Semaine 18 de l’intervention russe en Syrie : une escalade dramatique semble imminente

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Les prochains jours sont cruciaux

Au cours de la première phase de l’opération, les forces armées syriennes étaient hors d’état d’atteindre un succès stratégique immédiat. C’est assez peu surprenant. Il est important de se rappeler ici que pendant les premières semaines de l’opération, les Russes ne fournissaient pas de soutien aérien rapproché aux Syriens. Au lieu de quoi, ils ont choisi de démolir systématiquement toute l’infrastructure de Daech (Note : quand je dis Daech, je me réfère à tous les terroristes en Syrie), ce qui comprend les postes de commandements, les nœuds de communication, les dépôts de pétrole, les dépôts de munitions, les voies d’approvisionnement, etc. C’était un travail important, mais il n’a pas eu d’impact immédiat sur l’armée syrienne. Ensuite, les Russes se sont consacrés à deux tâches importantes : repousser Daech dans la province de Lattaquié et frapper le commerce illégal de pétrole entre Daech et la Turquie. Le premier objectif était nécessaire pour protéger la force d’intervention russe et le second a frappé les finances de Daech. Ensuite, les Russes se sont mis sérieusement à fournir un soutien aérien rapproché. Non seulement cela, mais ils se sont impliqués directement dans les opérations au sol.


La seconde phase a été introduite graduellement, sans fanfare, mais elle a fait une grande différence sur le terrain : les Russes et les Syriens ont commencé à travailler étroitement ensemble et ils ont rapidement porté leur collaboration à un niveau quantitativement plus élevé, qui a permis aux commandants syriens d’utiliser la puissance de feu russe avec une grande efficacité. De plus, les Russes ont commencé à fournir de l’équipement moderne aux Syriens, y compris des chars T-90, des systèmes d’artillerie modernes, des radars de contre-batterie, des dispositifs de vision nocturne, etc. Enfin, selon divers rapports russes, les équipes russes d’opérations spéciales (le plus souvent des Tchétchènes) ont aussi été engagées dans des lieux-clés, y compris loin sur les arrières de Daech. Résultat, l’armée syrienne est passée pour la première fois des succès tactiques aux victoires opérationnelles : pour la première fois, les Syriens ont commencé à libérer des villes d’importance stratégique.


Enfin, les Russes ont lancé une puissance de feu incroyablement intense sur Daech le long de secteurs essentiels du front. Au nord de Homs, les Russes ont bombardé un secteur pendant 36 heures d’affilée. Selon le dernier rapport [vidéo en russe, NdT] du ministère russe de la Défense, entre le 4 et le 11 février, le groupe d’aviation russe en République arabe syrienne a accompli 510 sorties de combat et a visé 1888 cibles terroristes. Ce genre de pilonnage féroce a produit l’effet escompté et l’armée syrienne a commencé à se déplacer lentement le long de la frontière turco-syrienne tout en menaçant en même temps les forces de Daech encore déployées dans la partie nord d’Alep. En pratiquant ainsi, les Russes et les Syriens ont menacé de couper la route de ravitaillement vitale qui relie Daech à la Turquie. Selon des sources russes, les forces de Daech étaient si démoralisées qu’elles ont forcé les populations locales à fuir vers la frontière turque et ont tenté de se dissimuler au sein ce déplacement intérieur de civils.


Cette victoire stratégique russe et syrienne a fait que tous les pays qui soutiennent Daech, dont la Turquie, l’Arabie Saoudite et les États-Unis, ont été confrontés à un échec total de leurs efforts pour renverser Assad et briser la Syrie et en transformer une partie en Djihadistan. Les Américains n’ont pas pu l’admettre, évidemment; quant aux Saoudiens, leurs menaces d’envahir la Syrie étaient assez risibles. Ce qui a laissé le rôle principal à Erdogan, qui était plus qu’heureux de fournir à l’Occident encore un autre allié délirant désireux d’agir de manière totalement irresponsable uniquement pour dénier à l’autre camp tout ce qui pourrait ressembler à une victoire.


