Le scandale Volkswagen, une fraude à l’intérieur de l’autre

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« Une utilisation de la justice des États-Unis au service des intérêts de son économie »

Le scandale du dieselgate qui a débuté l’année dernière contre Volkswagen et qui s’est traduit par un colossal coup bas au plus grand fabricant mondial d’automobiles, « a été conçu par les États-Unis comme une attaque informationnelle visant à renforcer leur position économique et politique vis-à-vis de l’Union européenne. ». Ainsi l’affirme une étude que vient de divulguer L’école de Guerre Economique (EGE) de Paris, un centre lié au Ministère de la Défense français qui se consacre à la formation de dirigeants en intelligence économique depuis vingt ans.

Intitulé «  », le rapport de l’EGE explique que dans le scandale Volkswagen, la concentration de l’attention médiatique autour des mécanismes utilisés pour organiser la fraude des émissions ou de la situation financière de l’entreprise allemande, « a ignoré la dimension stratégique de l’affaire ». S’agissant manifestement d’un problème global, l’investigation s’est limitée au diesel et ne concernait pas les véhicules essence, pour faire mal aux fabricants européens avec la raison simple que le diesel représente 53,6 % des véhicules dans l’UE et moins de 5 % aux États-Unis. Il s’agissait, dit l’étude, « d’attaquer un avantage technologique de l’industrie automobile européenne par rapport à sa concurrente américaine ».

Les innocentes organisations non gouvernementales des États-Unis qui ont été présentées comme à l’initiative du scandale, l’International Council on Clean Transportation (ICCT) et le Center for Alternative Fuels Engines and Emissions (CAFEE) de l’Université de West Virginia, auteur des expertises sur les émissions qui ont servi de base à l’accusation formulée le 18 septembre 2015 par l’Agence Américaine de l’Environnement (EPA), apparaissent dans l’étude française comme de simples instruments de l’industrie automobile US.

La Fondation Ford représente plus de 90 % du financement de l’ICCT pour les années 2012 et 2013. Ford et Général Motors figurent parmi les clients du CAFEE, mais l’information a disparu de la page Web de l’Université de West Virginia le 8 février dernier. Cette disparition est-elle fortuite ?, les auteurs du rapport se le demandent. En tous cas, l’initiative des deux organisations a été présentée par les médias anglo-saxons, et de là au reste, comme la lutte exemplaire et innocente d’un David non gouvernemental contre un puissant Goliath industriel, comme l’a annoncé la dépêche Reuters du 23 septembre 2015. « David Carder, le chercheur de l’Université de West Virginia, âgé de 45 ans est l’homme qui a fait chanceler le premier constructeur automobile avec ses quatre collègues », tel fut avec des petits changements de style, le message romantique lancé en France par des médias comme le quotidien économique Les Echos ou l’hebdomadaire L´Obs, en septembre 2015.

L’étude française décrit, « une utilisation de la justice des États-Unis au service des intérêts de son économie » et cite une étude de l’OCDE de 2014, selon laquelle au cours des dix-sept dernières années la justice US a été à l’origine de la moitié des sanctions pour corruption transnationale, avec une tendance à punir la concurrence ; « sur les dix plus grosses amendes infligées, sept concernaient des entreprises non américaines », souligne t-elle. Les amendes contre des entreprises américaines de l’automobile, comme celle de 900 millions de dollars imposée à Général Motors en septembre 2015, sont clairement en dessous de celles imposées à la concurrence, comme celle de 1 200 millions réclamée à Toyota en 2014, juste quand cette industrie japonaise avait arraché le titre de première entreprise mondiale du secteur à Général Motors, sans parler des 20 milliards demandés contre Volkswagen après que l’entreprise allemande ait réalisé de grands investissements aux États-Unis suite aux fortes augmentations des ventes de ses voitures diesel (33 % entre 2012 et 2013) sur ce marché.

En plus de son opportunité industrielle, la synchronisation informative du scandale Volkswagen a été « parfaite » pour « obtenir l’impact médiatique maximum » : lancé le jour suivant de l’ouverture du salon de l’automobile de Francfort, où les dirigeants de Volkswagen ont été immédiatement assiégés par la presse, remarque- l’étude. « Il est donc patent que les buts qu’elle poursuivait n’étaient pas exclusivement d’ordre judiciaire ».

Politiquement le scandale présentait deux avantages pour les États-Unis. Quand la réalité est que les normes environnementales et sanitaires européennes sont plus strictes que les normes américaines, le dieselgate a produit la sensation contraire : que ce sont les Européens les plus laxistes. Dans le cadre des négociations de l’accord de libre-échange entre les États-Unis et l’UE (TTIP), quand selon la prévision des études américaines disponibles, les constructeurs européens pourraient empocher la majeure partie des 18 milliards annuels de bénéfice que le secteur obtiendrait avec la libéralisation commerciale, « l’affaiblissement de Volkswagen est le coup de grâce à sa progression ».

