, ce serait un élément réel, lequel aiderait à faire glisser le consensus québécois qui ne décide plus rien pour le moment, pris qu’il est entre le statu quo et l’indépendance. En réunissant des exigences nationales qui récoltent le plus d’appuis possibles, on contribuera à inscrire le fait national québécois dans des infrastructures nationales.
Sinon, il ne restera plus au mouvement indépendantistes que de peaufiner des outils extra-fédéraux qu’il mettra sur papier. Ensuite, pour assurer la puissance de la pensée indépendantiste, on n’aura plus qu’à fonder une académie indépendantiste où on s’interdira mutuellement toute étape impliquant trop de collusions passagères avec le système fédéral.
Des indépendantistes seront bien contents de voir le mouvement dégagé de l’espace intra fédéral. Pour poser sérieusement et correctement le problème québécois, ils rêveront de Québécois émancipés du système fédéral, individus autonomes, pourvus d’une rationalité sans faille, enfin aptes à trancher la question.
André Savard
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3 commentaires
Raymond Poulin Répondre
6 avril 2008À ce que je vois par le commentaire de M. Daviau, l'ironie, c'est comme l'alcool: certains ne portent pas ça. L'agélastie a encore de beaux jours devant elle.
Pierre Daviau Répondre
5 avril 2008La référence au singe permet de d’affirmer ce constat : bien que faisant parti de la race humaine, certains n’ont pas atteint la position debout. En effet, ils se complaisent dans les diversions politiques enfantines croyant faire œuvre utile. Ils se gorgent d’illusions et leurs élucubrations savantes anesthésient le peu de sens critique qu’ils pourraient posséder.
Académie de l’indépendance ou pas, il n’est nullement questions de spécialisation ou d’imposer quoi que ce soit. Quiconque est investi d’un peu d’humilité et d’un esprit d’ouverture aura compris qu’il s’agit plutôt d’enseigner l’indépendance nationale aux Québécois. Et qui dit enseignement, dit aussi enrichir les connaissances. Donc, les académiciens et tous les indépendantistes convaincus s’adressent à l’intelligence des citoyens et se gardent bien d’exploiter leur naïveté. Vous devriez donc reconnaître que les académiciens et les indépendantistes convaincus possèdent un niveau élevé d’intégrité et d’honnêteté intellectuelles.
Votre texte débutant par les singes, je terminerai par les gorilles. Semant la diversion, vivant dans l’illusion, vos élucubrations n’atteignent pas le niveau de subtilité du gorille.
Pierre Daviau
Québec
Le 5 avril 2008.
Archives de Vigile Répondre
1 avril 2008Les singes de mon cartier se sont depuis longtemps redressés, il ne leur reste plus qu'à s'unir pour entreprendre le combat final lequel débouchera sur notre affranchissement de la tutelle fédérale aliénante. Ensemble nous sommes les plus forts! Unis, nous vaincrons, j'en ai la profonde et intime conviction. Au lieu de nous diviser, formons un seul bloc solidaire.