Les erreurs des Plaines d'Abraham

Et maintenant, nous devons préparer le prochain revirement, celui de l’indépendance du Québec

Tribune libre 2011

La bataille des plaines d’Abraham est caractérisée par une série d’erreurs stratégiques et tactiques graves, aussi par des trahisons aussi graves.

Le manque de jugement et l’entêtement borné de Vaudreuil a joué un rôle majeur dans la non victoire des Français et des Québécois dans cette bataille. Car le résultat final n’est ni une défaite ni une victoire que les
Anglais et les “Canadians” célèbrent encore avec pompe, pour nous signifier que nous, Québécois, descendants des colons de Nouvelle France, sommes des “losers”, des vaincus et des perdants et par conséquent
que nous devons nous soumettre à nos “maitres” qui ont été si “bons” pour nous, alors que nous ne méritions que la déportation comme les Acadiens, ou l’extermination comme les Béotuks de Terre Neuve, ou la
quasi extermination comme les Irlandais, les Celtes des Highlands en Écosse et les Gallois. Qui n’est pas Anglo-Saxon ne mérite pas de vivre ni d’exister et qu’on se le dise.


En réalité, ce qui est arrivé n’est pas aussi simple que le veulent les Anglais, les United Empire Loyalists et les Orangistes qui souhaitent que nous disparaissions de la surface de la terre. Ce n’est pas leur faute
s’ils sont supérieurs à tous les autres:”Gosh we’re sooo good and so smart”. Et que croiront les naïfs qui n’ont aucun sens de la Réalité, sa radicalité qui se moque de nos idées, son ipséité qui oblige à vivre
dans l’instant peu importe qui nous sommes, sa semelfactivité qui oblige à tenir compte des faits et non des impressions de surface, sa continuité qui se moque de nos peurs et nos appréhensions.

Première erreur stratégique et tactique: l’ignorance de l’espace et du temps.


Le Québec est recouvert de gigantesques obstacles naturels. Le Saint Laurent est une des voies de navigation qui compte parmi les plus dangereuses du monde et la preuve est au fond avec ses 4000
épaves dont deux flottes de guerre anglaises. La ville de Québec, première de nos villes, est située à 1600 kilomètres de l’océan Atlantique. Est-ce que vous savez ce que veut dire 1600 kilomètres dans une voie de
navigation risquée et dangereuse? Autre facteur: le climat et ses hivers terribles que nous devons savoir exploiter à notre avantage en cas de guerre comme font les Russes et les Finlandais.

Facteur suivant: le motif des Anglais pour attaquer Québec. Pas si simple à trouver. On connait les motifs de l’OTAN pour attaquer l’Irak, l’Afghanistan et la Libye mais on se perd en conjectures sur les véritables
motifs des Anglais pour remonter le Saint Laurent et le lac Champlain et attaquer la Nouvelle France en force.

Pour ma part, militaire de carrière et formé dans des écoles de guerre, je ne vois réellement que deux motifs pour se lancer dans une attaque d’une telle envergure:

1. Impressionner les Yankees en colère contre l’Angleterre et qui donnaient de sérieux signes de révolte. Attaquer et conquérir la Nouvelle France pouvait servir de défoulement.

2. Conquérir le territoire très défendable du Saint Laurent pour servir de dernière redoute aux Anglais en cas de perte de la Nouvelle Angleterre. Une dernière redoute en stratégie de guerre est le refuge
vers lequel on recule en cas de défaite. Ce refuge doit offrir des possibilités de défense avec une économie maximale de moyens, ce qui est bien le cas du Québec comme celui de d’autres pays défendables
dont la Suisse, la Finlande, la Serbie, la Suède et le Portugal, que de petits peuples ont su défendre et qui sont devenus des États Nations reconnus dans le monde.

