Il y a quelque chose d'un peu bizarre dans le projet du gouvernement conservateur de faire construire un monument aux victimes du communisme.

D'abord, il s'agit d'un monument aux victimes. Cette rage à célébrer les perdants est assez navrante. Il aurait été préférable d'ériger un monument à la victoire contre les communistes. Mais voilà, il subsiste encore quelques régimes communistes à travers le monde : le Vietnam, la Chine, Cuba, la Corée du Nord... Sans doute serait-ce aller un peu vite en affaires que de célébrer une telle victoire alors que ces pays sont encore puissants.

Il faut croire que le monument aux victimes du communisme va inclure quelques lignes bien senties sur les dizaines de millions d'innocentes victimes mortes par la faute de Mao, de Ho Chih Min, des trois Kim, de Castro, etc. Parce que sinon, ce serait un monument aux victimes du communisme soviétique.

Évidemment, il est probable que les gouvernements chinois, vietnamien, cubain et nord-coréen n'apprécieront pas beaucoup ce monument. Le gouvernement des Conservateurs est-il prêt à assumer les tensions diplomatiques qui en résulteront?

Parlant de monument aux victimes du communisme, à quand un monument aux victimes de l'islamisme? À quand un monument aux victimes du racisme? Aux victimes du néolibéralisme? Pourquoi ne pas simplement faire un monument aux victimes des idéologies?

Poser ce genre de questions, c'est réaliser que le monument projeté n'est pas un simple geste de mémoire. Il s'agit, hélas, d'un symbole destiné à racoler une partie de l'électorat en faveur des Conservateurs, pour gagner des voix aux prochaines élections. C'est littéralement un détournement de fonds publics à des fins électorales.

Stéphane Dion a raison de souligner que le choix de l'emplacement pour ce monument pose problème. Le monument doit être érigé face au bâtiment de la Cour suprême. Or, le communisme ne s'est pas seulement incarné dans des régimes politiques odieux. Le communisme n'est pas qu'une idéologie entièrement négative, malgré tous ses défauts. Autrement, tant d'hommes et de femmes n'y auraient pas adhérés.

Le communisme est aussi un idéal très noble : celui d'une société où les gens pourraient vivre égaux, sans être exploités. Qu'on le veuille ou non, les communistes ont été de grands résistants pendant la Seconde guerre mondiale. C'est bien en partie grâce à une alliance avec Staline que les Alliés ont pu remporter la victoire. Le New Deal, qui a tant apporté aux classes moyennes, vient en partie de la crainte de révoltes ouvrières qui auraient abouti à un renversement du gouvernement américain par des communistes.

Ériger un monument aux victimes du communisme devant la Cour suprême, c'est un peu comme dire aux juges de la Cour suprême et du reste du pays : surtout, oubliez toutes les ambitions d'égalité économique entre les citoyens. Vive la loi de la jungle! Si quelqu'un qui est un peu à gauche se présente devant vous, souvenez-vous de là où peut mener le communisme. Bien-sûr, les juges ne seraient pas dupes (enfin, il faut l'espérer). Bien-sûr la gauche n'est pas nécessairement communiste. Mais la perception du public serait affectée.  La cour y perdrait son apparence d'impartialité.

Plutôt qu'un monument aux victimes du communisme, il faudrait peut-être construire un monument aux victimes de la bêtise. Au moins, tous le monde s'y reconnaîtrait. Encore ici, un monument à la victoire de l'intelligence serait plus approprié, mais sans doute prématuré.