(Québec) La question a longtemps tiraillé les politiciens fédéraux : What does Quebec want (mais que veut le Québec) ? Aujourd'hui, c'est directement du Québec qu'on se la pose. Au cours des prochains mois, les partis qui ont le moins mobilisé les électeurs francophones lors de la dernière élection les courtiseront plus que jamais. C'est notamment le cas des libéraux, qui aborderont le sujet de front à leur Congrès-Jeunes, les 10 et 11 août.
Le président sortant des jeunes libéraux, Stéphane Stril, en est convaincu : les Québécois ont soif de grands projets. Et celui qui mobilisera les francophones vers son parti pour l'élection de 2022 sera le chantier de l'économie verte. Très verte.
« Pour se reconnecter à la société francophone, il ne faut pas juste traiter de petites mesures qui vont lui plaire. Il faut vraiment la rassembler autour d'un projet de société ambitieux, porteur, qui intéressera l'ensemble des Québécois. Qu'ils vivent en ville ou en région », défend M. Stril en entrevue avec La Presse.
Le Parti libéral du Québec (PLQ) mène ces jours-ci une opération charme auprès des « francos ». Aux dernières élections, la formation politique a essentiellement été reléguée à Montréal, maintenant une présence affaiblie en Outaouais et une seule circonscription arrachée dans l'est, à Québec.
« À la lumière des résultats du 1er octobre, un constat s'impose : le Parti libéral doit faire des gestes concrets afin de rebâtir les ponts avec la majorité francophone », écrivent les jeunes libéraux dans leur document de consultation en amont de leur congrès.
Stéphane Stril, qui milite pour que l'environnement soit officiellement inscrit dans la charte du parti comme une valeur libérale, croit que l'économie verte lui permettrait de se distinguer de ses adversaires, tant la Coalition avenir Québec (CAQ) que Québec solidaire.
« C'est un changement social qu'on veut apporter [en décarbonisant] l'économie québécoise d'ici 2050. »
- Stéphane Stril, président sortant des jeunes libéraux
« On dit que le Parti libéral est le parti de l'économie, mais c'est une réputation que la CAQ a aussi. Nous, pour nous distinguer, on veut devenir le parti de l'économie verte. On est le seul parti à pouvoir être crédible sur ce plan, alors que Québec solidaire n'est pas capable [de l'être] en économie et que la CAQ n'a pas cette crédibilité en environnement », poursuit le président de la commission jeunesse, qui réunira les 10 et 11 août près de 400 délégués au Congrès-Jeunes à l'Université Laval.
Orage identitaire en vue
Or, l'enjeu qui a marqué la dernière saison politique, et qui a été au coeur de la dernière campagne électorale, est campé sur un autre terrain que celui de l'environnement. C'est celui de l'identité.
Mais des sujets comme la laïcité, « c'est un terrain miné [où] la piste d'atterrissage n'est pas très claire pour le PLQ », analyse Luc Fortin, ex-député libéral, qui travaille aujourd'hui dans l'industrie des sondages et comme commentateur politique.
« Il y a une inquiétude parmi les Québécois francophones quant à la protection de leur identité. Ils veulent se sentir écoutés et surtout ne pas se faire donner des leçons. »
- Luc Fortin
Cette inquiétude, estime-t-il, est aussi partagée par des militants libéraux. Lors du dernier conseil général du parti, à Drummondville, des délégués de la Mauricie sont d'ailleurs montés au micro pour défendre le compromis Bouchard-Taylor. Leur intervention suivait celle d'autres militants qui prônaient plutôt une défense forte des libertés individuelles.
La députée Dominique Anglade, officiellement dans la course à la direction du parti pour succéder à Philippe Couillard, souhaite pour sa part débattre de l'enjeu. À l'opposé, l'ex-ministre Pierre Moreau - qui ne sera pas de la course - met tout son poids politique pour défendre la position historique du parti.
« Le clivage au Québec entre les régions et Montréal [sur cet enjeu] existe aussi au PLQ », dit l'ancien député libéral de Sherbrooke.
« Pour certains, la défense des libertés individuelles demeure la raison d'être du parti, ajoute M. Fortin. C'est un débat qui crée des clivages dans les instances. »
Selon lui, le terrain des relations intergouvernementales canadiennes et une défense plus nationaliste des intérêts du Québec sont des chantiers plus porteurs pour les libéraux.
Offensive régionale
Au-delà des divisions identitaires, les instances officielles du Parti libéral mènent depuis des mois des opérations charme en région. L'ex-ministre et ex-journaliste Véronyque Tremblay, nouvellement directrice générale du parti et organisatrice en chef, rencontre d'ailleurs cet été les 125 présidents de circonscription pour relancer le parti.
Pour cette ancienne élue de la région de Québec, elle-même originaire du Saguenay - Lac-Saint-Jean, il est important que le Parti libéral « reconnecte » avec toutes les régions. Cet automne, dévoile Mme Tremblay, les députés libéraux à l'Assemblée nationale deviendront parrains et marraines de régions, pour que celles qui ne sont pas représentées par le parti au Parlement soient défendues par l'opposition officielle.
« On amorce plusieurs démarches pour consulter nos militants. Les gens apprécient l'exercice », précise-t-elle.
Si la majorité des élus libéraux proviennent du Grand Montréal, ne cherchez pas la métropole sur la route des officiers du parti des derniers mois. Après une rencontre des présidents d'associations libérales à Bécancour, l'hiver dernier, puis le conseil général du parti à Drummondville, les libéraux se réuniront de nouveau à Sherbrooke cet automne pour lancer leur course à la direction. Cet évènement suivra le Congrès-Jeunes, à Québec, et précédera un congrès à la direction du parti en 2020 « dans l'est du Québec ».
Retrouver ses bases
Simon Langlois, professeur émérite du département de sociologie de l'Université Laval et auteur de quelques livres, dont Le Québec change, croit pour sa part que le PLQ devrait davantage faire la promotion active de la francisation et de l'État providence. Cela reconnecterait le parti à ce qui a fait sa force durant la Révolution tranquille.
« C'était l'un des grands problèmes du gouvernement Couillard de ne pas assez mettre l'accent sur la francisation. Je pense que c'est une politique qui rallie les Québécois et qui emporte leur adhésion, tant en ville qu'en campagne. »
- Simon Langlois, professeur à l'Université Laval
Selon lui, les Québécois sont également attachés aux interventions de l'État. « On le voit par exemple lorsqu'il arrive une catastrophe, comme les inondations du printemps, dit-il. On se tourne vers le gouvernement. »
« Avec le temps, c'est comme si le Parti libéral s'était éloigné de ces deux grandes orientations, poursuit M. Langlois. La francisation [et l'intervention de l'État dans toutes les sphères de la société, dont en économie] avaient marqué la prise du pouvoir des libéraux pendant la Révolution tranquille. [...] Le PLQ doit se reconnecter à tout cela. »