Assez des gouvernements minoritaires!

Climat politique au Québec


«Le choix est entre avoir une élection ou avoir un mandat pour gouverner», a déclaré un Stephen Harper, au comble de l'agacement, la semaine dernière, en évoquant les menaces des partis de l'opposition de défaire son gouvernement, à l'occasion du Discours du Trône du 16 octobre prochain. Il est clair que, même si les libéraux de Stéphane Dion sont contraints de «sauver» les conservateurs cet automne, on verra rejouer le psychodrame dans quelques mois, au moment du budget.



Même chose à Québec où la précarité du gouvernement Charest, jointe à des sondages désastreux, fait planer une forte possibilité de renversement d'ici six mois.
Or, à Ottawa comme à Québec, toutes les enquêtes d'opinion prédisent que les prochains gouvernements seront encore minoritaires. La fragmentation des choix et des tendances, loin d'être un phénomène temporaire, semble être là pour rester. Les choses ont bien changé depuis l'époque où nos parents votaient invariablement «bleu» ou «rouge», comme ils achetaient toujours du Ford ou du GM. Les grandes fidélités bipartites ont fait place à l'envie de voter autrement, de se distinguer, de changer d'avis d'une élection à l'autre. Même les «transfuges» ne scandalisent plus comme autrefois.
Les électeurs revendiquent aussi maintenant le droit de voter vraiment selon leurs convictions, en appuyant des partis qui n'aspirent pas nécessairement à prendre le pouvoir. Les gouvernements sont donc élus par un pourcentage de moins en moins élevé de citoyens. Le parti au pouvoir à Québec a recueilli à peine le tiers des suffrages, le 26 mars dernier.
Certains avantages
Bien sûr, la situation peut présenter certains avantages, comme celui de provoquer un recentrage de positions jugées trop radicales - c'est le cas des conservateurs de Stephen Harper -, ou encore d'envoyer à la poubelle des projets controversés, comme la privatisation partielle du mont Orford. En revanche, force est de constater que nos gouvernements minoritaires deviennent, au fil des mois, de plus en plus impuissants à agir, face à l'obstruction systématique d'adversaires dont l'appétit électoral fluctue au gré des sondages. Qui pourrait du reste les blâmer de vouloir mettre le maximum de pression sur le gouvernement pour le forcer à infléchir ses décisions et politiques?
Le résultat net est que rien n'avance, que de moins en moins de décisions se prennent et que nous sommes condamnés à voter tous les 18 mois, aux deux niveaux de gouvernement. À Ottawa, les projets de loi ministériels meurent dans les comités parlementaires; à Québec, le gouvernement n'en finit plus de consulter et de reporter les choix à plus tard. Et vive le statu quo!
En même temps que le pouvoir économique est de plus en plus concentré, que les groupes de pression et lobbies de tous genres ne cessent de gagner en puissance, dans un environnement mondial où de plus en plus de décisions échappent aux États, le pouvoir politique voit sa légitimité constamment diminuée.
Peut-être est-il temps de changer la donne. Notre système électoral uninominal à un tour convenait assez bien, malgré quelques distorsions plus ou moins importantes, à une époque où il s'agissait de choisir entre deux grandes formations politiques qui exerçaient le pouvoir en alternance, mandatées par une majorité claire d'électeurs.
Réforme du mode de scrutin
Nous n'en sommes plus là. Or, il faut bien le dire, les projets de réforme du mode de scrutin élaborés et discutés au cours des 20 dernières années, y compris celui soumis aux électeurs ontariens cette semaine, n'ont que très faiblement pris en compte la multiplication des gouvernements minoritaires et la faiblesse du pouvoir exécutif que ce phénomène entraîne. Au contraire, soucieux de voir mieux reflétés les choix des citoyens dans les résultats des élections, hantés par le déséquilibre des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif, les promoteurs de changements ont d'abord voulu revaloriser la fonction parlementaire. Quitte à encourager la fragmentation du vote et la multiplication des partis
L'expérience que nous vivons actuellement devrait nous amener à concevoir les choses d'une manière différente. Oui, il faut changer de système. Mais les modifications à envisager devraient viser plus large et comporter l'élection de députés et de gouvernements possédant des mandats clairs. À titre d'exemple, le processus électoral français prévoit deux tours de scrutin. Ce qui permet un choix idéologique dans un premier temps et impose un choix plus pragmatique ensuite. Au final, les élus ont donc une réelle légitimité.
Les défis qui se posent à nos gouvernants sont de plus en plus complexes, les décisions de plus en plus difficiles, les consensus de plus en plus rares. Plus que jamais, nous avons besoin de gouvernements capables de gouverner, qui disposent du temps et de la marge de manoeuvre nécessaires pour agir. Quitte à les remplacer au bout de quatre ans !
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Martine Tremblay
Autrefois directrice de cabinet du premier ministre René Lévesque, puis haute fonctionnaire, l'auteure est conseillère spéciale affaires publiques et analyse stratégique chez HKDP et membre du conseil du Centre d'études et de recherches internationales.
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