Radicalisation au sein des services publics : le cas du service de propreté de Paris

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L'islamisation de la France : rappel de ce qui se passe au Québec

Un nouveau dossier arrive sur le bureau de Martine*, ce lundi à Paris, au service des ressources humaines de la ville. Un agent surpris par un collègue en train de faire sa prière pendant son temps de travail. Cette directrice des ressources humaines en a vu d'autres. "J'ai vécu un entretien où un jeune refusait tout simplement de travailler sous l’autorité d’une femme", raconte à Marianne cette ancienne cadre de la propreté. Et la responsable d'énumérer des incidents, selon elle balayés par la ville, comme celui-ci lors d'une visite dans l'un des ateliers du centre de la capitale : "On m'a tendu le coude, une fois, pour ne pas avoir à me serrer la main".


Aujourd'hui, la fonctionnaire se dit lasse. En plus de trente ans de carrière à Paris, elle a comme l'impression d'avoir "perdu la bataille" face à la montée de l'islamisme. Et le sentiment d'avoir été abandonnée face à un problème "mis sous le tapis" depuis des années. "Il m'arrive de traiter des cas comme ces petits véhicules de nettoiement garés devant la mosquée à l’heure de la prière alors qu’ils devraient être en service", soupire-t-elle. Des faits déjà mis au jour à la RATP, un peu moins dans les services de la municipalité. "C'est délicat, humainement, reconnaît-elle. Dans ces cas-là, j’essaie d’être pédagogue mais comment voulez-vous faire comprendre à un agent qui, par ailleurs, fait bien son métier, que des comportements de ce genre n’ont pas leur place au travail ?".


"Il existe des individus prêts à mettre des coups de canif dans le contrat républicain et qui avancent pas à pas"


L'année dernière, près d'une dizaine de dossiers pour "fait religieux" sont passés dans les bureaux de la direction de la propreté et des eaux (DPE). Des cas remontés par les employés. "L'an dernier, un agent nous rapporte avoir vu son collègue faire la prière dans les vestiaires. Nous avons sanctionné l’encadrement parce qu’il y avait eu des manquements dans l’application de la laïcité, nous raconte le directeur de la propreté et de l'eau à la ville de Paris, Olivier Fraisseix. A chaque fois que l’on a un problème, on convoque, on auditionne et on enquête. Dans le cas présent, nous avons sanctionné l’encadrement, l’agent en question a été suspendu et l'équipe redistribuée".


Difficile de connaître le nombre exact de rappels à l'ordre prononcés par l'administration. Depuis 2016, seuls trois cas de radicalisation ont été transmis à la préfecture de police à la suite de blâmes. Sur 7.500 agents employés à la propreté de Paris, cela reste très peu. "Mais la radicalisation n'existe qu'à la surface du problème", relève le député Eric Poulliat (LREM), co-rapporteur avec Eric Diard (LR) d'une enquête sur la "radicalisation dans les services publics", dont le rapport est rendu ce mercredi 26 juin. "Dans certains services de la ville, poursuit le député, le mot de laïcité ne peut tout simplement plus être prononcé. Dans certains cas, c'est la faute des acteurs eux-mêmes qui utilisent la laïcité à tort, alors qu’il s’agit seulement du respect du règlement, et la situation se tend. Mais il faut bien le reconnaître, il existe aussi des individus prêts à mettre des coups de canif dans le contrat républicain et qui avancent pas à pas".


"Ce sont des sujets qui traînent depuis des années et qui s’aggravent de jour en jour", nous confirme un délégué de l'UNSA, syndicat majoritaire auprès des cadres de la ville. Depuis 2015, celui-ci se plaint de vestiaires "affectés à une pratique religieuse", de "bagarres pour les frigidaires où certains ne veulent pas que les collègues mettent de porc" et autres incidents du genre. D’autres employés dénoncent le manque d’égards de certains employés envers les femmes, quand ce n’est pas le refus pur et simple de travailleur sous leurs ordres. Lors d'une rencontre avec les DRH de la ville en janvier 2016, déjà, l’UNSA s’inquiète "d'une pratique ancienne connue (sur laquelle les hautes sphères ont fermé les yeux), particulièrement dans les directions opérationnelles".


