Réplique à Mathieu Bock-Côté

Prudence et rigueur dans le débat public

ECR - Éthique et culture religieuse



Le 12 mai dernier, j'ai accepté de témoigner au procès sur le droit d'exemption du cours Éthique et culture religieuse (ECR). Je me suis porté à la défense de ce cours en reprenant les arguments présentés dans le rapport de la commission que j'ai coprésidée avec Charles Taylor.
Sur la base de ce témoignage, [Mathieu Bock-Côté m'a pris à partie dans les pages de ce journal (livraison du 15 mai 2009, p. A9)->19784], en m'imputant le dessein de «dissoudre la culture nationale dans le bazar du cosmopolitisme mondialisé». Dans un style triomphant («s'il fallait un aveu, il est là»), mon accusateur y allait ensuite d'un échafaudage rhétorique assez inattendu qui, en conclusion, l'amenait à faire de moi «un des principaux théoriciens du multiculturalisme québécois» et un des artisans de ce qu'il appelle le «multiculturalisme d'État». J'aurais aussi contribué à dévoiler la véritable mission du cours ECR, soit «la conversion forcée du Québec au multiculturalisme» (ou plus précisément: «la reconstruction identitaire de la société québécoise sur le modèle du multiculturalisme»).
Inexactitudes
Ce n'est pas la première fois que Mathieu Bock-Côté s'emploie à déformer ma pensée pour mettre en valeur la sienne. J'ai pris jusqu'ici le parti de laisser faire, jugeant impossible d'instaurer un véritable dialogue dans ces conditions. Mais ici, il s'agit plus que d'interprétations erronées ou tendancieuses, il s'agit de faits aisément vérifiables qui sont carrément dénaturés.
Le jour même de mon témoignage dans le cadre du procès, le Téléjournal de Radio-Canada (Estrie) résumait ainsi mes propos: «Gérard Bouchard affirme que le cours ECR est le meilleur moyen de préparer les jeunes au Québec multiculturel de demain.» Le même média publiait également sur son site Web un second communiqué assez différent. Cette fois, on me faisait dire que le cours était «le meilleur moyen d'aider les jeunes à apprivoiser le multiculturalisme».
Or, mauvaise nouvelle pour mon contradicteur: ces deux communiqués sont inexacts. Je n'ai parlé ni de multiculturel ni de multiculturalisme. Ce que j'ai fait valoir, c'est que le cours ECR me semble un outil indispensable pour permettre aux jeunes Québécois de faire l'apprentissage de la diversité religieuse croissante de notre société (en faire l'apprentissage, c'est-à-dire la connaître, la comprendre et l'accepter car elle est là pour demeurer). Rien de plus.
Vérifier avant d'accuser
Mathieu Bock-Côté n'est pas un scientifique très inquiet. Il aurait pu s'étonner de la nature des propos rapportés, si contraires à tout ce que j'ai écrit dans le passé et en totale rupture avec mes convictions souverainistes qui sont pourtant bien connues. Une vérification sommaire ne s'imposait-elle pas?
Pour ceux et celles qui pourraient douter de mes orientations sur le sujet, je rappelle que la commission que j'ai coprésidée a rejeté très explicitement le multiculturalisme canadien comme modèle pour le Québec (voir la page 122 de notre rapport). Il y a à cela diverses raisons, dont la principale est la suivante: le multiculturalisme canadien postule qu'il n'existe pas de culture nationale ou majoritaire au Canada; or, il se trouve qu'au Québec, il y en a une et que c'est à partir de cette donnée fondamentale qu'il faut penser ici la diversité ethnoculturelle. J'ajoute, s'il est utile, que dans l'enseignement que j'ai offert cette année à l'Université Harvard, plusieurs de mes exposés ont été consacrés à la critique du multiculturalisme. Que faut-il de plus pour dissiper tout malentendu?
Pluralisme
Qu'on ne s'y trompe pas, ce contre quoi Mathieu Bock-Côté en a, en réalité, c'est le pluralisme, c'est-à-dire la gestion de la diversité dans le respect des droits et des prérogatives de chacun. Cette philosophie fait partie des grandes leçons tirées des horreurs de la dernière guerre mondiale, des mouvements de décolonisation du XXe siècle et des luttes d'émancipation des groupes opprimés (autochtones, femmes, minorités religieuses ou raciales, et autres).
Elle est partagée aujourd'hui par toutes les nations véritablement démocratiques. Là où celles-ci diffèrent, c'est dans la façon d'appliquer cette philosophie, dans la manière de la traduire en orientations, en politiques, en programmes.
En conséquence, le pluralisme a donné lieu à l'élaboration de divers modèles. Le multiculturalisme en est un; je le crois inapproprié à la situation du Québec. L'interculturalisme, que les Québécois ont conçu et mis en oeuvre, en est un autre, et c'est dans cette direction que nous devons collectivement poursuivre nos efforts -- comme l'ont souhaité la plupart des intervenants au cours des audiences publiques de notre commission.
Concilier deux impératifs
Quel est l'élément principal de l'interculturalisme québécois? Selon moi, il réside dans la conciliation de deux impératifs qui ne vont pas toujours dans le même sens, à savoir: d'un côté, la survie et le développement de la majorité francophone dans la continuité de son histoire et de ses élans fondateurs, et de l'autre, le respect et l'intégration de la diversité ethnoculturelle apportée par l'immigration (récente ou non). On voit bien tout ce qui sépare ce modèle du multiculturalisme canadien. Dans ce dernier cas, une telle problématique de conciliation est absente, car on n'y conçoit pas de dualité structurelle.
En conclusion, ce n'est pas en usant de subterfuges, en se complaisant dans l'excès et en trahissant le sens des mots qu'on fera avancer le débat sur la gestion démocratique de la diversité au Québec. Il s'agit là d'un défi de taille, aux enjeux complexes et multiples, auquel sont en ce moment confrontées toutes les sociétés contemporaines. À cause de l'émotivité qu'il soulève inévitablement et des dérapages auxquels il peut donner lieu, il importe au plus haut point que ce sujet soit traité avec nuance, rigueur et retenue.
***
Gérard Bouchard, Historien, sociologue, directeur du projet BALSAC et titulaire de la chaire de recherche du Canada sur l'étude comparée des imaginaires collectifs à l'Université du Québec à Chicoutimi

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Professeur, département des sciences humaines,
Université du Québec à Chicoutimi

Coprésident de la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodements liées aux différences culturelles





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