Je n'ai pas été étonné de lire, la semaine dernière dans nos pages Forum, [Martine Tremblay condamner la télésérie sur René Lévesque->12695]. L'historienne de formation, qui a été directrice de cabinet de Lévesque, a publié il y a deux ans [Derrière les portes closes, sur les années au pouvoir du fondateur du Parti québécois->rub129]. Elle y conteste d'autres biographies consacrées à l'ancien premier ministre, en particulier celle de Pierre Godin qui a inspiré la série de Radio-Canada.
Dans son livre de quelque 700 pages, Martine Tremblay reproche entre autres à Pierre Godin son portrait d'un homme brisé, cassé et éteint, à la fin de son règne politique et de sa vie. C'est du reste ce qu'elle reproche aux scénaristes de René, le destin d'un chef, Geneviève Lefebvre et Jacques Savoie.
Leur "produit bas de gamme", écrit-elle, n'a pas su éviter le piège du simplisme. Cette série est "d'une consternante pauvreté" et "d'une consternante insignifiance", a-t-elle ajouté mardi au micro de Christiane Charette, à l'occasion d'un débat radiophonique inspiré avec l'acteur Emmanuel Bilodeau, qui incarne René Lévesque à la télévision.
Bilodeau s'est défendu en mettant en doute l'impartialité de Martine Tremblay, en s'interrogeant sur ses motivations et en l'accusant de "torpiller" cette série, qui est pourtant supérieure à celle qui l'a précédée en 2006 (la réalisation de Pierre Houle est autrement plus dynamique que celle de Giles Walker).
Emmanuel Bilodeau ne manque pas de passion pour sa série. Il est d'ailleurs excellent dans le rôle de René Lévesque, en évitant l'écueil du mimétisme. "On veut que ce soit émouvant", dit-il. René, le destin d'un chef l'est par moments, notamment pendant les discours archi-connus de la victoire électorale de 1976 et de la défaite référendaire de 1980, qui sont l'occasion d'habiles mariages entre images d'archives et de fiction.
Emmanuel Bilodeau a raison de défendre sa série et Martine Tremblay n'a pas tort de la critiquer, notamment en remarquant que certaines scènes sont dignes de sketchs de RBO. Michel Charrette pousse un peu trop la note dans sa caricature de Jean Garon; la scène où Claude Morin (Guy Nadon) accepte une enveloppe brune d'un agent de la GRC sous un lampadaire de la porte Saint-Jean n'est pas plus subtile.
Les faiblesses de René, le destin d'un chef, comme le souligne Martine Tremblay, tiennent essentiellement aux limites de son scénario (réduit de six à quatre épisodes). On a parfois l'impression que les acteurs déclament de façon théâtrale des passages de la biographie de Pierre Godin. Mais Mme Tremblay exagère lorsqu'elle prétend que cette télésérie "n'instruit pas et ne renseigne pas". Sans doute n'y apprend-elle rien qu'elle ne sache déjà. Mais je n'étais sûrement pas le seul à ignorer que Lise Payette avait proposé que l'on remplace "La Belle Province" par "Je me souviens" sur les plaques d'immatriculation.
Martine Tremblay reproche aux auteurs de la série de colporter des "faussetés". Elle offre à l'appui quelques exemples: René Lévesque ne sacrait jamais et Corinne Côté n'est pas arrivée en même temps que lui à une réunion du PQ à l'Auberge Handfield. "On induit les gens en erreur", dit-elle encore, à propos d'une scène où tous tapent du poing dans une réunion du Conseil des ministres.
M'est avis que Martine Tremblay cherche là des poux à une série qui a bien d'autres problèmes. Son intervention a cependant le mérite de relancer le débat sur la vérité et la vraisemblance dans les téléséries de fiction. Jusqu'où peut-on aller dans la représentation de personnalités publiques? Peut-on incarner des gens connus sans se faire accuser d'embellir ou d'enlaidir la réalité? La télévision est-elle prisonnière de ses conventions au point de ne pouvoir se permettre, comme au théâtre, d'exagérer le trait pour aller à l'essentiel? Vastes questions, auxquelles je n'ai pas de réponses.
René, le destin d'un chef n'est pas un documentaire. C'est une fiction. Avec tout ce que cela sous-entend de possibilités d'évocations, de synthèses, voire de raccourcis. Il s'agit d'une fiction honnête, quoiqu'imparfaite, qui à mon sens ne trahit pas l'essence des faits ni ne travestit la vérité (contrairement aux Lavigueur, du même auteur, qui prétendait raconter "la vraie histoire" et "rétablir les faits", de manière tendancieuse).
Forcément, ceux qui ont bien connu René Lévesque ne le reconnaissent pas tout à fait dans le portrait qu'on a fait de lui à la télévision. C'est normal. Martine Tremblay a déjà dit qu'elle considérait René Lévesque comme son "deuxième père". Sa vision de cette figure paternelle est évidemment différente de celle des autres. Ceux qui ont fait l'Histoire n'ont pas l'apanage de sa reconstitution. C'est sans doute mieux ainsi.
René Lévesque n'était peut-être pas aussi expansif que le personnage interprété par Emmanuel Bilodeau à la télévision. Ses proches disent qu'il était d'une discrétion maladive avec Corinne Côté. Sans doute qu'ils ne s'embrassaient pas constamment en public comme le laissent entendre les scénaristes. Mais se peut-il que M. Lévesque ait succombé plus souvent que ne le prétend Martine Tremblay à ses émotions? Qu'il ait vécu des nuits d'angoisse? Peut-on tuer un homme, un homme, pas un sans-abri inconscient (comme l'ont retenu les biographes), sans en être profondément bouleversé? Cela m'étonnerait. Même de la part d'un monument de sang-froid et de contenance tel René Lévesque.
Martine Tremblay n'a pas tout à fait raison de critiquer la série sur René Lévesque, et Emmanuel Bilodeau, pas tout à fait tort de la défendre. Mais tous deux souffrent à mon avis de ne pas avoir assez de recul vis-à-vis de l'homme, de la série qui porte son nom et du contexte historique qu'elle dépeint. Le regard posé de près sur l'icône peut-il être vraiment détaché?
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