Erdogan semble envisager deux options. La première est une opération au sol en Syrie destinée à restaurer les lignes d’approvisionnement de Daech et empêcher l’armée syrienne de contrôler la frontière. Voici une bonne illustration de ce à quoi cela pourrait ressembler (tiré d’une vidéo de SouthFront) :



Selon divers rapports, Erdogan a 18 000 soldats soutenus par l’aviation, les blindés et l’artillerie prêts à intervenir le long de la frontière pour mener une telle invasion.


Le second plan est encore plus simple, du moins en théorie : créer une zone d’exclusion aérienne sur toute la Syrie. Erdogan a mentionné personnellement cette possibilité plusieurs fois, et la dernière jeudi 11 février.


Inutile de le dire, les deux plans sont absolument illégaux selon le droit international et constitueraient un acte d’agression, le «crime international suprême», selon le tribunal de Nuremberg, «qui diffère des autres crimes du fait qu’il les contient tous». Rien qui dissuade un mégalomane comme Erdogan.


Erdogan, et ses partisans à l’Ouest, clameront évidemment qu’un désastre humanitaire, ou même un génocide, se déroule à Alep, qu’il y a une responsabilité de protéger (R2P) et qu’aucun Conseil de sécurité de l’ONU n’est nécessaire pour entreprendre une telle action clairement humanitaire. Ce serait Sarajevo version 2 ou Kosovo version 2, une fois de plus. Les médias occidentaux sont aujourd’hui activement occupés à diaboliser Poutine et, tout récemment, ils ont offert les sujets suivants à la réflexion des pauvres âmes qui les écoutent encore :



  1. Poutine a probablement ordonné le meurtre de Litvinenko.

  2. Poutine a ordonné le meurtre de Litvinenko parce que celui-ci était sur le point de révéler que Poutine est pédophile (sérieusement, je ne blague pas, vérifiez par vous-même !).

  3. La Troisième Guerre mondiale pourrait commencer avec l’invasion de la Lettonie par la Russie.

  4. Selon le Trésor américain, Poutine est un homme corrompu.

  5. Selon George Soros, Poutine veut la désintégration de l’Union européenne et la Russie représente une plus grande menace que les djihadistes.

  6. La Russie est si effrayante que le Pentagone veut quadrupler le budget pour la défense de l’Europe.

  7. Poutine est en train de renforcer État islamique en Syrie et de provoquer une vague de réfugiés.


Inutile de continuer la liste – vous voyez l’idée. C’est vraiment la Bosnie, le Kosovo, l’Irak, la Libye, une fois de plus, avec exactement les mêmes larmes de crocodile humanitaires et exactement les mêmes arguments en faveur d’une agression illégale. Et au lieu de Sarajevo, «ville martyre assiégée par les bouchers serbes», nous aurons Alep «ville martyre assiégée par les bouchers syriens». Je m’attends même à des séries d’actions sous fausse bannière prochainement à Alep, prouvant que le monde doit agir pour empêcher un génocide.


La grande différence, bien sûr, est que la Yougoslavie, la Serbie, l’Irak et la Libye étaient presque sans défense face à l’Empire anglo-sioniste. Mais pas la Russie.


En termes strictement militaires, la Russie a franchi un certain nombre d’étapes cruciales : elle a déclaré une vérification à grande échelle de la préparation au combat des districts militaires du sud et du centre. Pratiquement, cela signifie que toutes les forces russes sont en état d’alerte, en particulier les forces aérospatiales, les forces aéroportées, les forces de transport militaire aérien et, bien sûr, les forces russes en Crimée et la Flotte de la Mer Noire. Le premier effet pratique de tels exercices n’est pas seulement de rendre un grand nombre de forces disponibles immédiatement, mais cela rend aussi très difficile à l’ennemi de comprendre exactement ce qu’elles font. Il y a aussi des rapports faisant état du fait que les forces aéroportées d’alerte et de contrôle (AWACS) – A-50M – volent maintenant régulièrement au-dessus de la Syrie. Autrement dit, la Russie a fait les préparatifs nécessaires pour entrer en guerre avec la Turquie.


