Libre opinion - Harper, ou la science orwellienne

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Retour à l'obscurantisme du Moyen-Âge

Dans son livre-culte 1984, Orwell nous décrit un monde où la liberté d’expression n’est plus et où la seule science vraie est celle du régime. « L’ignorance des uns fait la force des autres. »

La série noire scientifique se déroulant sous nos yeux depuis les dernières années au pays n’est pas sans rappeler un monde orwellien. Or, avec sa croisade contre toute science faisant obstruction à ses idées, le gouvernement Harper ajoute un tome à celle-ci : à bas les bibliothèques scientifiques de Pêches et Océans Canada et les ouvrages qu’elles contiennent ! Ces fermetures, connues depuis quelque temps, refont surface alors que la nouvelle s’est propagée en France et fit l’objet d’un texte dans le quotidien Le Monde. La nouvelle en soi ne serait peut-être pas aussi déterminante n’était le fait qu’on se départit d’ouvrages et de données scientifiques sur nos milieux marins recueillis depuis près de 100 ans. Bien qu’on prétende que ces ouvrages ont déjà été numérisés (tâche pourtant gigantesque) ou sont des duplicatas, le doute persiste néanmoins au sein de la communauté scientifique, qui s’inquiète de la perte possible de ces connaissances précieusement acquises.

La réponse de la ministre des Pêches, Gail Shea, pour nous rassurer ? Ces bibliothèques étaient très peu fréquentées par des gens externes du ministère. Et la ministre d’ajouter « qu’il n’est pas équitable pour les contribuables de payer pour des bibliothèques que très peu de gens utilisent ». Bien sûr qu’elles sont peu fréquentées par le grand public, puisqu’elles sont hautement spécialisées et servent principalement de ressources au gouvernement fédéral sur une base scientifique ! Suivant la logique de la ministre, devrait-on aussi fermer la bibliothèque du Parlement ? Absurdité ! Et que dire des 443 000 $ économisés chaque année pour le maintien de ces bibliothèques ? Avec des recettes fédérales prévues à 264 milliards en 2013-2014, des dépenses de l’ordre de 283 milliards et un déficit à combler de près de 19 milliards d’ici la période 2015-2016, une économie d’un million de dollars vaut-elle réellement la perte de décennies de connaissances scientifiques payées à même l’argent des contribuables ? Poser la question…

Bordé par trois océans, le Canada s’est doté d’une expertise unique en ce qui a trait aux milieux marins. Or, il ne fait plus de doute qu’à cause des différentes mesures fédérales prises depuis les dernières années en matière de capacité scientifique, cette expertise ayant fait notre renommée est en train de s’effriter.

Affichant de nettes intentions d’exporter de l’or noir par la voie du Pacifique et de l’Atlantique, en plus d’une volonté bien exprimée d’exploiter les ressources fossiles potentielles de l’océan Arctique, le gouvernement actuel — faut-il s’en étonner ? — écarte un à un les obstacles à l’atteinte de ses objectifs économiques.

Comme dans un jeu d’échecs, on place ses pions : on élague l’effectif scientifique tout en bâillonnant ceux qui restent, pour ensuite assouplir les lois environnementales protégeant nos cours d’eau et milieux marins. On se montre plus permissif à l’égard des pétrolières. Et enfin, on élimine peu à peu les traces de notre savoir scientifique collectif. Quelle sera la prochaine étape ? Suspens !

Est-il possible de mettre fin à cette série noire ? Il y a encore lieu d’espérer.

Rarement aura-t-on vu les scientifiques, souvent peu militants, prendre la parole de manière aussi publique et incisive. Dans un documentaire, Silence of the Labs, diffusé le 10 janvier à la CBC, plusieurs scientifiques sont sortis de leur mutisme pour dénoncer les démarches fédérales des dernières années et sensibiliser le grand public aux effets réels de ce sabotage scientifique. Signe que non seulement les temps changent, mais que la pression fédérale est telle qu’elle s’apprête à mettre fin à la loi du silence. Il nous faut donc espérer que cela ajoute un grain de sable dans l’engrenage qui conduira à un changement de cap !


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