HISTOIRE

René Lévesque, héros en France malgré lui

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Lévesque était pro-américain, mais c'est en France qu'il reçu ses appuis


Cet été, René Lévesque aurait eu 100 ans. Jusqu’au 24 août prochain, date anniversaire, Le Devoir souligne sur toutes ses plateformes la mémoire du fondateur du Parti québécois, l’un des plus grands premiers ministres de l’Histoire du Québec, avec la série 100 ans de René Lévesque.


« Baptême qu’il va vite ! » Selon son ami Yves Michaud, c’est par ces mots pleins de prudence que René Lévesque aurait accueilli les paroles du général Charles de Gaulle prononcées du haut du balcon de l’hôtel de ville de Montréal un certain 24 juillet 1967. On ne provoque pas facilement l’enthousiasme de celui qui s’apprête alors à quitter le Parti libéral pour fonder le Mouvement souveraineté-association, qui donnera ensuite naissance au Parti québécois.


« Si Lévesque éprouve alors un malaise, ce n’est pas tellement à cause de ce que dit de Gaulle, parce qu’il ne veut pas être bousculé », raconte l’ancienne ministre des Relations internationales et de la Culture Louise Beaudoin. « Il voulait suivre sa propre démarche et ne pas avoir l’air d’être à la remorque de qui que ce soit. » Dans sa chronique du Dimanche-Matin, il saluera d’ailleurs Charles de Gaulle par ces mots : « Vive de Gaulle — et d’abord pour nous-mêmes. »


Plus tard, il précisera que cette « formidable injection de fierté » aura paradoxalement eu pour effet de retarder sa démarche, afin de ne pas paraître « accroché à cette intervention du dehors ».


Il faut dire que, contrairement à nombre de souverainistes de cette époque qui ont souvent étudié à Paris, l’ancien journaliste a un tropisme nettement américain. Ses classes, il les a faites comme reporter de guerre dans l’armée étasunienne. Sans compter qu’il est un admirateur inconditionnel de Roosevelt. Or, le père du New Deal préféra toujours faire confiance à Vichy plutôt qu’au chef de la France libre, trop insoumis au goût de Washington. C’est peut-être pourquoi, dès son élection en 1976, ce n’est pas à Paris, mais à la porte de l’Economic Club de New York, que le nouveau premier ministre péquiste ira d’abord cogner. Il aura beau invoquer la guerre d’indépendance des États-Unis, la réaction fut glaciale.


À l’aube du référendum de 1980, il importait donc de réagir vite afin de montrer que le Québec n’était pas totalement isolé dans le monde. Et à qui d’autre que la France pouvait-on faire appel ? Dès 1972, avec Bernard Landry et Louise Beaudoin, le chef du PQ y avait tissé des liens aussi bien à droite qu’à gauche. Il en était même revenu en parlant pour la première fois du Québec comme d’« un prolongement humain de la France », souligne Louise Beaudoin.


Un triomphe


 

Mais c’est en 1977 que tout se joue. Ce sera un véritable « triomphe », écrit l’historien Frédéric Bastien dans Relations particulières. La France face au Québec après de Gaulle (Boréal). Reçu en chef d’État du 2 au 4 novembre, au grand dam d’Ottawa, René Lévesque sera reçu à l’Élysée et prononcera un discours remarqué devant des représentants de l’Assemblée nationale. Il sera même fait grand officier de la Légion d’honneur, une distinction qui n’avait été décernée à aucun homme d’État canadien depuis Wilfrid Laurier en 1897.


Pourtant, rien n’était gagné. Après la visite de De Gaulle au Québec, Valéry Giscard d’Estaing (VGE) n’avait-il pas dénoncé « l’exercice solitaire du pouvoir » ? Tout devait normalement rapprocher ce fervent fédéraliste européen du premier ministre Pierre Trudeau. Mais même sans de Gaulle, le gaullisme se révéla néanmoins le plus fort.


Photo: Archives Gouvernement de la FranceRené Lévesque et Valéry Giscard d’Estaing lors d’un des voyages du premier ministre québécois en France.

Autour de VGE, on retrouve son représentant pour le Québec, Alain Peyrefitte, et le fidèle Bernard Dorin. Pour ces pionniers de l’ouverture de la France sur le Québec, l’élection d’un premier ministre souverainiste n’est que l’aboutissement du mouvement d’émancipation qui secoue la province et qu’ils ont accompagné depuis deux décennies.


« Je crois que VGE s’est sincèrement laissé convaincre, dit Louise Beaudoin. Car, durant cette visite, René Lévesque séduit littéralement les Français. Il leur raconte notre histoire, qui est aussi la leur jusqu’en 1763, et ça marche ! » Paniqué, Gérard Pelletier, alors ambassadeur du Canada à Paris, prendra même la peine de convoquer une conférence de presse. Du jamais vu.


