Le négationniste de la langue

Anglicisation du Québec

Quand Alain Dubuc a publié son texte Les angoissés de la langue->26895] le 9 avril dernier, dans La Presse à Power Corporation, j’y ai lu un tel concentré de préjugés et de faussetés que je n’ai pas cru devoir y répondre. Et puis – il faut le dire – [j’étais également très pris par la préparation du rassemblement pour le français, ayant lieu deux jours plus tard. Une anecdote m’a fait changé d’idée et donner le goût de détruire, point par point, le tissu de mensonges publié en réponse à l’étude de Pierre Curzi.


Ainsi, une personne me contait qu’elle avait épinglé un article parlant du recul du français sur le babillard de son entreprise. Le lendemain, comme toute réponse, on avait mis le texte de Dubuc par-dessus, comme s’il s’agissait d’une réfutation en règle. Voilà la force de la crédibilité d’un média de masse.
Or, Dubuc ne mérite pas cette crédibilité. Les principaux arguments de son texte, que je reprends un par un, sont tous au mieux trompeurs, au pire l’oeuvre d’un travail journalistique bâclé.
Les arguments d’Alain Dubuc:
1) La peur du recul du français provient des chiffres de la langue maternelle, qui est passée sous le 50% à Montréal et le 80% au Québec.
Par un habile amalgame, Dubuc reprend l’argument courant consistant à voir dans le simple recul de la langue maternelle un recul généralisé du français, alors que les études de Curzi et de la plupart des démographes crédibles se concentrent bien davantage sur la langue d’usage. Il devient facile ensuite pour Dubuc d’invalider l’idée que le français régresse en statuant que la langue maternelle ne constitue pas un bon indicateur, car elle ne permet pas de bien constater la hausse des langues tierces.
Évidemment que le recul de la langue maternelle ne permet pas de jauger de la situation! Le problème, c’est précisément qu’il ne s’agit que d’une fraction des signaux permettant de constater le déclin du français. En cherchant à en faire un argument central de ceux qui s’inquiètent légitimement du recul de notre langue commune, Dubuc crée un argument faible et s’assure ensuite de mieux le détruire.
Très malhonnête comme méthode.
2) La cause de l’anglicisation de Montréal n’est pas linguistique; ce sont les francophones qui déménagent vers les banlieues.
L’exode des francophones vers les banlieues comme cause de l’anglicisation de Montréal est un mythe. Montréal ne devient pas anglaise parce que les banlieues, gonflées par des francophones délaissant la ville-centre, se francisent.
En fait, l’ensemble des banlieues montréalaises subit une baisse du français presque aussi rapide que la ville de Montréal elle-même. Entre 2001 et 2006, le recul pour Montréal était de l’ordre de -2.4%, alors qu’il était de -2% pour l’ensemble des banlieues rapprochées.
La cause de l’anglicisation de Montréal EST donc linguistique, contrairement à ce qu’affirme Dubuc.
3) Le calcul de la différence entre l’attraction de la langue française et de la langue anglaise est trop « alambiqué pour être pris au sérieux ».
Quand les chiffres démontrent qu’on a tort, on lance la calculette au loin et on affirme qu’ils ne veulent rien dire.
Ce que n’aime pas Dubuc, [c’est l’utilisation de l’Indice de vitalité linguistique (IVL) par Curzi->23342], pour démontrer la différence d’attrait entre les deux langues. Cet indice – rappelons-le – mesure, en divisant le nombre de locuteurs d’usage par ceux de langue maternelle, le degré d’attrait d’une langue par rapport à une autre.
Il ne s’agit nullement d’une formule « alambiquée » ou d’une lubie de statisticien: l’IVL permet de voir clairement si une langue maternelle est capable de devenir une langue d’usage, c’est-à-dire si un enfant dont les premiers mots sont en français risque de parler le français à la maison à n’importe quel moment de sa vie ou s’il ne risque pas de perdre sa langue et de s’angliciser. Le chiffre 1 constitue le seuil de renouvellement permettant à une langue de se renouveler.
