Après la crise

Sortie de crise, retour de la gestion politique

On veut votre bien

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Tribune libre

Ce qui surprend et impressionne dans la gestion gouvernementale de la crise du coronavirus, c’est l’aplomb du Premier ministre et de son équipe. Cet aplomb s’explique par la décision de suivre à la lettre les recommandations des experts en santé publique du Québec représentés par le Docteur Arruda. M. Legault a pris rapidement des décisions qui allaient rendre la vie difficile aux Québécois, alors que plusieurs doutaient encore du sérieux de la situation. Il est clair que les Québécois ont apprécié la rigueur de leur Premier ministre. Ils l’ont appréciée d’autant plus que la rigueur intellectuelle est disparue depuis longtemps de la gestion gouvernementale québécoise.


Le gouvernement du Québec, particulièrement depuis la révolution tranquille, dépense des milliards de dollars en biens et services à chaque année. Les entreprises du Québec et d’ailleurs font depuis toujours des pressions sur les politiciens pour obtenir leurs parts de contrats et même progressivement influencer les choix de projets du gouvernement ainsi que les modalités de réalisation. Les spécialistes des ministères étaient souvent en désaccord avec les propositions mises sur la table par les ministres à l’écoute des milieux d’affaires et ils ont été finalement considérés comme des fauteurs de troubles.


Au début des années quatre-vingt la fonction publique avait encore une bonne crédibilité et les spécialistes des ministères étaient respectés. Les hauts fonctionnaires soumettaient naturellement les projets à leur équipe de spécialistes. La pratique qui s’est installée graduellement c’est que le gestionnaire frustré par un avis défavorable sur un projet soumettait la requête à un autre spécialiste ou à une autre équipe. Les spécialistes qui étaient plus accommodants, plus souples dans leurs recommandations, ont été vite identifiés et ont obtenu les promotions.


La fonction publique s’est vidée de son expertise. Les experts qui étaient en demande ont quitté pour le privé et les autres ont été démotivés. Les nouveaux diplômés ont bien perçu que la fonction publique provinciale ne représentait plus un défi intéressant. Les ministères ont révisé leurs critères d’embauche. On a privilégié les gestionnaires généralistes, les professionnels en ressources humaines et les spécialistes en communication. Le besoin crée l’organe et le nouveau besoin nécessitait surtout un organe de communication et de propagande. Il fallait convaincre les électeurs que le gouvernement fait ce qu’il faut. La nouvelle fonction publique était née.  


On connaît la suite avec les scandales de collusion, de dépassement de coût et de projets mal foutus dans les ministères responsables des ressources naturelles, des transports et des technologies. Les dénonciations et les enquêtes ont rendu plus difficile le financement illégal des partis politiques et autres retours d’ascenseur, ainsi que l’utilisation de stratagèmes connus, mais la résistance immunologique du système gouvernemental aux attaques du corruptavirus demeure extrêmement déficiente.


Mon expérience personnelle de désenchantement je l’ai vécue au ministère des Finances. J’avais délaissé l’enseignement des mathématiques au niveau collégial pour entreprendre des études en économie avec l’objectif de contribuer éventuellement au rattrapage économique du Québec en Amérique du Nord. J’ai été engagé au Bureau de la statistique du Québec à la fin de 1983 et j’y ai retrouvé des jeunes spécialistes en méthodes mathématiques enthousiastes, heureux comme moi et comme beaucoup d’autres à travers la fonction publique, de mettre leurs compétences au service de la population québécoise, qui avait financé leurs études jusqu’à l’université.


Je faisais partie d’une équipe de recherche en économie basée sur des méthodes quantitatives. Après quelques années l’équipe a été dissoute dans le cadre d’une consolidation de la recherche économique au ministère des Finances. Je me suis retrouvé dans une équipe de développement de méthodes quantitatives appliquées à la gestion de la dette au sein du secteur du financement du ministère. C’était un défi très intéressant pour moi et auquel je me suis consacré de 1988 à 2003. Le ministère allouait suffisamment de ressources à notre équipe et nous avons développé des instruments de gestion très sophistiqués et performants.


Ce fut quand même quinze ans de lutte désespérante à essayer de faire accepter nos recommandations par le groupe qui était responsable des opérations. Ce groupe a toujours eu l’appui des autorités du ministère et au bout du compte mon équipe a été placée sous son autorité en raison de mon obstination. En pratique c’était la mise au rancart de l’approche que nous avions développée. Il n’y avait pas matière à scandale, nous étions probablement les seuls emprunteurs publics au Canada et dans le monde à utiliser de tels modèles pour la gestion de la dette.


Ce qui me dérangeait et qui me dérange toujours c’est qu’une équipe de gestionnaires dépense des dizaines de millions de dollars par année en transactions à court terme pour tenter de faire mieux que le marché. Ces opérations coutent des millions de dollars en frais de transaction cachés, qui se traduisent en millions de dollars de profits pour les institutions financières. Or les gestionnaires des Finances considèrent que ces institutions financières sont leurs meilleurs conseillers.


Dans toutes les institutions financières du secteur privé la performance des gestionnaires est évaluée par des firmes externes en tenant compte de leurs frais de transaction. Le ministère des Finances a toujours refusé ces évaluations de performance. Pourtant, du moins à l’époque, les gestionnaires des opérations s’attribuaient des rémunérations supérieures aux normes de la fonction publique en se comparant aux gestionnaires du secteur privé, alors qu’ils n’ont aucune exigence de résultat en termes de performance et de volume de vente et qu’ils n’assument pas les risques du métier.


