La Commission européenne (CE) a peur. Les marchés financiers également, ainsi que les dirigeants de diverses nations. La cause ? Les uns et les autres craignent que la gauche dite radicale sorte victorieuse des élections, en Grèce d’abord et en Espagne ensuite. Retour sur une angoisse percluse de paradoxes.
Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a osé ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait osé : il s’est invité dans le débat des élections grecques qui se tiendront à la fin du mois. Il a affiché sa préférence en ces termes : « Je n’aimerais pas que des forces extrêmes arrivent au pouvoir. » Il préférerait « revoir des visages familiers en janvier ». Par forces extrêmes, Juncker entend celles qui ont fondé le parti Syriza, qui, selon les sondages, est en avance sur « les visages familiers » de l’alliance conservatrice qui a gouverné le pays au cours des dernières années. En fait, les conservateurs se sont davantage comportés en administrateurs du cocktail d’austérité confectionné par la troïka — la Banque centrale européenne (BCE), le FMI et l’Union européenne — qu’en gouvernants.
Dans la foulée de Juncker, le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a emprunté les accents qui distinguent le préfet de discipline pour mieux asséner ceci : « Les nouvelles élections ne changeront pas les accords que nous avons passés avec le gouvernement grec. Tout nouveau gouvernement sera tenu par les engagements pris par ses prédécesseurs. » Histoire de ne pas être en reste, le commissaire européen à l’économie, Pierre Moscovici, paravent de la fraude politique qu’est le Parti socialiste français, a menacé comme suit : « La Grèce doit respecter les engagements pris et mettre en place les réformes qui s’imposent. » Fermez le ban !
Lorsqu’on ajoute le chantage exprimé par divers banquiers de la City, on obtient un sous-texte. Lequel ? Les militants et élus de Syriza ainsi que leur chef, Alexis Tsipras, et leurs homologues espagnols du parti Podemos sont des… bolcheviques ! Étrange, très étrange, quand on songe que, contrairement aux partis d’extrême droite qui ont envoyé une flopée d’élus au Parlement européen de Strasbourg, ni Syriza ni Podemos n’ont inscrit l’abandon de l’euro à leur programme. Envisagent-ils la nationalisation des banques ? Non !
Étrange, extrêmement étrange, lorsqu’on songe qu’avant d’être président de la CE, Juncker fut ministre des Finances et premier ministre du Luxembourg dix-huit ans durant. Et alors ? Il a mis à profit ses pouvoirs en transformant le Luxembourg en un paradis fiscal qui, contrairement à la Suisse ou au Liechtenstein, ne se présente pas comme tel légalement. Il a été l’architecte d’un programme qui a garanti des avantages fiscaux énormes à plus de 340 multinationales. Bref, il a saigné — indirectement, il va sans dire — les recettes fiscales de la Grèce, de l’Espagne, de la France et d’autres. Ce faisant, il a été l’artisan du dégoût qu’éprouvent des centaines de milliers d’Européens pour Bruxelles.
Étrange, bigrement étrange, lorsqu’on songe qu’au lendemain de la crise de 2008, qualifiée de pire crise depuis celle des années 1930, les autorités dites compétentes ont dressé la liste des 25 établissements financiers Too Big to Fail ou trop gros pour que l’État se permette de les laisser faillir. Depuis lors, rien ou si peu n’a été fait pour modifier la culture d’entreprises qui disposent de droits refusés aux moins « grosses ». On insiste : les gouvernements ne se sont pas attelés à la réduction du risque que les BNP, Deutsche Bank et autres font peser sur des millions et des millions de citoyens.
Étrange, affreusement étrange, lorsqu’on songe que le quotidien allemand Bild, plus gros tirage du pays, et d’autres avec lui ont traité les Grecs comme une bande de paresseux et de profiteurs. Comme si, pour être plus exact, l’ADN de la magouille était une exclusivité grecque. Bon. Il est vrai qu’il est beaucoup plus facile de filmer la fameuse piscine construite sur les hauteurs d’Athènes afin d’illustrer le topo télévisé sur le filou local que de filmer le chiffre inscrit sur une feuille de papier déposée dans le coffre d’une banque sise à Zurich et qui décline, lui, le montant des détournements fiscaux effectués par les 1000 plus importantes fortunes allemandes.
Cela étant, les programmes des partis grec et espagnol consistent d’abord et avant tout à mettre entre parenthèses les politiques d’austérité qui ont eu les effets contraires de ceux avancés, ainsi que l’a d’ailleurs reconnu… le FMI ! En d’autres termes, ces partis veulent redonner à la démocratie la qualité qu’on lui prête. Au fond, c’est cette ambition qui effraie.
ÉLECTIONS EN GRÈCE ET EN ESPAGNE
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