Le regard des autres

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor

Il aura suffi de deux ou trois accommodements déraisonnables placés sous la loupe grossissante des médias, au tournant de l'année 2007, pour que nous soyons tous plongés dans un dramatique exercice public d'introspection collective sur nos valeurs de société et notre niveau de tolérance aux autres.



Jour après jour, depuis deux mois, nous voyons défiler individus et organismes devant deux éminents universitaires, qui écoutent presque sans mot dire les interventions et mémoires touchant à la très vaste question qu'ils ont eux-mêmes posée en début de mandat.
Bien sûr, dans presque toutes les villes visitées jusqu'ici, deux ou trois «n'importe qui» sont venus dire n'importe quoi. Bien sûr, aussi, les intégristes de tout poil n'ont pas manqué une si belle occasion de taper sur leur clou. Pourtant, il faut aussi le dire, la plupart de ceux et celles qui se sont présentés devant la commission l'ont fait avec modération et retenue.
Or, ce qui me frappe le plus dans les critiques, souvent féroces, proférées à l'encontre de la tournée de consultation de la commission Bouchard-Taylor, c'est l'évocation constante et apeurée du jugement des autres. Par autres, il faut entendre ceux qui vivent ailleurs. Que vont penser de nous les gens de Toronto, les Américains, les Français, les Anglais, les autres Européens?
On retrouve d'ailleurs le même type de réflexe parmi ceux qui ont critiqué le projet de loi Marois sur l'identité québécoise. Dans ce cas, on insiste surtout sur les réactions anticipées du Canada anglais, en évoquant une résurgence certaine du «Quebec bashing».
Selon certains observateurs très sérieux, nous serions en train de nous ridiculiser à la face du monde. Vive le terroir québécois quand il nous fournit des fromages au lait cru, du cidre de glace et de l'agneau de Charlevoix, ingrédients essentiels à la nouvelle gastronomie québécoise! Mais honte à ces régionaux coupés des grands courants mondiaux, qui n'ont jamais vu un tchador de leur vie et auxquels on accorde impunément le droit d'en parler!
Fatigués des «dîners de cons» organisés sur le plateau de Tout le monde en parle, qui font partager par 2 millions de téléspectateurs l'énormité ou la bourde de la semaine, nos chroniqueurs appellent de tous leurs voeux un retour rapide à la rectitude politique qui seule devrait être exposée à la face du monde.
Or, cette curieuse manifestation d'ethnocentrisme surestime grandement, est-il besoin de le dire, l'intérêt des observateurs étrangers à l'égard de nos «bobos» collectifs et de nos maladies soi-disant honteuses. Peut-on s'imaginer un seul instant, à titre d'exemple, que les Wallons et les Flamands, incapables, après des mois de tractations, de donner un gouvernement à la Belgique, qui charcutent leur carte électorale pour renforcer leurs barrières linguistiques, ont le temps et le goût de s'intéresser à notre Forum des citoyens?
Bref, dans certains milieux, on se préoccupe à ce point de notre image face aux autres qu'on oublie que ces mêmes autres vivent les mêmes problèmes, débattent des mêmes questions, avec des risques souvent bien plus grands de dérapage, et qu'ils ne se soucient pas le moins du monde de notre opinion.
Et quand on cesse de craindre l'avis des étrangers, on sollicite celui des illustres disparus. À l'occasion du 20e anniversaire du décès de René Lévesque, la même question est venue de toutes parts: qu'aurait pensé et dit l'ancien premier ministre des accommodements raisonnables, de la commission Bouchard-Taylor et du projet de Pauline Marois? Le plus souvent, la référence à René Lévesque visait, bien sûr, à rétablir une rationalité mise à mal par les dérives observées au cours des derniers mois.
On croyait que ce même René Lévesque nous avait à jamais débarrassés de nos complexes. Rien n'est moins sûr. Trop de Québécois, toutes tendances politiques confondues, sont à la fois fiers et gênés de ce qu'ils sont. Fiers de Robert Lepage, de Bombardier et du Cirque du Soleil. Mais incapables, à leur manière, d'assumer la totalité du «nous» québécois.
Bien sûr, cette frilosité, cette gêne associée à la hantise du regard des autres sont le fait d'une minorité, mais combien visible, influente et causante.
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Martine Tremblay
Autrefois directrice de cabinet du premier ministre René Lévesque, puis haute fonctionnaire, l'auteure est conseillère spéciale affaires publiques et analyse stratégique chez HKDP et membre du conseil du Centre d'études et de recherches internationales.
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Martine Tremblay12 articles

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Autrefois directrice de cabinet du premier ministre René Lévesque, puis haute fonctionnaire, l'auteure est conseillère spéciale affaires publiques et analyse stratégique chez HKDP et membre du conseil du Centre d'études et de recherches internationales.





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