L'ALENA, 20 ANS PLUS TARD

Les reculs redoutés sont presque tous au rendez-vous

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« Il est urgent que s’engage un débat large et informé afin que l’économie soit à nouveau mise au service de la majorité et que les États cessent d’abandonner leur souveraineté à des intérêts privés »

Il fallait s’y attendre. Le 20e anniversaire de l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) donne lieu à l’habituel discours sur ses bienfaits. La lettre du professeur Khalid Adnane (Le Devoir, 13 janvier) n’y fait pas exception.

Son argumentaire se concentre sur les délocalisations, les exportations canadiennes vers les États-Unis et les programmes sociaux en mettant l’accent sur les échanges commerciaux. Il décrète que l’ALENA a été plutôt bénéfique pour le Canada. Pour le RQIC au contraire, nombreux sont les enjeux qui reconduisent nos préoccupations d’il y a 20 ans : la protection excessive des investissements étrangers qui décourage l’action des gouvernements ; l’ouverture des appels d’offres gouvernementaux aux entreprises des pays signataires qui interdit d’exiger que l’octroi des contrats ait des retombées ici ; l’effet de cliquet qui rend impossible de faire marche arrière lorsque les résultats de la libéralisation et de la déréglementation sont controversés ; la possibilité d’exclure certains secteurs de l’accord dans la seule mesure où les partenaires l’acceptent tout en incluant des mécanismes qui rendent toujours l’exclusion temporaire jusqu’à leur disparition. Au cours des 20 dernières années, le modèle ALENA n’a pas servi la prospérité de nos populations, et il est temps de penser à un nouveau paradigme.
Délocalisations en progression

M. Adnane reconnaît que le phénomène des délocalisations a progressé au cours des années, mais celles-ci, soutient-il, seraient plutôt dues à la mondialisation. Quel tour de passe-passe rhétorique ! Le libre-échange n’a-t-il pas été la quintessence de la mondialisation économique, aux côtés de la déréglementation et de la privatisation ?

M. Adnane l’admet : la délocalisation s’étend aujourd’hui au secteur des services. Mais c’est uniquement l’effet, à son dire, des économies émergentes (Inde et Chine). Comme celles-ci ne font pas partie des signataires de l’ALENA, là s’arrête son raisonnement. Pour le RQIC, c’est la mondialisation telle que définie en 1995 par le p.-d.g. d’ABB qui motive ces délocalisations : « La liberté pour mon groupe d’investir où il veut, le temps qu’il veut pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut et en ayant à supporter le moins de contraintes possibles en matière de droit du travail et de conventions sociales. »

Le nombre de délocalisations ne peut donc être le seul indice, surtout si l’on oublie que la menace de délocaliser a des effets dévastateurs ; même quand l’entreprise demeure finalement au pays. Plusieurs l’ont expérimenté au cours des années et ont été forcés d’accepter des diminutions de conditions de travail pour conserver leur emploi. Sans compter que la part du travail dans la valeur ajoutée diminue de manière presque constante au Canada depuis 1994.

Avec M. Adnane, on peut affirmer que la diversification des marchés des exportations canadiennes peut représenter une bonne nouvelle si l’on sait maintenir notre capacité souveraine de gouverner en fonction de l’intérêt public. Mais nous ne sommes pas prêts à dire que notre dépendance au marché états-unien est réduite pour autant : ce sont quand même des trois quarts des exportations canadiennes qu’il s’agit et qui prennent le chemin des États-Unis.

À cette situation, il faut ajouter la dépendance systémique que l’ALENA a créée en matière d’énergie qui ne permet pas au Canada de réduire à son gré ses exportations de pétrole vers les États-Unis. La clause de partage proportionnel du chapitre vi de l’ALENA sur les produits énergétiques et pétrochimiques (de base) exige (art. 605) que le Canada maintienne ses exportations vers le sud d’année en année dans la même proportion que la moyenne des trois années précédentes, même si cela devait entraîner une pénurie en sol canadien. […] Ce mécanisme, qui s’appliquerait aussi à l’énergie hydroélectrique, limite grandement la capacité du gouvernement à réorienter la production vers le marché canadien si besoin était.

Penchons-nous maintenant sur la contre-réforme du régime d’assurance-emploi de 1996 — qui fit passer le ratio prestataires/chômeurs de plus de 80 % à moins de 50 en quelques mois —, laquelle suivait deux contre-réformes. Telle a été, selon plusieurs analystes, le tribut payé par le Canada pour être admis aux négociations qu’États-Unis et Mexique tenaient depuis un temps déjà. Il fallait éviter l’accusation de concurrence déloyale…

En outre, un rapport faisait le constat en 2002 qu’il serait presque impossible de mettre sur pied le système de santé canadien tel qu’il existe en raison des accords de libre-échange. […] Le refus de la Nouvelle-Écosse de créer une assurance automobile publique à la québécoise serait aussi dû aux menaces de sociétés d’assurance américaines.
Investisseurs étrangers

Le chapitre xi de l’ALENA protège les investisseurs étrangers et leur donne le droit de poursuivre un gouvernement si celui-ci adopte des mesures nuisant ou risquant de nuire à leur capacité de réaliser des profits ; des causes entendues par des tribunaux spécialisés, créés en vertu de l’accord, qui ne tiennent compte que des règles de l’accord. Lone Pine Resources, par exemple, poursuit actuellement le gouvernement canadien pour 250 millions de dollars à cause du moratoire imposé par Québec sur l’exploration du gaz de schiste.

Le RQIC croit qu’il est nécessaire d’évaluer les impacts des accords de libre-échange de façon rigoureuse. Ce triste anniversaire de l’ALENA doit nous rappeler les risques de poursuivre dans la folle logique d’un modèle qui a été un désastre pour l’équilibre de la planète, mais qui en plus renforce les inégalités en servant d’abord les intérêts des multinationales. Nous mettons au défi quiconque de démontrer que nos conditions de travail et notre qualité de vie se sont améliorées depuis vingt ans. Alors que le Canada et le Québec négocient d’autres accords (avec l’Europe et avec l’Asie-Pacifique), il est urgent que s’engage un débat large et informé afin que l’économie soit à nouveau mise au service de la majorité et que les États cessent d’abandonner leur souveraineté à des intérêts privés.


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