Quiproquos

L'enjeu a beau être véritable et la cause des plus justes, les porte-parole d'une culture en déroute devront peut-être réviser leur plan de communication s'ils souhaitent ébranler la population.

Harper et la culture

Que c'est navrant! Si uni soit-il, le front des artistes contre les compressions en culture agace la population autant qu'il l'exaspère. Des confusions alimentent le mythe de l'artiste geignard, ronchonnant la panse pleine, ce qui contribue au mépris populaire.
Délicieuse, la comédienne Anne Dorval avançait à pas feutrés dimanche, sur le plateau de Tout le monde en parle, pour défendre la culture. «Serai-je mal interprétée? Vais-je alimenter le mythe de l'acteur qui fait pitié et se plaint?» Son message avait beau être senti et sensé, ses réserves n'en étaient pas moins justifiées. Les artistes ont une nouvelle teinte de rouge aux joues, car le public réserve un accueil glacial à ces «gâtés» qui regimbent.
Des vedettes du petit écran et de la grande scène à l'ego nourri par les applaudissements et les cotes d'écoute viendraient pleurer sur leur sort sur l'épaule du contribuable impuissant? Elles profiteraient de leur statut de star pour venir le convaincre, lui, citoyen anonyme, de l'importance de la Culture? À d'autres!
Mais quand Michel Tremblay, Robert Lepage et Vincent Graton crient leur indignation, ils se placent en défenseurs de la culture comme base de l'identité d'un peuple et nourriture de l'esprit. Le public, lui, voit la vedette d'un «star system» qu'il envie et honnit tout à la fois pleurnicher pour une meilleure pitance. Cela donne lieu à un véritable dialogue de sourds.
Usant de leur visibilité pour dénoncer et convaincre, ces acteurs connus et reconnus parlent surtout pour l'artiste clandestin qui ne jouit d'aucune tribune mais pâtira directement des compressions à venir. Ils n'ont pas oublié qu'ils ont déjà été cet inconnu sans le sou animé par la fibre créatrice. Plus que tout, ils savent fort bien qu'ils pourraient un jour retourner à ce pénible anonymat.
Peu importe leur manière de jongler avec le dossier, les artistes choquent au lieu d'émouvoir. Ils exacerbent chez certains une triste inculture. En voulant chatouiller le courroux populaire, c'est à une sinistre indifférence qu'ils se heurtent. Ironiquement, cette réaction vient confirmer l'importance de la diffusion de la culture et du développement de la création, ne serait-ce que pour aérer les esprits et déboulonner les mythes.
Entre autres confusions, on a voulu démontrer que la culture avait récemment profité de budgets en hausse. La Conférence canadienne des arts publie une étude qui remet les pendules à l'heure: non seulement ce budget a-t-il été gonflé artificiellement, mais une redistribution des sommes a ensuite bénéficié davantage au volet sport et multiculturalisme qu'à celui soutenant les arts et les institutions culturelles.
Les préjugés servent donc bien mal la mobilisation du milieu culturel. Les artistes eux-mêmes n'en sont d'ailleurs pas à l'abri. Que l'on pense à la gloire instantanée du sketch Culture en péril, circulant sur YouTube: si savoureuse soit-elle, la mise en scène insinue qu'un fossé d'incompréhension entre le Québec francophone et le Canada anglophone explique les compressions en culture, comme si seul le Québec culturel allait en pâtir. Une coûteuse maladresse...
L'enjeu a beau être véritable et la cause des plus justes, les porte-parole d'une culture en déroute devront peut-être réviser leur plan de communication s'ils souhaitent ébranler la population. Pour l'instant, le public n'est pas conquis.


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