Deux mois avant de la Conférence sur Paris sur le réchauffement climatique (COP 21décembre 2015), où se sont accumulés les reproches contre les États-Unis quant à leur blocage du progrès environnemental mondial, l’effet du scandale prend aussi une lecture particulière. Face à ce panorama, la question qui s’impose est pourquoi Volkswagen, l’Allemagne et l’Union Européenne, n’ont pas objecté, ne se sont pas battues ou n’ont pas dénoncé cette situation. « Pour eux, il est très difficile de réagir parce qu’ils sont compromis et préfèrent opter pour un profil bas », répond Christian Harbulot, directeur de l’Ecole de Guerre Economique et de l’étude sur le cas Volkswagen. « Les américains ont été très rusés d’ avoir monté une opération pour obliger Volkswagen à reconnaître qu’il avait menti ». « Ce n’est pas la première fois que l’on assiste aux manœuvres de renseignements de ce genre dont l’ objectif est que le mensonge apparaisse de façon concrète et qu’une confession soit provoquée », dit cet expert.

Les entreprises françaises ont accumulé une longue expérience punitive avec la justice des États-Unis. « Dans les années quatre-vingt-dix Perrier a du retirer des centaines de milliers de bouteilles d’eau minérale pour avoir omis sur son étiquette l’usage de gaz non naturel dans le produit, ce qui a fait perdre à l’entreprise 25 % du marché quand elle était en pleine croissance sur le marché US », se rappelle Harbulot. Avant, le groupe électronique français Schneider a connu d’énormes pressions judiciaires à l’époque où il était un fort concurrent de Général Electric. « Aucun membre de sa direction ne pouvait prendre un avion sans s’exposer à être arrêté », explique le directeur de l’étude. Plus récemment le directeur de la section des turbines d’Alstom a été arrêté dans un aéroport US et ils l’ont mis 18 mois dans une prison de haute sécurité, pour ne pas avoir révélé un dessous de table dans un pays du sud-est asiatique. « Rien de tout cela n’a donné lieu à des informations dans la presse française, ce qui aurait été inimaginable dans une situation inverse avec des entreprises américaines », dit Harbulot, suggérant la faiblesse stratégique manifeste et connue des Européens sur ces questions.

En Allemagne, un sujet d’Etat

En Allemagne le scandale Volkswagen est un sujet d’État qui a été couvert par un silence presque complet, dénonce la réputée association allemande d’environnement et de défenseur du consommateur Deutsche Unwelthilfe (DUH). Les investigations officielles avancent à la vitesse de l’escargot et dans le secret le plus strict. DUH affirme disposer « d’abondants indices » de fraude environnementale chez les différents modèles d’Opel, Renault, Fiat et Mercedes, en plus de Volkswagen. Les tentatives de l’organisation pour réaliser ses propres tests d’émission se sont heurtées au refus de tous les laboratoires agréés en Allemagne, ce qui a obligé à les réaliser dans un laboratoire suisse qui « a résisté aux pressions directes des fabricants allemands d’automobiles », remarque l’organisation. Le problème fondamental du scandale Volkswagen est que, comme toute opération de propagande, il est basé sur un fait avéré : le manque ou le délit dénoncé n’est pas une invention. Au contraire, la fraude industrielle est une réalité généralisée dans l’industrie automobile, où tout le monde a quelque chose à cacher.

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Le rapport de l’EGE : « Les dessous de l’affaire Volkswagen ». Sous la direction de Christian Harbulot

Chronologie

  • En juin 2012 : L’Organisation Mondiale de la Santé déclare les gaz d’échappement du diesel cancérigènes.
  • En juillet 2013 : Commencement des négociations sur le TTIP Juillet 2015 : Volkswagen annonce son rang de premier fabricant mondial de voitures
  • Le 17 septembre 2015 : Ouverture du Salon de l’Automobile de Francfort (du 17 septembre au 27 septembre)
  • Le 18 septembre 2015 : L’Agence US pour l’Environnement (EPA) accuse Volkswagen d’avoir équipé au moins 11 millions de voitures d’un software pour falsifier les tests antipollution.
  • Le 20 septembre 2015 : Volkswagen reconnaît la fraude
  • Le 25 septembre 2015 : Perte de 35 % de la capitalisation boursière de Volkswagen entre 21 et le 23 septembre. Démission de Martin Winterkorn comme directeur.
  • Le 4 janvier 2016 : la justice US et l’EPA réclament une amende de plus de 20 milliards de dollars à Volkswagen

Rafael Poch corresponsal de La Vanguardia. Barcelonne, 19 juin 2016.

* Rafael Poch, Rafael Poch-de-Feliu (Barcelone, 1956) a été vingt ans correspondant de « La Vanguardia » à Moscou et à Pékin. Avant il a étudié l’Histoire contemporaine à Barcelone et à Berlin-Ouest, il a été correspondant en Espagne du « Die Tageszeitung », rédacteur de l’agence allemande de presse « DPA » à Hambourg et correspondant itinérant en Europe de l’Est (1983 à 1987). Actuellement correspondant de « La Vanguardia » à Paris.

Traduit de l’espagnol por El Correo de la diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo de la diaspora. Paris, le 18 juin 2016.


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