La presse française est largement favorable au Québec. Chose impensable aujourd’hui, durant toute sa visite, René Lévesque fait la une du quotidien Le Monde. « Le sentiment d’éloignement a cédé la place, dans les relations entre les deux peuples, à celui de parenté — et donc, tout naturellement, de solidarité », écrira son rédacteur en chef, André Fontaine.


C’est lors de cette visite que sera inscrite dans le marbre la doctrine dite de la « non-ingérence et non-indifférence », selon les mots d’Alain Peyrefitte.


« Vous déterminerez vous-même, sans ingérence, le chemin de votre avenir, dit le président. Vous en avez le droit et vous en avez la capacité. Ce que vous attendez de la France — je le sais pour avoir vécu parmi vous —, c’est sa compréhension, sa confiance et son appui. Vous pouvez compter qu’ils ne vous manqueront pas le long de la route que vous déciderez de suivre. »


Ainsi fut fixée la politique qui sera reprise avec des nuances de Valéry Giscard d’Estaing à François Hollande. Même François Mitterrand finira par s’y rallier à reculons. Seul Nicolas Sarkozy refusera, en 2008, d’en reprendre les termes.


C’est aussi en 1977 que seront instituées les visites annuelles alternées des premiers ministres français et québécois, dont un des artisans est Pierre-André Wiltzer, chef de cabinet du premier ministre Raymond Barre. « Sauf à reconnaître le Québec comme un État souverain, on voit mal comment la France aurait pu aller plus loin », note la diplomatie américaine dans un bilan cité par Jean-François Lisée.


C’est dans l’épreuve, dit-on, que l’on reconnaît ses véritables amis. René Lévesque fera sa seconde visite officielle en France sept mois seulement après l’échec du référendum de 1980. Si la déception se lisait sur les visages, le premier ministre Raymond Barre demeura droit dans ses bottes. « Aucun de vos efforts pour affirmer la personnalité du Québec ne saurait laisser la France indifférente », dit-il.


Moins d’un an plus tard, Lévesque fera face à François Mitterrand, l’un des seuls politiciens français à n’être jamais tombé sous son charme brouillon. Mais des personnalités de la taille de Michel Rocard, Jean-Pierre Chevènement et Hubert Védrine veillaient au grain. Si bien qu’une fois élu, après bien des hésitations et sans reprendre tout à fait la même formulation, Mitterrand se calera finalement dans la doctrine gaulliste comme il s’était accommodé des habits de la Ve République. Son appui sera d’ailleurs déterminant pour assurer un siège au Québec à l’Organisation internationale de la Francophonie.


L’ami Mauroy


C’est alors que René Lévesque nouera une véritable amitié avec Pierre Mauroy. Sous le charme, le premier ministre socialiste n’avait pas hésité à entonner avec la foule « Mon cher René, c’est à ton tour… » alors qu’il était en visite au Saguenay.


Ce fut le coup de foudre, dit Beaudoin. « Lévesque aimait ce socialiste pragmatique issu comme lui d’un milieu populaire et qui n’avait pas les manières du 7e arrondissement ; il se retrouvait dans sa façon d’être. » Les deux hommes pourront même avoir des mots durs à l’occasion, sans que cela ternisse leur amitié.


En 1985, ce sera la visite d’adieu. Chacun savait que Lévesque était sur son départ. L’occasion était aussi belle de souligner les 20 ans de la coopération France-Québec. Déléguée générale à Paris, Louise Beaudoin se fait du souci. D’autant que le jeune premier ministre Laurent Fabius, aux allures d’aristocrate, ne semble pas vraiment taillé sur mesure pour un Lévesque de plus en plus imprévisible. Pourtant, la magie opère ; c’est même Fabius qui sauvera le consulat général de France à Québec, dont l’existence était remise en cause. Comme le dit Louise Beaudoin : « Tout le monde finissait par succomber à son charme. »


Tout le monde ? À ses funérailles, dans le petit cimetière de Sillery, les « amis américains » ne sont pas venus. Même les gouverneurs des États limitrophes sont absents. La seule délégation étrangère sera celle de la France ; elle sera composée de deux anciens premiers ministres, Jacques Chaban-Delmas et Pierre Mauroy, ainsi que de Xavier Deniau.


C’est ce dernier qui, en 1967, avait soumis à de Gaulle l’idée que, pour éviter de passer par Ottawa, il pourrait venir en bateau. Là où tout avait commencé.



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