Il y a 50 ans, le Québec à Paris - 1/3

Le premier diplomate québécois

Dès 1882, le premier représentant du Québec à Paris applique la doctrine Gérin-Lajoie... 83 ans avant la lettre!

Il y a 50 ans, le Québec à Paris


La façade de la Délégation du Québec à Paris, au 66 de la rue Pergolèse.

Photo : Agence France-Presse Martin Bureau

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Le 5 octobre, la Délégation générale du Québec à Paris aura cinquante ans. Première représentation du Québec moderne à l'étranger, cette délégation est aussi la seule qui ait un statut diplomatique. C'est l'occasion de rappeler quelques moments forts de l'histoire de la jeune diplomatie québécoise et comment elle a tracé son chemin à travers le temps. Premier texte d'une série de trois.

Paris — Dans l'ancien cimetière de Boulogne-Billancourt, la pierre tombale d'Hector Fabre s'élève au milieu de celles de ses voisins qui appartenaient pour la plupart à la petite bourgeoisie locale. Sur la stèle, on peut lire qu'ici repose le premier «commissaire général du Canada en France». C'est probablement son successeur, Louis-Philippe Roy, qui a fait graver l'inscription. Celui-ci a cependant oublié de mentionner qu'avant d'être commissaire du Canada à Paris, Hector Fabre fut d'abord commissaire du Québec. Bref, le premier diplomate québécois.
Longtemps avant l'ouverture d'une délégation générale, par Jean Lesage, en 1961, le gouvernement de Joseph-Adolphe Chapleau éprouvait le besoin d'avoir un représentant à Paris. Le Plan Nord de l'époque se nommait la colonisation. Or, celle-ci avait besoin de cultivateurs français, belges et flamands. Les premiers ministres du temps allaient régulièrement négocier des emprunts en France. Le Crédit foncier franco-canadien venait d'ailleurs d'être créé à Paris. Bref, après l'arrivée à Québec du premier navire français depuis la Conquête, La Capricieuse, les échanges entre la France et le Québec étaient en pleine croissance.
Fait étrange pour les contemporains, quelques mois après sa nomination, Hector Fabre sera aussi nommé commissaire du Canada. C'est même le premier ministre Chapleau lui-même qui convainc Ottawa de faire appel à ses services, ce qui permettra notamment de partager les frais d'un représentant à Paris. Quand on connaît les batailles diplomatiques qui ont opposé Québec à Ottawa ces cinquante dernières années, ce double mandat que Fabre conservera jusqu'à sa mort, en 1910, apparaît surréaliste.
«Il faut savoir qu'à cette époque, le Canada ne contrôle pas plus sa politique étrangère que le Québec, explique le politologue Denis Monière. À partir de 1910, le Canada [qui n'aura la véritable maîtrise de ses Affaires étrangères que dans les années 1930] cherchera d'ailleurs à agir à l'étranger dans ses domaines de compétences. Exactement comme le Québec tentera de le faire lui aussi dans les années 60.»
Ce n'est qu'après 1910 et la nomination du successeur d'Hector Fabre que le Canada commencera à se montrer jaloux de ses prérogatives à l'étranger. Ottawa refusera donc que le nouveau commissaire, Louis-Philippe Roy, continue à représenter le Québec. Pourtant, Québec fait exactement la même chose qu'Ottawa. Il est significatif que le mandat du tout premier représentant du Québec à l'étranger précise que celui-ci est «le représentant attitré du gouvernement de Québec pour toutes les négociations qui ressortent des attributions de la province». Bref, le Québec estime déjà qu'il peut agir comme il l'entend à l'étranger dans ses domaines de compétences. Quinze ans après la création de la fédération canadienne et quatre-vingt-trois ans avant la doctrine Gérin-Lajoie, c'est presque mot pour mot ce que dira le 12 avril 1965 dans son célèbre discours le ministre libéral Paul Gérin-Lajoie pour défendre, cette fois, les prérogatives du Québec par rapport à Ottawa.
Sauf qu'en 1882, le «Dominion of Canada» n'est pas plus indépendant que la «Province of Québec». Peu importe que Fabre représente Québec ou Ottawa, l'ambassadeur britannique en France boudera la jeune diplomatie canado-québécoise. Il faudra d'ailleurs l'intervention personnelle de la princesse Louise, fille de la reine Victoria, pour que l'ambassadeur de la Grande-Bretagne, Lord Lytton, accepte de recevoir Hector Fabre.
Une personnalité ambiguë
Mais il y a longtemps qu'Hector Fabre a appris à naviguer en eaux troubles. Ce fils d'un compagnon de Louis-Joseph Papineau, le libraire Édouard-Raymond Fabre, traverse une époque difficile qui suit la répression sauvage des insurrections de 1837-1838. Journaliste, il a dirigé la mutinerie au sein de l'Institut canadien (un bastion libéral) et est passé, comme il l'écrira lui-même, «du rouge pâle au bleu tendre».
«Ce sera toujours un personnage difficile à saisir, dit l'historien Yvan Lamonde. C'est quelqu'un qui cherche difficilement sa voie dans une époque très difficile. Il navigue entre les libéraux et les réformistes. Républicain, il reste partisan de l'annexion aux États-Unis, mais taira souvent ses convictions. En même temps, pour lui le nationalisme canadien-français est indissociable de la religion. Un paradoxe pour un annexionniste.»
Très critique à l'égard de la Confédération de 1867, Hector Fabre a tout de même consenti à l'union. «Pour lui, représenter le Québec et le Canada n'a rien de contradictoire, dit Lamonde. De toute façon, le poste qu'il occupe à Paris n'a pas beaucoup d'importance pour le Canada. Depuis l'arrivée de La Capricieuse, l'alliance franco-américaine de 1854 et l'entente cordiale, on sait que la France n'est plus menaçante.»
Qui mieux qu'Hector Fabre pouvait donc donner naissance à la diplomatie québécoise en France? «Il a une vision un peu mythique et sentimentale de la France, dit M. Lamonde. Ce qu'il fera le plus à Paris, c'est de prononcer des discours pour ressourcer le puits sentimental des échanges entre la France et le Québec.»
«Non-ingérence et non-indifférence»
Selon l'ancien ambassadeur du Canada Gilles Duguay, Hector Fabre s'est beaucoup plus occupé du Québec à Paris que d'Ottawa, où «il était protégé par quelques personnages influents, comme Wilfrid Laurier». Si, après la mort d'Hector Fabre, Ottawa refuse que son commissaire en France continue à porter le double chapeau, Paris n'en continue pas moins à traiter de la même façon Québec et Ottawa, deux capitales non souveraines, explique Denis Monière. «À Paris, Québec et Ottawa sont sur le même pied. Le premier ministre québécois Lomer Gouin est reçu à Paris avec le même faste que le premier ministre canadien Robert Borden. Dans ces réceptions, on invite tout le corps diplomatique. C'est la non-ingérence et la non-indifférence avant la lettre.»
Wilfrid Laurier tentera d'ailleurs d'obtenir de Paris un statut intermédiaire pour la représentation du Canada. On songera alors à lui offrir un statut semblable à celui de l'Égypte, qui était à cette époque sous protectorat. Un statut qui fait évidemment penser à celui qu'obtiendra le Québec en France dans les années 1960 avec la création de la Délégation générale.
Lors de sa nomination comme ambassadeur à Paris, l'un des premiers gestes de Lucien Bouchard consistera d'ailleurs à offrir à cette dernière une réplique exacte du portrait de Fabre que détenait l'ambassade. Pour Lucien Bouchard, ce portrait appartenait plus à Québec qu'à Ottawa.


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