Ayant demandé à mon employeur une réaffectation, je suis devenu conseiller Finances à la Délégation générale du Québec à Londres. J’ai réalisé au cours de la première année que ce poste était bidon pour le ministère et après avoir trouvé une porte de sortie j’ai recommandé au ministère de l’éliminer. C’est une de mes rares recommandations qui ait été acceptée. J’ai poursuivi ma carrière à la Caisse de dépôt et placement du Québec j’ai retrouvé les mêmes frustrations.


On parle jusqu’ici de petite politique, des hauts fonctionnaires et des politiciens qui détournent de l’argent des contribuables en faveur de leurs intérêts personnels.


La gestion politique s’applique aussi à un mandat fondamental d’un gouvernement, soit la répartition de la richesse entre les classes de citoyens. Dans ce domaine les politiciens peuvent difficilement s’appuyer sur la science, et les choix reposent surtout sur des jugements de valeur. Pour moi le modèle de société issu de la révolution tranquille est de beaucoup supérieur à celui qu’on observe aux États-Unis. La révolution tranquille a été un mouvement populaire et les gouvernements qui en ont découlé ont été modelés selon la volonté de la majorité. Au même moment le modèle américain s’imposait à l’Europe socialiste, et à la fin du siècle nos politiciens devenaient discrètement des promoteurs du modèle américain. Les élites mondialistes ont fait évoluer les salaires et autres revenus en faveur d’une minorité déjà favorisée, aux dépends de la majorité des travailleurs. Cela n’a pas été considéré comme suffisant. Il fallait s’attaquer aux services publics qui privent les entrepreneurs d’opportunités d’affaires et de profits et surtout qui sont financés plus que proportionnellement par les impôts des contribuables bien nantis.  Les libéraux de Charest et Couillard ont bien reçu ce message des élites mondialistes comme aussi celui d’accroître l’immigration pour faire une pression à la baisse sur les salaires des travailleurs.


C’est politiquement suicidaire d’admettre qu’on a décidé de mettre en place des orientations qui sont défavorables à la majorité des électeurs. Les gouvernements de Charest et Couillard ont réussi à le faire grâce à une manipulation des données budgétaires qui aurait été impossible sans une fonction publique complice, des contrôles déficients du Vérificateur général et la complaisance des grands médias d’information. Ils n’ont jamais accepté de nommer un directeur parlementaire du budget comme on l’a fait à Ottawa. Le gouvernement Couillard a notamment profité d’une crise financière superficielle en 2008 pour opérer des coupures drastiques dans l’offre de services publics. Les augmentations de salaires des médecins spécialistes avaient un objectif symbolique, les heures de travail de certains valent vingt fois les vôtres, mais ils ont aussi eu un impact catastrophique sur les budgets publics de la santé.


Le premier ministre Legault est pragmatique et il ne va pas se laisser bousculer par l’idéologie de l’élite économique mondiale. Cependant il croit sincèrement que les milieux d’affaires sont bien intentionnés et qu’ils comprennent mieux ce qui est bon pour la société. Il a naturellement un préjugé favorable à l’entreprenariat québécois, ce qui est bienvenu. Le problème c’est que ses conseillers économiques œuvrent dans les chambres de commerce et les autres associations d’entreprises. Ils l’ont notamment convaincu qu’en raison de la pénurie de main-d’œuvre, son idée de réduire les niveaux d’immigration était mauvaise. Peu importe que les familles d’Immigrants engorgent les systèmes de santé et d’éducation et créent d’autres pénuries de main-d’œuvre, les entrepreneurs pourront augmenter leurs ventes de produits, de services et de condos.


Je dois dire que j’ai beaucoup de respect pour les petits entrepreneurs qui créent des entreprises avec la fierté de donner du travail à leurs employés. En général ils respectent leurs employés et sont conscients de la valeur de leur contribution, et aussi ils sont fiers de survivre et croître sans les subventions gouvernementales. En pratique, la plupart des entreprises qui atteignent une certaine taille adopte le discours de leur association et appuient leur lobby en faveur de plus de support de la part des gouvernements.


Quand le premier ministre parle de sortie de crise, en bon politicien, il en profite pour faire la promotion de son agenda politique, en gros, une généralisation de l’aide sociale aux entreprises, une baisse des impôts et l’austérité dans l’offre de services publics. Il faut rappeler qu’il n’y a pas si longtemps les entreprises méritaient le respect et les profits parce qu’elles étaient privées et prenaient des risques d’affaires.


En raison d’une crise d’approvisionnement due à la mauvaise gestion des inventaires, le gouvernement propose l’autosuffisance québécoise dans la production de masques et d’autres équipements médicaux et, on ne sait trop pourquoi, une plus grande autosuffisance alimentaire. L’objectif est encore d’aider les entreprises à créer de l’emploi alors qu’on a plus d’excédent de main-d’œuvre.


Le bon père de famille recommande d’être gentil avec les mononcles qui ont de l’argent. Ce qu’il nous faut c’est plutôt un mouvement syndical fort, des citoyens dans la rue pour défendre les services publics et une presse libre.




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