La brutalité avec laquelle le régime tunisien réprime la société civile prouve, comme si besoin était, que Ben Ali n'est pas un président autoritaire, mais bel et bien un homme abonné à tous les vices qui font la dictature. De l'arbitraire à la torture, sans oublier évidemment le détournement de richesses publiques, le général Ben Ali a fait ses délices.
D'abord circonscrite dans les villes de l'arrière-pays, voilà que la contestation a gagné hier la capitale et convaincu de fait Ben Ali de déployer l'armée dans les rues de Tunis, alors que jusqu'à présent la répression fut menée par la police. Au tableau du morbide, les autorités ont inscrit un peu plus de 30 morts et davantage de blessés, chiffres qui contrastent quelque peu avec ceux des syndicats qui ont dénombré au-delà de 50 personnes tuées par balle et beaucoup, beaucoup de blessés, sans compter les dizaines et dizaines de jeunes emprisonnés pour avoir exprimé une colère née et alimentée par le désespoir.
Ces jeunes, à l'endroit desquels Ben Ali a utilisé la béquille chère aux potentats en les qualifiant de terroristes lors d'une intervention crépusculaire, sont aux prises avec un taux de chômage plus massif que ne veut bien l'admettre le statisticien en chef. L'officiel 24 % cache un taux réel de 35 %, avec tout ce que cela suppose de pression financière sur leurs familles. Ils sont diplômés pour rien ou plutôt détenteurs d'un certificat, on le répète, en désespoir à long terme. En effet, la crise économique ayant accosté les côtes de ce pays, on s'attend à des mois et des mois, pour ne pas dire des années de marasme à cause notamment d'une chute brutale du nombre de touristes et d'une délocalisation massive d'entreprises en direction de la Chine.
Le moteur de leur révolte est là, mais également dans la captation de biens publics par la famille du président et de ses proches. À l'instar de ce qui a été constaté en Égypte et en Algérie, Ben Ali a tiré profit, c'est le cas de le dire, de la vague de privatisations de sociétés d'État pour s'enrichir aux dépens, faut-il le rappeler, du bien commun. Histoire de ne pas être inquiété, cet adepte des pleins pouvoirs a charcuté la Constitution à des fins outrancières.
En effet, en 2002 il a modifié la loi fondamentale de manière à ce que le président greffe des pouvoirs à des pouvoirs aussi nombreux qu'étendus, qu'il puisse briguer autant de mandats présidentiels qu'il le souhaite et enfin qu'il bénéficie d'une immunité judiciaire à vie. Trois ans plus tard, il en a remis une louche. Il a fait voter par des députés qui sont plus des vassaux que des élus, des politiciens, l'allocation de privilèges à lui et sa famille dès qu'il quittera sa fonction.
Entre ces deux dates, en 2003 pour être exact, Ben Ali a fait adopter une loi antiterroriste qui lui a permis de réprimer encore et toujours plus. Lorsqu'on s'attarde à l'inventaire des brutalités commandées depuis son coup d'État en 1987, sans effusion de sang il est vrai, c'est à se demander si cette loi ne fut pas un permis de réprimer le vide. On s'explique. Peu après qu'il se fut installé à la tête de l'État, Ben Ali a laminé tout ce qui ressemblait de près ou de loin aux droits de la personne, à la liberté d'expression, à l'égalité devant la loi, etc. Bref, les opposants laïques ont été torturés, emprisonnés, voire assassinés. Puis, en 1993, il a écrasé le courant islamiste, considéré comme modéré comparativement à celui d'autres pays, en jetant 30 000 sympathisants dans les geôles. Autrement dit, l'opposition organisée est exsangue. Ne restait plus au peuple qu'à exprimer le seul sentiment qui lui restait: la révolte.
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