Lettre adressée à M. François Blais, ministre de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Sylvie Barcelo, sous-ministre de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et Rémi Quirion, Scientifique en chef, Fonds de recherche du Québec (FRQ)
Madame, Messieurs, alors que Le Devoir du 31 août faisait état de la récente sortie de l’illustre physicien québécois Pierre Demers concernant le combat de sa vie de centenaire pour la science en français, les directions de 28 des 56 revues scientifiques s’étant qualifiées dans le cadre du dernier concours des Fonds de recherche du Québec (FRQ) venaient d’apprendre qu’elles ne recevraient aucun financement du Québec. Cette décision met en péril l’existence de 28 revues scientifiques québécoises.
Tout comme le monde des médias écrits, mais à une échelle nettement plus réduite évidemment, le milieu de la publication scientifique a connu des bouleversements considérables au cours des dernières années. Le développement des outils sur la toile a complètement modifié les pratiques de diffusion des savoirs. Ainsi, l’accès en ligne aux revues scientifiques s’est largement répandu depuis le début des années 2000. De plus, de récents projets de numérisation rétrospective ont permis de donner une seconde vie à de nombreux articles difficilement accessibles et publiés il y a 15, 30 ou même plus de 100 ans.
Au Québec, la mise en place du consortium Érudit en 2004 a assurément propulsé les revues québécoises, contribuant ainsi largement à leur reconnaissance dans les milieux scientifiques nationaux et internationaux. Des revues qui avaient un tirage papier de moins de 500exemplaires au début des années 2000 sont maintenant consultées par plus de 50 000 « visiteurs » provenant du monde entier ; dans les pays de la Francophonie d’abord, mais également dans les milieux scientifiques francophiles des États-Unis, d’Europe et d’Asie. Véritable succès québécois dans le monde scientifique francophone, Érudit rend actuellement accessibles en ligne les contenus de plus d’une centaine de revues savantes.
Le financement des revues québécoises
Si le consortium Érudit a permis un rayonnement international sans précédent de la production scientifique québécoise, il a aussi conduit les directions des revues à revoir l’organisation de leur financement. Largement encouragées à offrir leur contenu en ligne le plus rapidement possible et gratuitement, les directions de la plupart des revues québécoises ont vu leurs faibles revenus des ventes fondre et sont devenues de plus en plus dépendantes des subventions des organismes gouvernementaux.
Le programme québécois « Soutien aux revues scientifiques », qui existe sous différentes appellations depuis les années 1990, représente, pour les revues scientifiques du Québec, le principal outil d’appui financier. La lecture des rapports annuels des Fonds québécois de la recherche (FQR), accessibles en ligne, nous permet de comprendre que le nombre de revues scientifiques qui ont été considérées comme d’excellente qualité par les comités de pairs, et donc recommandées pour un financement, est passé de 41 à 56 de 2005 à 2015, une croissance de 37 % en 10 ans. Cela témoigne bien de la vitalité de la publication scientifique au Québec et de l’intérêt des jeunes chercheurs et des scientifiques de l’extérieur du Québec qui choisissent les revues francophones québécoises afin d’assurer le rayonnement de leurs travaux scientifiques.
Que fait le Québec pour ses revues scientifiques?
Vingt-huit des cinquante-six revues recommandées pour financement lors du plus récent concours ne recevront aucune subvention du Québec, ni cette année ni l’an prochain. Ces vingt-huit revues produisent ensemble près de 350 articles scientifiques par année, selon les critères d’admissibilité au programme « Soutien aux revues scientifiques ». Ce programme a distribué cette année un peu moins de 700 000 $, soit 0,3 % du budget total que les Fonds de recherche du Québec consacrent annuellement à la recherche universitaire. Oui, moins de la moitié de 1 % du budget des FRQ !
Les membres des directions et comités de rédaction de ces revues scientifiques recommandées mais non financées (environ 250 chercheurs) n’ont cessé d’échanger entre eux depuis cette annonce avec ces questions en tête : est-il réellement possible de continuer ? Pouvons-nous encore contribuer à soutenir la diffusion de la science en français au Québec sans ce financement ?
Ces principaux artisans de la science en français, de même que les lectrices et lecteurs intéressés par la production scientifique originale réalisée et publiée au Québec, ne pourront se satisfaire d’un nouveau discours sur la nécessité de la rigueur budgétaire.
Elles et ils attendent des engagements.
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