Le réseau de tous les secrets*

Chronique de Louis Lapointe

*Texte publié le 14 janvier 2008.

Depuis des lunes, l’homme est fasciné par ce qu’il appelle la « boîte noire », cet endroit de l’homme qui ne nous a pas encore révélé tous ses secrets. Qui y a-t-il dans le cerveau de l’homme ? Qui avait-il dans le cerveau de tel homme pour qu’il agisse ainsi ? On s’est longtemps interrogé sur le cerveau de Mozart, creusant le sol pour trouver ce crâne qui nous expliquerait son génie. Nous aurions tant voulu savoir ce qu’il y avait dans la tête d’Hitler, la destruction de son cadavre par le feu nous empêchant à jamais d’obtenir de précieuses explications sur le monstre qu’il fût, plusieurs de ses secrets s’étant envolés en fumée avec lui. L’homme veut savoir, c’est dans sa nature.

Pourtant, certains obstacles plus virtuels que matériels freinent sa curiosité. Ainsi, lorsqu’un journaliste nous explique qu’il a tout fait pour recueillir une preuve qu’il n’a pu obtenir, cela devient souvent pour la majorité d’entre nous l’évidence de l’inexistence d’un fait. Parce qu’il n’a pas trouvé, le fait n’existe pas. Mieux, pour certains journalistes, des complots n’existeraient tout simplement pas parce qu’on ne peut pas les prouver.

Ce que ces journalistes oublient fréquemment de nous rappeler, c’est qu’ils doivent tous les jours composer avec des limites légales qui les empêchent de révéler des informations qu’ils ne peuvent corroborer, souvent parce que les preuves n’existent pas, parfois parce qu’elles sont protégées par le secret professionnel. Si bien que partout dans le monde, des faits, des événements, et même des complots n’existent pas officiellement parce qu’ils sont dissimulés derrière un rideau opaque que l’homme a dressé lui-même au milieu du monde réel au moyen de pures fictions légales pour que des secrets demeurent à jamais inaccessibles au commun des mortels ; pour que l’inexpliqué devienne l’inexplicable ; pour que des politiciens puissent dire qu’un événement n’a pas eu lieu parce qu’on n’en a pas parlé à la télévision ou parce qu’il n’en a pas été question dans la presse écrite.

Alors que la rigueur des avocats réside dans la préservation du secret professionnel à l’abri duquel on ne peut clairement distinguer vérité et mensonge, les zones grises étant leur pain et beurre, celle des journalistes réside au contraire dans la révélation de la vérité au grand jour. Les premiers ne peuvent trahir leurs clients, fussent-ils des politiciens véreux, alors que les seconds ne peuvent franchir une frontière au-delà de laquelle toute vérité n’est pas bonne à dire si elle n’est pas avérée, cela constituant un pire crime pour le journaliste qui la dévoile que pour l’avocat qui la dissimule en toute légalité. Grâce à cette frontière qu’on appelle le secret professionnel, qui sépare avocats et journalistes et que chevauchent les plus habiles politiciens, des faits d’intérêt public risquent de ne jamais être divulgués.

Nous devons souvent nous satisfaire de demi-vérités à cause d’un système où l’éthique des avocats est en perpétuelle opposition avec celle des journalistes, les politiciens les plus adroits, tels des funambules, marchant sur cette ligne ténue qui sépare vérité et mensonge. Sans pouvoir l’affirmer avec certitude, nous soupçonnons tous qu’une multitude de squelettes traînent dans autant de placards protégés par une armada d’avocats. Ces noms d’entreprises et de politiciens qui nous viennent automatiquement à l’esprit dès qu’on évoque certains scandales, comme autant d’invocations qui attirent le mauvais œil, ne peuvent être associés avec les mots honnis que sont « corruption », « fraude », « délit d’initiés » et « conflit d’intérêts », devenant aussitôt source d’incommensurables malheurs pour ceux qui osent les prononcer, comme autant de sorts jetés par de mauvais génies qui désormais les poursuivront sans répit.