"Une prise de conscience a eu lieu en 2015, après les attentats, affirme Françoise Riou, secrétaire générale de la CGT auprès des agents de propreté. Cela fait quinze ans qu'on en parlait, personne ne voulait nous entendre". Au mois de juin de cette année noire, la ville de Paris, dirigée par Anne Hidalgo (PS), ouvre enfin au secrétariat général un bureau dédié à cette question. La conseillère Lucile Bertin est installée dans ses fonctions de "référente laïcité" auprès des différents services de la ville. L'ancienne directrice de la communication de Lionel Jospin reçoit alors pour mission de "prévenir la radicalisation" et de garantir "une laïcité d'inclusion".


"Cette surveillance, accompagnée de délation, stigmatise immanquablement nos collègues musulmans"


La Mairie, qui souhaite au maximum éviter le passage par des procédures disciplinaires, dégaine alors… un livret d'une quinzaine de pages sur le sujet, adressé au personnel. Un fascicule rédigé avec l'Observatoire parisien de la laïcité, censé répondre aux interrogations des agents : "Que dois-je faire avec des agents qui interrompent le travail pour prier ?", "comment réagir lorsqu’un agent cherche à promouvoir une religion au sein de son équipe ?". Spoiler : le manuel se contente de rappeler les règles à respecter dans une entreprise publique, dont l'obligation de neutralité des fonctionnaires dans leur service.


Dans le même volet de la pédagogie, des formations sont proposées aux employés de la ville. Lesquelles suffisent à faire bondir la CGT, qui se dit préoccupée "du contenu que peuvent prendre les séances de formation". Le syndicat n’apprécie pas qu’une adresse ait été mise en place pour enjoindre aux agents de rapporter les signes de radicalisation chez leurs collègues : "Cette surveillance, accompagnée de délation, stigmatise immanquablement nos collègues 'musulmans' et développera le racisme et les conflits entre collègues". "Pour parler de ces questions de manière non-stigmatisante, nous avons mis en place un 'café laïcité', un moment qu’on partage, comme un théâtre-forum, où les agents peuvent discuter à travers des petites saynètes", leur répond le directeur de la DPE, Olivier Fraisseix, se félicitant du travail accompli.


Alors que 1.200 agents municipaux sont passés par ces formations, Martine s'interroge sur la lucidité de la ville. "Ils n'ont pas conscience de l'état réel de la situation. Il y a deux ans, l’un des chefs d’équipe qui allait être sanctionné me jurait qu'il avait bien 'subi' la formation. Et il maîtrise parfaitement le français, croyez-moi : c'est un lapsus, et très révélateur". Les encadrants sont parfois dépassés par une situation qu'ils n'osent pas gérer par crainte du retour de bâton. "J’ai été traitée de raciste, d’islamophobe, ça m’a fait mal", se souvient cette "fille d'ouvriers, de gauche, et descendante d'immigrés italiens".


"De toute façon, le problème remonte à la politique de recrutement de la ville", diagnostique une autre fonctionnaire passée par la direction de la propreté. En cause, la politique des "grands frères" mise en place par la mairie depuis une vingtaine d’années qui, au nom de la paix sociale, 'fermait les yeux sur les méthodes de ces 'petits chefs' dans leurs ateliers. Ajoutez-y l'arrivée des femmes dans la profession, et vous obtenez les problèmes actuels…".


Après la démission de l'ancien adjoint à la propreté, Mao Peninou, parti se consacrer à la campagne européenne auprès d'En Marche, c'est Paul Simondon qui devra défendre le bilan de la mairie dans ce domaine aux municipales de l'année prochaine. Dans les rangs des syndicats, on dit l'agrégé de mathématiques préoccupé par la question. Voire. "Tant qu’il n’y a pas de scandale, tout va bien. Et s’il y en a un, on dira que c’est un cas isolé, résume un employé du service, qui fut longtemps responsable des enquêtes administratives menées à Paris. Mais la ville ne pourra éternellement fermer les yeux sur la situation".



*Le prénom a été modifié