Le Québec sait-il assez parler anglais?

Le grand chantier linguistique du Québec doit être celui de la langue française, et non celui du bilinguisme.

Chronique de Bernard Desgagné



Lorsque les libéraux ont décidé que l'anglais devait être enseigné à partir de la première année, c'était parce qu'ils croyaient que les Québécois ne savaient pas assez parler anglais. Aujourd'hui, la chef du Parti québécois Pauline Marois nous dit qu'elle diffère d'opinion sur le traitement, mais qu'elle pose le même diagnostic: l'école québécoise n'inculque pas assez l'anglais aux jeunes.
Qu'en est-il exactement?
La majorité linguistique du Québec est cinq fois plus bilingue que la majorité linguistique du Canada anglais. Parmi les jeunes adultes québécois de langue maternelle française, le taux de bilinguisme est de 53 %. Dans la région de Montréal, il dépasse 60 %. À Gatineau, il atteint 80 %. Quelle que soit l'analyse qu'on fait du rendement de l'école québécoise, le résultat final est un taux très élevé de bilinguisme.
Le Canada anglais ne semble pas souffrir de son taux d'unilinguisme de 93 %. Pourquoi le Québec souffrirait-il d'un taux d'unilinguisme de 47 % parmi la jeune génération? Y a-t-il vraiment un problème nécessitant un meilleur enseignement de l'anglais?
Faux problème
Dans un reportage diffusé le 5 février 2007, un journaliste de Radio-Canada a demandé à une collègue anglophone de Toronto de prendre la parole dans une quarantaine d'endroits de la très française ville de Québec et de demander à y être servie en anglais. Dans chaque cas, on a trouvé quelqu'un sachant parler anglais. Où est donc ce manque criant de connaissance de l'anglais? S'agirait-il d'un faux problème?
Certains pensent qu'il s'agit plutôt d'une question d'égalité des chances. Les Québécois qui ne parlent pas anglais seraient relégués au rang de chair à canon du combat linguistique. L'anglais ouvrirait des portes, et la connaissance d'une deuxième langue rendrait plus intelligent. Est-ce bien vrai?
La moitié des Québécois âgés de 15 ans et plus n'ont jamais étudié au cégep. Or, que doit-on attendre de décrocheurs ou des personnes peu scolarisées? Faut-il leur dire: vous ne savez ni lire ni écrire correctement votre langue maternelle et les sciences sont un mystère pour vous, mais vous allez apprendre l'anglais, car c'est votre seule planche de salut?
La connaissance de l'anglais ne rend pas plus intelligent que n'importe quelle autre connaissance. Pourtant, un linguiste de l'Université d'Ottawa, M. Pierre Calvé, colportait récemment dans les journaux les prétendus bienfaits neuronaux du bilinguisme, bienfaits qu'aucune étude n'a jamais démontrés.
Maîtriser la langue maternelle
La musique, les mathématiques et les sciences sont aussi bénéfiques pour le cerveau humain que les langues étrangères. L'une des variables les plus étroitement associées à la capacité d'apprendre une langue étrangère est la maîtrise de la langue maternelle. Les Québécois qui parlent bien français apprennent facilement l'anglais, et cet apprentissage se fait efficacement vers la fin de l'adolescence ou à l'âge adulte. Certaines personnes sont douées pour les langues, et d'autres sont douées pour autre chose.
Des Québécois ont-ils déjà souffert de ne pas savoir parler anglais? Sans doute. Quand, par exemple, un francophone unilingue veut obtenir une promotion dans l'administration fédérale, où le travail se fait neuf fois sur dix en anglais, l'unilinguisme peut être un désavantage. Néanmoins, cette obligation de bilinguisme est le résultat de l'asservissement de la nation québécoise, qui n'arrive pas à imposer le français chez elle. Sortons du régime fédéral, et l'anglais perdra son lustre artificiel.
Les échanges commerciaux, scientifiques et culturels peuvent nécessiter la connaissance d'autres langues, mais le Québec peut se doter d'interfaces avec le reste du monde grâce, notamment, à un bon système de traduction. Il peut aussi faire rayonner la langue française à l'étranger en l'enseignant et en la diffusant.
Pays scandinaves
Certains diront que certains peuples sont encore plus bilingues que les Québécois et qu'ils arrivent très bien à conserver leur langue nationale. Ce serait le cas, par exemple, des Scandinaves et des Néerlandais. Il y a toutefois trois différences importantes entre eux et les Québécois:
- les langues de ces peuples sont peu parlées hors de leur territoire national;
- ces peuples sont souverains;
- ils ne souffrent pas, sur leur territoire, de la concurrence d'une autre langue. Les néerlandophones qui, aux Pays-Bas, n'hésitent pas à apprendre l'anglais sont passablement hostiles à l'usage du français en Flandre parce qu'au sein de la fédération belge, leur langue est menacée par la concurrence du français.
Avant d'être de «parfaits» bilingues, les jeunes qui sortent des écoles, des cégeps et des universités du Québec doivent avoir une connaissance «parfaite» de la langue française, quelle que soit leur origine ou leur langue maternelle. Allophones et anglophones doivent savoir parler français aussi bien que tous les autres Québécois. Le français doit être partout au Québec la langue du travail, des loisirs et de la vie en général. Malheureusement, nous sommes encore très loin du compte.
Le grand chantier linguistique du Québec doit être celui de la langue française, et non celui du bilinguisme.
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Bernard Desgagné, Traducteur et enseignant


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