Crise et performance

Que valent ces dirigeants qui carburent aux primes ?

Les assistés politiques...

Dans le temps de l'Union nationale, et bien avant sans doute, plus d'un Québécois rêvait d'être «placé» à la Commission des liqueurs. L'ancêtre de la Société des alcools payait peu, mais, au moins, elle vous sortait de la misère. C'était avant l'aide sociale. Encore fallait-il «connaître quelqu'un» proche du gouvernement. Et comme de raison, aider aux élections ne nuisait pas.
Partout, des pouvoirs «progressistes» avaient aboli la prohibition et, pour apaiser les esprits rigoristes, promis que l'alcool serait étatisé, réglementé et surtout arraché aux Al Capone de l'époque. Bien sûr, on n'avait pas dit aux curés scandalisés ni aux épouses inquiètes que le monopole de l'État obligerait les distilleries à fournir aux caisses électorales. Au Québec, il fallut attendre, pour l'apprendre, une enquête sur le crime organisé.
Les temps ont changé, mais on n'arrête pas le progrès. Les commis et caissiers de la SAQ sont désormais syndiqués. Et les pauvres bougres qui auraient bien aimé ranger les bouteilles doivent frapper plutôt au Bureau de l'aide sociale. L'ancienne classe d'assistés politiques y avait été éliminée. Une nouvelle prendra la place: ces hauts dirigeants et autres managers plus honorables que les bootleggers d'antan mais, pour plusieurs, non moins cupides.
La Révolution tranquille était passée par là. Elle n'allait pas libérer seulement l'alcool; le jeu n'a pas tardé à suivre. Les barbottes et les machines à sous de la pègre, longtemps illégales et tenues de se cacher, ne faisaient cependant, au diable ne plaise, que des ravages limités. Le bingo paroissial étant passé de mode, tout le Québec allait désormais, société distincte oblige, s'adonner lui aussi aux loteries.
À Loto-Québec également, la modération n'ayant pas de limite, il fallut cette fois aider les victimes du jeu compulsif. Un suicide est mauvais pour l'image. Mais, comme à la SAQ, c'est une compulsion, non la modération, qui allait définir le traitement des hauts dirigeants et autres grands tenanciers. Primes et bonis n'allaient pas être laissés au hasard.
L'avenir par contre ne tient pas à la roulette. Pendant que ces assistés de luxe s'accrochent à leur privilège, les Québécois d'aujourd'hui, émancipés par leur gouvernement, pourront fréquenter de plus en plus les casinos en ligne de par le monde et gagner, les pauvres, des milliards!
Bref, si le Québec avait autrefois ses buveurs et ses joueurs, désormais il aura connu, fruit imprévu d'une politique d'État, une dépendance de masse à l'alcool et au jeu. Pourquoi gagner sa vie en travaillant, quand on peut s'enrichir en jouant? Et pourquoi s'employer à résoudre ses problèmes quand on peut les noyer? Néanmoins, il y a pire, semble-t-il, que la dépendance à ces dérivatifs traditionnels.
Excès de rémunération
La ruée vers l'enrichissement personnel sévit au sein d'une nouvelle classe dirigeante, celle de prétendus bâtisseurs de l'État et de l'économie du Québec. Plusieurs d'entre eux ont excellé, il est vrai, à supplanter les «maîtres de Westmount», de coloniale mémoire, mais leur «performance» laisse voir, dans les services publics comme dans les sociétés privées, des failles de plus en plus béantes.
On se moque ces jours-ci de la Grèce et de ses retraités parasitaires, mais ce pays n'est pas le seul à ruiner le Trésor public pour soutenir une fausse économie. On feint aussi de se scandaliser des banquiers de Wall Street qui empochent des primes sur la ruine de millions de petites gens. Mais le Québec ne manque ni d'emplois artificiels ni d'experts trop grassement rétribués. Qui donc, en effet, a contribué aux débandades financières des dernières années?
Dans le privé comme dans le public, l'excès de rémunération repose sur le dogme qu'il faut rétribuer la compétence sous peine d'aller droit à l'échec. Aux entreprises qui craignent de perdre leurs dirigeants s'ils ne leur concèdent pas davantage que chez les concurrentes, un Stephen Jarislowsky tient depuis quel-ques années un discours clair et net, qui vaut aussi pour les gouvernements.
Qu'on laisse partir ces ambitieux insatiables, estime-t-il. Ils ne travaillent que pour l'argent et pour eux-mêmes, et n'ont aucune loyauté envers les milieux et les gens qu'ils sont censés servir. On pourrait ajouter qu'ils stimulent l'appétit d'autres profiteurs. Cette caste prolifère aux dépens des clients, des employés, des actionnaires et du public. Si elle était aussi indispensable qu'elle le prétend, aurait-elle présidé à autant de déconfitures?
Les leaders authentiques donnent l'exemple. En période de crise, ils ne sacrifient pas le simple soldat, le salarié modeste, le travailleur vulnérable. Ils pratiquent les premiers l'austérité, le partage des sacrifices, et une franche solidarité. Or, à en croire un patron de la SAQ, telle n'est pas la philosophie des écoles de management. Ni même, à voir les discriminations que l'on y trouve encore, celle de certaines universités. Faut-il dès lors se surprendre qu'il faille une loi pour ramener la raison en haut lieu?
Le gouvernement du Québec songe à une telle mesure. D'aucuns se demanderont cependant pourquoi le cabinet ne désigne pas d'abord des gestionnaires qui aient avant tout le sens de l'intérêt public. À quoi servira-t-il d'avoir à la tête des sociétés d'État, comme le premier ministre Jean Charest s'y est engagé, autant de femmes que d'hommes, si cette nouvelle génération succombe à son tour à la même folie?
Le Québec n'est pas aussi riche qu'on le croit. Avant de compter à la cenne près la pitance des assistés sociaux, on pourrait réduire le BS de luxe pour les assistés politiques. Du même coup, qui sait, cela pourrait aussi freiner l'aide publique aux entreprises douteuses.
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.


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