Le « WikiLeaks » des gaz de schiste sur la radioactivité

Entre le charbon sale et la dangereuse fracturation hydraulique, il semble que ce soit la peste ou le choléra.

Gaz de schiste


Une plateforme d'extraction de gaz rejette ses eaux usées en Pennsylvanie, en avril 2009 (Jon Hurdle/Reuters).

Par Sophie Verney-Caillat - La gigantesque enquête sur les gaz de schiste publiée par le New York Times est une nouvelle bombe lancée sur cette technique d'extraction contre laquelle la mobilisation grandit en France. Non seulement les preuves d'effets sur la santé se multiplient, mais l'enquête révèle que l'eau rejetée par les puits est radioactive.
Le quotidien américain a consacré de gros moyens au déchiffrage des quelque 30 000 pages de documents confidentiels provenant de l'agence américaine de protection de l'environnement, l'EPA, et de différentes sources internes à l'industrie, qu'il s'est procurés. Une méthode « à la manière de WikiLeaks », mais avec le professionnalisme des équipes du journal, qui ont ajouté aux données brutes :

- une infographie interactive : une carte recense la radioactivité présente dans 149 des quelque 200 puits installés dans l'Etat de Pennsylvanie et recense 42 puits dont l'eau rejetée dépasse la norme autorisée pour l'eau potable en radium, 4 dans le cas de l'uranium, 41 dans celui du benzène, 128 les dépassent pour le « gross alpha » (des radiations causées par les émissions d'uranium et de radium) ;
- un reportage vidéo où l'on voit des habitants des montagnes rocheuses (Colorado) obligés de déménager parce que les gaz de schiste les ont « empoisonnés ». Nausées, diarrhées, saignements de nez… ils se disent contaminés par les fuites provenant des extractions autour de chez eux ;
- et un fichier excel d'analyse de plus de 200 échantillons pris dans les puits : les taux de radium et d'uranium sont mentionnés ainsi que le cancérigène benzène.

La fracturation hydraulique, la technique des mini-séismes
Pour bien comprendre comment l'extraction peut se répercuter sur la santé, il faut avoir en tête tout le processus bien particulier de la fracturation hydraulique, la méthode non conventionnelle qui permet d'aller chercher dans des poches géologiques très profondes le gaz naturel.
Comme l'explique l'infographie, les derricks temporairement installés en surface creusent un puits à plusieurs milliers de mètres sous terre, un puits vertical puis horizontal (en forme de L) à l'endroit où le gaz est présent.
Parfois, le forage traverse des nappes phréatiques. Du ciment sert à étanchéifier le puits, mais il se peut qu'il soit poreux et que les produits chimiques injectés pour faire exploser la roche contaminent les nappes d'eau souterraines (celles qui servent à l'eau potable).
La technique de la fracturation hydraulique provoque une explosion de la roche perméable grâce à l'injection à très haute pression de millions de litres d'eau chargée en produits chimiques, une méthode qui s'assimile à la création d'un mini-tremblement de terre.
Cette eau contenant 500 à 2 000 produits, dont une partie sont des cancérigènes connus, tels le benzène (mais d'autres seraient pires encore) est injectée en profondeur pour maintenir le puits ouvert et permettre l'extraction. Puis une bonne partie (peut-être la moitié) des eaux usées remonte à la surface, l'autre restant sous terre au risque de contaminer les nappes.
L'eau remontée contient parfois des substances radioactives à des taux qui dépassent plus de mille fois les seuils autorisés pour l'eau potable. Elle n'est certes pas bue, mais décante dans des bassins de rétention, susceptibles de fuir, par exemple lors de grosses averses.
Le New York Times a beau avoir enquêté pendant des mois, interviewant toutes les sources qui voulaient bien s'exprimer (riverains, industrie, agence de l'environnement, centres de recherche), il reste prudent sur les conclusions à tirer : il ne dit pas qu'il faut cesser immédiatement d'extraire cette énergie qui crée des emplois et promet au pays une plus grande indépendance énergétique, mais dénonce la complaisance des autorités avec l'industrie.
Les répercussions sur la santé
Comme l'avait montré le documentaire « Gasland », la fracturation hydraulique a rendu l'eau imbuvable dans nombre d'endroits des Etats-Unis. Parfois même, l'eau est tellement chargée de gaz quand elle sort du robinet, qu'elle brûle au contact d'une allumette.
Le quotidien insiste sur le fait que les 493 000 puits en exploitation aux Etats-Unis génèrent des quantités faramineuses d'eaux usées (jusqu'à 4 millions de litres par puits). Ces eaux très chargées en sels corrosifs et en produits cancérigènes et parfois radioactifs (certains naturellement présents dans le sol et remontés avec l'eau comme le radium) décantent dans des stations d'épuration avant de rejoindre les rivières puis les robinets des gens.
L'industrie avoue dans des documents internes ne pas savoir totalement éliminer la radioactivité de ces eaux usées. Problème : les stations de potabilisation situées en aval des bassins de décantation ne testent pas toujours la radioactivité. Par exemple en Pennsylvanie, aucun prélèvement n'a été fait depuis 2006.
L'agence fédérale de protection de l'environnement (EPA) se dit préoccupée par les gaz de schiste, d'autant qu'un certain nombre d'installations « sont probablement hors la loi » en ce qui concerne les normes de pollution.
Si aucun cancer lié au gaz de schiste n'est encore avéré, des constats inquiétants sont relevés. Ainsi, au Texas (93 000 puits de gaz de schiste), un hôpital a recensé 25% d'enfants asthmatiques dans la population des six contés voisins, contre une moyenne de 7% dans l'état.
Les Etats-Unis commenceraient-ils à douter de la fiabilité de cette technique d'extraction qui fait si peur à la France ? « On brûle les meubles pour chauffer la maison », constate John H. Quigley, qui était jusqu'il y a peu secrétaire du département de Conservation des ressources naturelles. Entre le charbon sale et la dangereuse fracturation hydraulique, il semble que ce soit la peste ou le choléra.
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Photo : une plateforme d'extraction de gaz rejette ses eaux usées en Pennsylvanie, en avril 2009 (Jon Hurdle/Reuters).
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