La première fois que j’ai parlé à Lisa Packard, c’était il y a près d’un an, au printemps 2019. À l’époque, les cas de rougeole montaient en flèche en Amérique du Nord. Les scientifiques blâmaient les absurdités propagées par les anti-vaxxers et on avait décidé, pour mieux comprendre le phénomène, d’aller dans un endroit qui regorge de gens sceptiques face aux vaccins : Portland, en Oregon.
Là-bas, ce sont moins les croyances religieuses qui poussent les parents à ne pas immuniser leurs enfants. C'est plutôt un désir un peu hippie de pureté, de ne pas s’empoisonner avec toutes sortes de substances dites toxiques qui seraient vendues par l’industrie pharmaceutique, simplement pour s’enrichir.
Au moment de notre visite, Lisa, qui est enseignante dans une école primaire, m’avait sorti toutes sortes de statistiques qu'elle avait trouvées sur Internet sur les prétendus effets néfastes des vaccins.
D’ailleurs, au printemps 2019, 9 des 14 articles les plus partagés sur Facebook à propos des vaccins pouvaient être liés aux anti-vaxxers, selon des données compilées par l’Atlantic Council.
Il y a quelques jours, j’ai rappelé Lisa pour voir comment elle percevait toute cette crise et si son opinion sur la vaccination avait changé.
Elle avoue être particulièrement torturée en ce moment. D’un côté, sa hantise des vaccins est toujours bien profonde. En même temps, elle est enfermée chez elle, terrifiée par le virus.
Je n’ai pas peur de la rougeole ou de la grippe. Je n’ai jamais eu la grippe de ma vie, dit-elle. Mais avec la COVID-19, j’ai l’impression que les gens l’attrapent le jeudi et que le lundi, ils sont morts.
En plus, les gens ne peuvent pas recevoir de visiteurs à l’hôpital. Donc tu meurs tout seul. C’est terrifiant.
Quand je lui demande comment le monde va venir à bout de la COVID-19, elle hésite. Elle parle de l’importance d’avoir une « bonne hygiène » et « de rester à la maison » mais elle reconnaît qu’on ne pourra pas rester enfermé de manière éternelle.
Elle ajoute : Ce serait bien qu’on développe une immunité collective, [...] comme ils essaient de faire en Suède où ils laissent tout le monde dehors.
Oui, mais ça pourrait entraîner bien plus de décès
, je lui réponds.
Je sais et je ne veux pas voir plus de morts. Il faudra voir comment ça se passe en Suède.
Et le vaccin, s’il y en a un, est-ce que vous allez le prendre?
Je ne sais pas. J’ai peur qu’ils fassent ce vaccin à la va-vite [...]. Mais si je peux bien faire mes recherches, peut-être.
On voit déjà plus d’ouverture qu’il y a un an.
Convaincre ceux qui hésitent, pas les « purs et durs »
Tim Caulfield, un professeur de droit et de santé publique à l’Université de l’Alberta, s’est beaucoup intéressé aux anti-vaxxers dans son livre The Vaccination Picture.
Pour lui, si le mouvement anti-vaccin a pu prendre tant d’essor dans les dernières années, c’est parce qu’on ne se souvenait plus d’un monde où l’on souffrait massivement de maladies infectieuses, comme la polio ou le choléra.
Ce que je trouve intéressant de cette crise, c’est qu’on en train de réaliser ce que c’est que de vivre dans un monde sans vaccins.
Il pense d’ailleurs que les anti-vaxxers vont avoir du mal à défendre leurs arguments dans les prochains mois, alors que la planète entière se mobilise pour trouver un vaccin.
Bien sûr, il y a les purs et durs, ceux qui verront toujours les vaccins comme un produit dangereux.
Au bout du fil, Ted Kuntz, le président de Vaccine Choice Canada, un groupe d’anti-vaxxers, ne montre, par exemple, aucun signe de fléchissement : S’il y a un vaccin contre la COVID, je ne veux pas le prendre.
Il pense d’ailleurs que d’obliger les Canadiens à se faire immuniser serait une violation de nos libertés individuelles
.
Mais ces purs et durs représentent moins de 5 % de la population au Canada, selon le professeur Tim Caulfield.
Par contre, le nombre de Canadiens qui ont des doutes par rapport aux bienfaits de la vaccination est beaucoup plus élevé. Environ 30 % des gens au pays estiment que la science autour des vaccins n’est pas tout à fait claire
, selon un sondage Angus Reid réalisé en ligne l’an dernier auprès de 1723 personnes.
Et, d’après M. Caulfield, ce sont ces « sceptiques mous » qui pourraient fléchir dans les prochains mois et se rallier à la science.