Inutile de dire que les Turcs et les Saoudiens ont aussi annoncé des exercices militaires conjoints. Ils ont même annoncé que l’aviation saoudienne lancera des frappes aériennes depuis la base d’Incirlik en soutien à une invasion de la Syrie.


Simultanément, les Russes ont aussi lancé une initiative de paix centrée sur un cessez-le-feu général débutant le 1er mars ou même, selon les dernières fuites, le 15 février. Le but est transparent : briser l’élan de la Turquie pour une invasion de la Syrie. Il est évident que les diplomates russes font tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter une guerre avec la Turquie.


Là encore, je dois répéter ce que j’ai déjà dit un million de fois dans le passé. Le petit contingent russe en Syrie est dans une position très précaire : très loin de la Russie et très près (45 km) de la Turquie. Non seulement cela, mais les Turcs ont plus de 200 avions de combat prêts à attaquer, alors que les Russes ont probablement moins de 20 SU-30/35/34 en tout. Oui, ce sont des avions très avancés, de la génération 4++, et ils seront soutenus par des systèmes S-400, mais le rapport des forces reste un terrible 1:10.


La Russie a cependant un grand avantage sur la Turquie : elle a beaucoup de bombardiers longue portée, armés de bombes conventionnelles et de missiles de croisière, capables de frapper les Turcs partout, en Syrie et en Turquie proprement dite. En fait, la Russie a même la capacité de frapper les aérodromes turcs, quelque chose que les Turcs ne peuvent pas empêcher et à laquelle ils ne pourront pas répondre. Le grand risque pour la Russie, alors, serait que l’OTAN interprète cela comme une agression russe contre un État membre, en particulier si la (tristement) célèbre base d’Incirlik est frappée.


Erdogan doit aussi envisager un autre risque réel : celui que les forces turques, quoique indubitablement compétentes, pourraient ne pas suffire face aux Kurdes et aux Syriens aguerris, en particulier si ces derniers sont soutenus par des forces iraniennes et du Hezbollah. Les Turcs ont obtenu des résultats plutôt irréguliers contre les Kurdes, qu’ils dominent habituellement en puissance de feu et en nombre, mais qu’ils ne sont jamais parvenus à neutraliser, à soumettre ou à éliminer. Enfin, il y a la possibilité que les Russes puissent utiliser leurs troupes au sol, en particulier si la force opérationnelle de Khmeimim est réellement menacée.


À ce propos, permettez-moi de dire immédiatement que la projection, disons, d’une force aéroportée si loin de la frontière russe pour protéger un petit contingent comme celui de Khmeimim n’est pas quelque chose pour lequel les Forces aéroportées sont conçues, du moins pas selon le manuel. Pourtant, en théorie, s’ils étaient confrontés à une attaque possible sur le personnel russe à Khmeimin, les Russes pourraient décider de débarquer une force aéroportée de la taille d’un régiment, environ 1200 hommes, totalement mécanisés, avec blindés et artillerie. Cette force pourrait être complétée par un bataillon d’infanterie navale de plus de 600 hommes supplémentaires. Cela pourrait ne pas sembler beaucoup comparé aux supposés 18 000 hommes que Erdogan a massés à la frontière, mais gardez à l’esprit que seule une partie de ces 18 000 hommes serait disponible pour toute attaque terrestre de Khmeimin et que les Forces aéroportées russes modernes peuvent transformer même une force beaucoup plus importante en viande hachée (pour une vue sur les forces russes aéroportées modernes, regardez ici). Franchement, je ne vois pas les Turcs tenter d’envahir Khmeimin, mais toute opération terrestre turque importante rendra un tel scénario au moins possible et les commandants russes ne se paieront pas le luxe de supposer que Erdogan est sain d’esprit, pas après le tir qui a abattu le SU-24. Après cela, les Russes doivent tout simplement prévoir le pire.


