Depuis l’éclatement de « l’affaire Bolduc », on voit ici et là des signes d’exaspération à l’égard de ce « gouvernement de médecins » qui a pris le pouvoir le 7 avril. Le pouvoir est-il différent lorsqu’il est aux mains des « docteurs » ? Si oui, y a-t-il des avantages, des inconvénients ? Hypothèses et intuitions.
Les débats entourant la pratique médicale d’Yves Bolduc ont rappelé de manière spectaculaire que « les médecins » étaient au pouvoir. Couillard, Barrette, Bolduc : une troïka médicale (l’expression est du philosophe Jacques Dufresne) contrôle l’État du Québec. Et comme les trois mousquetaires, ceux-ci sont en fait — on l’oublie ! — un quatuor, car le secrétaire général et greffier du Conseil exécutif, le plus haut des hauts fonctionnaires de l’État, Juan Roberto Iglesias, est aussi médecin ; il fut notamment sous-ministre de Philippe Couillard lorsque ce dernier était ministre de la Santé.
En voilà assez pour alimenter des théories frisant parfois celles du complot… lesquelles ne sont pas toujours totalement dénuées d’intérêt cependant. Plusieurs furent par exemple surpris d’entendre Yves Bolduc rappeler en début de semaine ce que sa formation lui avait enseigné : « Moi, avant d’être politicien, je suis médecin […] ma passion, c’est la médecine. » On peut penser que, parmi ses collègues, un élu médecin aura tendance à considérer de manière différente un autre membre de sa « caste ». Peut-il être tenté de le protéger davantage ? C’était manifeste en tout cas dans les propos du ministre de la Santé, Gaétan Barrette, mercredi, qui répliqua à François Legault avec un argument d’autorité, martelant : « Il ne sait pas de quoi il parle ! » Ce dernier n’avait tout simplement pas le droit de critiquer son collègue Bolduc.
Philippe Couillard a reconnu jeudi ne pas avoir saisi la colère populaire en soutenant que l’affaire Bolduc n’était qu’une « grosse tempête dans un petit verre d’eau ». D’une part, on peut penser qu’une « solidarité médicale » spontanée a aveuglé le premier ministre. D’autre part, son regard de médecin, justement habitué aux rémunérations plantureuses, à l’aisance matérielle, l’a empêché de prendre la mesure de ce que représentait, aux yeux de l’électeur ordinaire, une « prime » de 215 000 $ en plus de deux autres revenus.
Depuis le début du siècle, le vieillissement de la population a installé à demeure la santé au sommet de la liste des priorités des Québécois. Chaque sondage, chaque élection le confirme. Le médecin est toujours en tête (ou pas très loin) du palmarès des métiers et professions. Les Québécois ont accepté de consacrer à cette profession rassurante toujours plus de deniers. Depuis 2003, seuls des médecins ont pu se voir confier le portefeuille du ministère de la Santé (Robert Bourassa, lui, avait tenté d’éviter les docteurs-ministres). Malgré les primes, les augmentations de salaires, plusieurs problèmes demeurent (listes d’attente, accès difficiles), certains s’aggravent. Et la productivité des médecins a diminué.
En 2014, les « docteurs » qui, justement, ont échoué à corriger ces dysfonctions du système se sont hissés aux commandes de l’État. Certains répliqueront que nous avons besoin de médecins pour affronter le pouvoir médical, qui doit faire sa part, un médecin ne respectant qu’un autre membre de sa « caste ». Peut-être. On dira au reste que les médecins ne forment pas un bloc non plus (les spécialistes au pouvoir affrontent les directeurs de santé publique) ! Les quatre docteurs au pouvoir devraient prendre conscience que leur formation les a préparés à soigner, pas à administrer. Et que depuis qu’ils ont été élus, ils ne sont plus médecins d’abord, mais les gardiens du bien public.
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