3. En cas de besoin, la dernière redoute peut servir de tête de pont pour une reconquête du territoire de la Nouvelle Angleterre et re-soumettre les Yankees en cas de défaite. Nous voyons maintenant que c’est
effectivement ce qui est arrivé. La guerre des Anglais et Loyalistes contre les Yankees devenus les Américains s’est prolongée bien au delà du traité de Saint Germain en Laye de 1783. Les Anglais, qui
méprisent les Yankees et les Américains, qu’ils traitent de “colonials”, sont restés en guerre contre les États Unis jusqu’en 1940, croyez-le ou non. Les Américains préparaient une invasion militaire du
Canada en 1940 et leurs armées approchaient les frontières mais la guerre contre l’Allemagne les a détournés. Ce secret bien gardé, j’en ai lu tous les détails pendant que j’étais officier d’État major au
Quartier Général Militaire du Québec, alors situé au 3530 rue Atwater à Montréal, la Ferme sous les noyers. Un ordre du Ministère de la Défense à Ottawa nous a obligés à détruire ces documents, avec
foule d’autres. C’était en 1955. Ce qu’il importe de retenir, c’est que la construction du chemin de fer Transcolonial en Amérique Britannique du Nord avait pour objet de fournir aux armées Britanniques
présentes sur place tout l’appui logistique nécessaire pour soutenir une guerre contre les Américains. Stratégiquement,le Québec est donc une dernière redoute et une tête de pont. Revenons
à notre bataille des Plaines d’Abraham.


LA GUERRE DÉFENSIVE

La défensive est de loin la plus importante et la plus décisive des phases d’une guerre mais elle n’est pas ce qu’en pensent les profanes qui associent défensive avec jouer aux martyrs sur les barricades.

La défensive, qui est tout sauf passive, consiste à prévoir l’attaque et attaquer impitoyablement l’attaquant aux premières phases de son attaque, alors qu’il est le plus vulnérable. Prenons un ou deux exemples
pour le comprendre. Les meilleurs boxeurs sont les experts en défensive. Ils prévoient les coups, les esquivent et administrent aux adversaires de redoutables contre-coups qui les font tomber par terre. Il faut
énormément d’entrainement et d’intelligence de la bataille pour savoir mener la défensive. De même les meilleures équipes de hockey qui laissent l’adversaire attaquer et dès les débuts, sèment la division
dans les rangs adverses et les déciment. De même en stratégie et en tactique militaire, la guerre défensive consiste non pas à se barricader mais à s’avancer résolument vers l’armée adverse pour la décimer
au moment crucial lorsqu’elle se lance à l’attaque. Il faut de l’entrainement, de la détermination et de l’intelligence pratico-pratique pour réussir.

Ce qui compte en défensive, ce sont les préparatifs, l’entrainement, l’étude poussée du terrain et encore plus d’entrainement et une détermination agressive et calculée.

Erreur donc des Franco-Québécois qui se sont barricadés sur des positions fixes plutôt que d’attaquer les Anglais par une série d’embuscades féroces qui les auraient décimés. Sauf que ce genre de guerre ne
s’improvise pas. Il se prépare de longue main, par des reconnaissances et des préparatifs discrets sur le terrain, de l’entrainement, des exercices de jour et de nuit, encore de l’entrainement et des exercices
jusqu’à ce que la conduite de cette guerre devienne une seconde nature. C’est la meilleure manière de se protéger contre les erreurs du commandement en bataille et aussi des trahisons.

En fait, le 13 septembre 1759, les Anglais n’avaient frappé que quelques régiments français aux Plaines d’Abraham. Le gros de l’armée les attendaient sur les battures de Beauport . Les Anglais ne sont
nullement en position pour crier victoire. Le printemps suivant, l’armée Franco-Québécoise s’organisa de nouveau et battit les Anglais à Sainte Foy. La France nous quitta à ce moment mais les Anglais n’étaient
pas en position ni de nous déporter et encore moins nous exterminer. Leurs forces armées étaient engagées partout dans le monde et ce qui était pire pour eux: ils étaient en guerre contre les Yankees. Ils ont
donc été obligés de composer avec nous.