Ce qui est clair, c’est que dans toute guerre entre la Russie et la Turquie, l’OTAN devra prendre une décision essentielle : l’Alliance est-elle prête à entrer en guerre avec une puissance nucléaire comme la Russie pour protéger un cinglé comme Erdogan ? Il est difficile d’imaginer les États-Unis/OTAN faire quelque chose de si fou, mais malheureusement, les guerres ont toujours le potentiel pour échapper rapidement à tout contrôle. La théorie militaire moderne a développé beaucoup d’excellents modèles d’escalade mais, malheureusement, aucun bon modèle pour entamer une désescalade (du moins aucun dont je sois informé). Comment doit-on calmer le jeu sans avoir l’air de se rendre ou au moins d’admettre qu’on est le camp le plus faible ?


La situation actuelle est pleine d’asymétries dangereuses et instables : la force d’intervention russe en Syrie est petite et isolée et elle ne peut pas protéger la Syrie de l’OTAN ou même de la Turquie, mais dans le cas d’une guerre de grande ampleur entre la Russie et la Turquie, cette dernière n’a aucune chance de gagner, pas la moindre. Dans une guerre conventionnelle opposant l’OTAN et la Russie, je ne vois personnellement pas un camp ou l’autre perdre (quoi que signifient perdre et gagner dans ce contexte) sans engager d’abord des armes nucléaires. Cela me suggère que les États-Unis ne peuvent pas permettre à Erdogan d’attaquer la force d’intervention russe en Syrie, pas lors d’une invasion au sol et, encore moins, au cours d’une tentative d’établir une zone d’exclusion aérienne.


Le problème pour les États-Unis est qu’il n’y a pas de bon choix pour atteindre leur but primordial en Syrie : empêcher la Russie de gagner. Dans les esprits délirants des dirigeants anglo-sionistes, la Russie n’est qu’une puissance régionale qui ne peut pas être autorisée à défier la nation indispensable. Et pourtant, c’est exactement ce que fait la Russie à la fois en Syrie et en Ukraine, et toute la politique russe d’Obama est en ruines. Peut-il se permettre d’apparaître si faible en une année électorale ? L’État profond américain peut-il laisser humilier l’Empire et exposer sa faiblesse ?


Les dernières informations me font fortement penser que la Maison Blanche a pris la décision de laisser la Turquie et l’Arabie Saoudite envahir la Syrie. Des dirigeants turcs disent ouvertement qu’une invasion est imminente et que le but d’une telle invasion serait de d’inverser les avancées de l’Armée syrienne le long de la frontière et près d’Alep. Les derniers rapports suggèrent aussi que les Turcs ont commencé à bombarder Alep. Rien de tout cela ne pourrait se passer sans le plein soutien du CENTCOM et de la Maison Blanche.


L’Empire a apparemment conclu que Daech n’est pas assez fort pour renverser Assad, du moins pas lorsque les forces aérospatiales russes le soutiennent, donc il veut maintenant lâcher les Turcs et les Saoudiens dans l’espoir de changer l’issue de cette guerre ou, si ce n’est pas possible, de tailler la Syrie en zones de responsabilité – tout cela sous le prétexte de combattre Daech, bien sûr.


La Force d’intervention russe en Syrie est sur le point d’être sérieusement menacée et je ne vois pas comment elle pourrait traiter cette menace seule. J’espère vraiment beaucoup avoir tort ici, mais je dois admettre qu’une véritable intervention russe en Syrie pourrait avoir lieu, après tout, avec des MiG-31 et tout. En fait, ces tous prochains jours, nous allons probablement assister à une escalade dramatique du conflit en Syrie.


The Saker


L’article original est paru sur Unz Review


Traduit par Diane, vérifié par Ludovic, relu par Diane pour le Saker francophone



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