Il ne nous reste donc plus que cette petite boîte noire qui fascine tant les scientifiques pour imaginer ce qui se passe dans tous ces grands cabinets d’avocats où logent d’anciens premiers ministres, ministres, ambassadeurs et chefs d’entreprise, ayant tous en commun d’être avocats et de posséder une quantité faramineuse d’informations et de contacts stratégiques protégés par le secret professionnel, qu’ils partagent entre eux dans l’intérêt d’anciens contacts et amis devenus leurs clients. Ce mur du secret, que les politiciens ont volontairement légalisé et qui autorise à taire des informations privilégiées, est non seulement l’objet qui cache le scandale, mais également ce qui lui confère toute sa pertinence. Mieux un secret est gardé, plus grande est sa valeur.

Qui oserait sérieusement croire que les secrets les plus précieux, confiés aux plus grands de ce monde maintenant devenus avocats au sein de grands cabinets, demeureront emprisonnés dans leurs petites boîtes noires comme autant de trésors dissimulés au fond de coffres-forts ? Serait-ce méconnaître la nature humaine que de présumer que certains d’entre eux, malgré leur devoir de réserve, n’offriront pas leur lanterne magique aux premiers venus contre de généreux émoluments garantissant à ces anciens monarques et princes déchus les conditions d’une existence paisible ? Les puissants réseaux qu’ils ont tissés au sein de ces grands cabinets ne recèlent-ils pas cette matière à présomption que les journalistes les plus curieux pourraient élucider à défaut de révéler leurs secrets les mieux gardés ? Qui sait, en suivant leurs traces, peut-être dénicheront-ils leurs secrets !

Le 14 janvier 2008

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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3 commentaires

  • Jean-Louis Pérez-Martel Répondre

    29 octobre 2012

    Les mercenaires de la politique au Pouvoir qui savent garder des secrets mafieux d’État, connaissent le chemin du succès, provoquant ainsi la ruine de ceux qui ont été trahis.
    JLPM

  • Archives de Vigile Répondre

    29 octobre 2012

    Vous pouvez parler de loterie coloniale.
    La parole est d'argent.
    Le silence est d'or.
    Ces grands législateurs qui exécutent les mandats de ceux qui les ont soutenu (et non pas élu), aboutissent dans de grands bureaux d'avocats pour continuer a percevoir de faramineux émoluments en sus de leur pension de retraite politique. S'occupent-ils de petits dossiers ? Non. Juste là pour donner leurs avis sur des stratégies, faire du social pour maintenir des liens avec les amis au pouvoir, et occasionnellement sortir pour faire des discours. Bien sûr, pour occuper leur temps, ils vont siéger sur différents CA de grandes entreprises. Ainsi, la clique de l'Establishment a son réseau de renseignement et de contrôle.

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    26 novembre 2009

    je tire cet extrait:
    "...imaginer ce qui se passe dans tous ces grands cabinets d’avocats où logent d’anciens premiers ministres, ministres, ambassadeurs et chefs d’entreprise, ayant tous en commun d’être avocats et de posséder une quantité faramineuse d’informations et de contacts stratégiques protégés par le secret professionnel, qu’ils partagent entre eux dans l’intérêt d’anciens contacts et amis devenus leurs clients."
    On retrouve le corollaire de ceci dans les écrits du prof (UQÀM) sc.po. Marc Chevrier: De la néo-monarchie canadienne. Il fait ressortir que les politiciens d'Ottawa, ministres, sont en général avocats, suspendus à des postes de juges. Serviles à la Couronne.
    Par ailleurs, d'anciens avocats rebelles comme le maire Stéphane Gendron de Huntingdon, jouent encore du prestige de l'avocat pour en imposer à un lectorat crédule dans des journaux scab. Pondre une propagande abaissante contre les Québécois réveillés relève du contrat assimilateur. La logique étant que la tribu doit cesser de lutter contre le progrès, donc contre l'anglicisation, il devrait passer à l'étape efficace: écrire en anglais. Ça éviterait autant de grossièretés qu'il ne pourrait pas composer dans cette langue qu'il jalouse sans la maîtriser.
    Ses maîtres de Toronto doivent rire dans leur barbe de le voir faire leur job gratuitement. L'Empîre britannique utilisait ces hommes de paille pour cette règle officiellement appelée: INDIRECT RULE.