LE REVIREMENT

Ni la bataille des Plaines d’Abraham ni celle de Sainte Foy n’ont été décisives pour l’avenir de la Nouvelle France. La décision a été prise trois ans plus tard au traité de Paris du 10 février 1763 et pour des motifs
qui nous échappent. Ce qui était convoité, ce n’était pas le Saint Laurent mais les grands Lacs avec leurs immenses richesses économiquement exploitables. Non seulement les Anglais mais les Yankees aussi
convoitaient ces territoires qu’ils entendaient interdire à l’Angleterre. De Montréal, on accède aux grands Lacs par le Saint Laurent. De New York, on accède aux grands Lacs par la vallée de la Mohawk. Finalement,
ce sont les Américains qui ont gagné les grands objectifs stratégiques de toutes ces guerres. Ils ont gagné lorsqu’ils ont décidé d’abandonner le Saint Laurent pour la vallée de la Mohawk et l’entrée du Mississipi
par la Louisiane, qu’ils ont achetée de Napoléon Bonaparte. Quant aux Anglais, ils se sont rattrapés par le moyen du chemin de fer, puisque les communications maritimes ne sont ni praticables ni économiques
au nord du 45e parallèle.

Ce grand revirement a fait notre jeu puisque nous avons pu conquérir le territoire du Québec, devenu notre foyer national et l’assise de notre État.

Et maintenant, nous devons préparer le prochain revirement, celui de l’indépendance du Québec.


JRMS

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René Marcel Sauvé217 articles

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J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en Europe, en Afrique occidentale et au Moyen-Orient. Poursuivant études et carrière, il s’inscrivit au département d’histoire de l’Université de Londres et fit des études au Collège Métropolitain de Saint-Albans. Il fréquenta aussi l’Université de Vienne et le Geschwitzer Scholl Institut Für Politische Wissenschaft à Munich. Il est l'auteur de [{Géopolitique et avenir du Québec et Québec, carrefour des empires}->http://www.quebeclibre.net/spip.php?article248].





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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    14 septembre 2011


    Merci monsieur Naud. Pouvez-vous ré-expédier ces plans
    par une autre méthode afin que tous les lecteurs
    puissent les étudier. On voit l'insistance des
    Américains sur la logistique, celle-ci calculée
    comme une expédition commerciale.
    Par exemple, ils n'appellent pas un bombardement
    aérien an air raid ou an air bombing mais ordnance
    delivery, ou livraison d'ordonnances. Leur vocabulaire
    militaire est plein d'euphémismes, de sorte que les
    soldats et aviateurs qui s'impliquent directement
    dans ces expéditions gardent bonne conscience. C'est
    après coup que commencent les problèmes psychologiques,
    souvent insolubles par la psychiatrie moderne. Il reste
    finalement les secours de la religion.
    Ce problème n'existe pas en défensive parce qu'alors,
    la violence armée est nécessaire pour se défaire d'un
    envahisseur. Les plus forts ont le devoir de se battre
    pour défendre les plus faibles et protéger le territoire
    et le patrimoine. Cette fois, c'est la lâcheté et la
    fuite qui donnent mauvaise conscience. On la voit dès
    maintenant chez ceux et celles qui démissionnent et
    reculent devant la tâche à accomplir pour réaliser
    l'indépendance du Québec.
    Salutations
    JRMS

  • Archives de Vigile Répondre

    13 septembre 2011

    Bonjour M. Sauvé,
    Les projets Américains récents d'invasion du Canada se trouvent ici: http://en.wikipedia.org/wiki/War_Plan_Red

  • Archives de Vigile Répondre

    13 septembre 2011


    La guerre défensive est le contraire d'un repli Me Cloutier. En défense, on vise à détruire les effectifs
    ennemis qui s'exposent par leurs attaques.
    JRMS

  • Pierre Cloutier Répondre

    13 septembre 2011

    Et si on appliquait cette idée de la guerre défensive vous pensez quoi de la proposition de Claude Morin d'amorcer un repli identitaire?
    Pierre Cloutier