Ce que démontrent les statistiques, simplement, c’est que l’IVL de l’anglais à Montréal est de 1.43, contre seulement 1.09 pour le français, ce qui signifie que l’anglais est presque cinq fois plus attractif que le français. Ce n’est pas plus complexe que cela, et si Alain Dubuc avait le début du commencement d’une bonne foi, il le reconnaîtrait lui-même.
4) L’étude ne fait pas de distinction entre la langue d’usage et la langue publique.
L’étude ne fait pas cette distinction, car cette distinction n’est pas importante. L’indice de la langue publique existe, et il a été littéralement haché en morceaux et enterré par le statisticien et démographe Charles Castonguay. Au-delà des problématiques méthodologiques reliées à cet indice (il est presque impossible à calculer), celui-ci est… purement inutile.
En effet, il est de peu d’utilité de savoir quelle langue parle un anglophone en-dehors de son domicile; ce qui compte, c’est l’attachement véritable à une langue, c’est-à-dire de savoir quelle est la langue dans laquelle « vit » un individu. Par exemple, il est possible pour un individu de parler anglais à la maison, de baragouiner le français en public, mais l’impact, la trace laissée par cet individu dans la société, sera résolument anglaise, puisque son monde, sa vision des choses, les médias qu’il écoute, ce qu’il lit, ce qu’il écrit, tout se fera en anglais.
La langue d’usage, en intégrant la langue publique, constitue donc un indice beaucoup plus complet et fiable sur l’attachement réel à une langue ou à une autre.
5) Les chiffres de 2006 ne reflètent pas l’attraction de l’anglais aujourd’hui, mais des choix faits souvent avant la loi 101.
Je crois qu’on atteint de nouveaux sommets avec cette affirmation. Qu’on comprenne bien Alain Dubuc dans toute sa « grandeur »: les immigrants récents choisissent davantage le français, donc ce que nous voyons aujourd’hui ne serait qu’un aperçu de ce qui se faisait avant.
Cette affirmation ne fait pas le moindre sens d’un point de vue de la logique. Si les immigrants choisissaient de plus en plus le français, comment se fait-il que le français régresse? Si nous sommes tributaires des choix d’il y a trente-cinq ans, pourquoi les études ont-elles souligné une amélioration rapide de la situation linguistique après l’adoption de la loi 101, et un recul sensible depuis au moins une décennie? Pourquoi – soudainement – serions-nous en train de subir une situation vieille de plusieurs décennies alors qu’il était possible, dans les années 1980, de mesurer les gains concrets issus de la loi 101?
6) Parler de l’île de Montréal sans regarder l’ensemble de la région métropolitaine est « parfaitement arbitraire ».
Dubuc trouve injuste qu’on inclut Pointe-Claire dans les données de Montréal, par exemple, mais non Longueuil. Laissez-moi redonner la justice à ce brave éditorialiste. Les chiffres, je les ai calculés: entre 2001 et 2006, Pointe-Claire a perdu -1% d’anglophones et -2% de francophones pendant que Longueuil « gagnait » 5% d’anglophones et perdait -3% de francophones. Oui, vous avez bien lu: Longueuil s’anglicise plus rapidement que Pointe-Claire.
Et si on prend l’ensemble de la région métropolitaine (Montréal, Laval et les couronnes nord et sud), la croissance totale des locuteurs de langue d’usage anglaise atteint 6%, contre seulement 1% pour le français!
Arbitraire ou non, l’anglais progresse partout!
* * *
On le constate, on a raison d’être angoissés du recul du français. Celui-ci est généralisé et bien réel.
Quand Dubuc conclut son torchon en écrivant « le français n’est pas menacé », s’appuyant sur ses faux-arguments, il met simplement des lunettes roses à une personne à qui il vient de crever les deux yeux.
Contre les préjugés et les mensonges, qui aura maintenant le courage de déclarer publiquement que le négationniste de la langue Dubuc, de même que le journal pour lequel il écrit, n’ont plus la moindre crédibilité? À une époque où Power Corporation et sa Presse sont en guerre ouverte contre tout renforcement de la loi 101, voilà des faits qu’il ne faudra pas oublier…


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