Yves Perez est économiste, professeur émérite et ancien doyen de la faculté de droit de l’Université catholique de l’Ouest à Angers. Il a notamment publié Les vertus du protectionnisme (L’artilleur, 2020).
Après avoir été dans un premier temps sonnés par la crise du Covid19, les néolibéraux contre-attaquent. Alain Minc ou Luc de Barochez montent en première ligne pour défendre bec et ongles la mondialisation et le libre-échange. Leurs principaux arguments sont les suivants: 1) La mondialisation n’est pas coupable de la pandémie qui ravage le monde. 2) Le retour du protectionnisme serait une catastrophe et précipiterait le suicide de la France. 3) Il faut absolument réinventer une France mondialiste et libre-échangiste afin d’affronter les nouveaux défis du monde de l’après crise du Covid 19. Nous nous proposons à présent de discuter de façon critique leurs arguments.
La mondialisation: coupable ou non-coupable du Covid-19?
Pour les défenseurs de la mondialisation, la réponse est claire et sans appel. Celle-ci n’est absolument pour rien dans la propagation de cette épidémie. Or l’on peut à bon droit s’interroger sur les causes réelles de cette épidémie - à savoir si elle est née de la vente d’animaux vivants infectés sur le marché de Wuhan ou d’un virus échappé d’un laboratoire de recherche de cette même ville - mais force est de constater que si la Chine n’était pas devenue, grâce à la mondialisation, l’usine du monde, cette épidémie ne se serait sans doute pas propagée avec la même intensité et à la même vitesse.
Si la Chine n’était pas devenue, grâce à la mondialisation, l’usine du monde, cette épidémie n’aurait pas eu la même intensité.
De surcroît, si nous n’avions pas délocalisé, d’une façon inconsidérée les fabrications de nos produits pharmaceutiques et d’équipements médicaux en Chine et en Inde, il est raisonnable de penser que nous aurions pu faire face avec une meilleure réactivité à l’arrivée de cette épidémie.
Il est donc difficile de prétendre que la crise du Covid-19 n’a rien à voir avec la mondialisation.
Le retour du protectionnisme serait-il une catastrophe et signifierait-il le suicide de la France?
Les partisans de la mondialisation soutiennent que la compétitivité de la France repose sur deux piliers: d’une part le tourisme et d’autre part ses grands groupes mondialisés. Refermer nos frontières conduirait au suicide de notre pays. Voyons donc cela de plus près! La première chose est que le protectionnisme ne signifie pas l’isolement. Ce n’est pas parce que la France décidera, de façon sélective, de protéger certains de ses secteurs d’activité stratégiques que les touristes étrangers ne viendront plus passer leurs vacances chez nous et que les grands groupes français ne vendront plus leurs produits à travers le monde.
Le protectionnisme ne signifie pas l’isolement.
À ce propos, il est utile de redire que la France a été protectionniste pendant environ un siècle et qu’elle ne s’en est pas si mal portée. Depuis la fin du XIXe siècle et jusqu’aux années 1970, elle a conservé, à travers les crises et les chocs extérieurs, sa place de quatrième puissance économique et commerciale mondiale. La France avait tissé à travers d’intenses négociations un réseau dense de relations commerciales à l’échelle européenne et mondiale.
Ces éditorialistes confondent allègrement le protectionnisme et l’autarcie. Le protectionnisme est un outil de politique économique qui vise à réguler les échanges extérieurs d’un pays qui, le plus souvent, n’est pas ou n’est plus une économie dominante. Au contraire, l’autarcie est la stratégie d’un pays qui se replie sur lui-même afin de préparer la guerre (l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste ou le Japon des militaires) ou afin de cultiver une utopie nationaliste et révolutionnaire (la Chine de Mao ou la Corée du Nord). Difficile de confondre la France de la IIIe République ou l’Amérique de F. D Roosevelt avec l’une de ces dictatures.
Faut-il réinventer une France mondialiste et libre-échangiste afin d’affronter les défis du monde de l’après Covid19?
Les néolibéraux persistent et signent. La France doit refuser toute forme de protection et s’inscrire dans une nouvelle mouture de mondialisation libre-échangiste. Ils affirment haut et fort leur foi dans la doxa libre-échangiste et cela même si l’un d’eux. Dans l’Express du 30 avril, Nicolas Baverez reconnaît par exemple que «la France est désormais reléguée en deuxième division, très loin derrière l’Allemagne».
Là encore, les néolibéraux commettent deux erreurs. La première est de croire qu’avec une industrie anémiée et réduite seulement à quelques fleurons (le luxe, l’armement, l’aéronautique et le ferroviaire) la France pourra réussir à l’emporter dans la guerre économique extrêmement brutale qui s’annonce, et dans laquelle les grandes puissances comme les États-Unis, la Chine, la Russie ou l’Inde ont toutes déjà recours au protectionnisme et où les Européens font figure de végétariens plongés dans un monde de carnivores.
Le protectionnisme peut jouer un rôle de stabilisateur de l’activité mais aussi stimuler l’innovation et la croissance.
La deuxième erreur est d’ignorer que le protectionnisme est susceptible de revêtir plusieurs formes. Il peut être de nature défensive lorsqu’il consiste à défendre des secteurs menacés par la concurrence étrangère. Il peut être de nature offensive lorsqu’il cherche à promouvoir la substitution d’importations ou à développer de nouvelles activités. Dans ce second cas de figure, le protectionnisme ne joue pas seulement le rôle d’un stabilisateur de l’activité mais aussi d’un stimulant de l’innovation et de la croissance.
Malgré cela, comptons sur nos pamphlétaires pour continuer à nier l’évidence et à réaffirmer, contre vents et marées, leur foi dans le credo libre-échangiste. Il se pourrait toutefois qu’au lendemain du choc économique que nous venons de subir, les potions concoctées par nos docteurs Diafoirus aient quelque peu perdu de leur charme et de leur prestige d’antan.
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