Thibault a le même avocat que Charest

La SQ et la GRC enquêteront sur les dépenses injustifiées de l'ex-lieutenant-gouverneure

L'affaire Lise Thibault



Québec - Dans le cadre des enquêtes de la Sûreté du Québec et de la Gendarmerie royale du Canada dont fera l'objet l'ex-vice-reine Lise Thibault pour ses dépenses injustifiées, celle-ci sera représentée par un avocat qui a déjà agi pour le compte du premier ministre Jean Charest. Il s'agit de Jacques Jeansonne, de l'étude Deslauriers Jeansonne, qui avait entre autres expédié une mise en demeure à la députée péquiste Agnès Maltais au nom de M. Charest l'an dernier. Par le passé, Deslauriers Jeansonne a aussi représenté Mont Orford inc. Quand Le Devoir a joint M. Jeansonne par téléphone à Montréal, celui-ci a refusé de préciser quand Mme Thibault l'avait embauché, «avant ou après le 8 juin?», date à laquelle elle a été remplacée par l'ancien notaire Pierre Duchesne. M. Jeansonne a invoqué son «devoir de discrétion», disant qu'il ne voulait pas être «impoli», avant de raccrocher brusquement.
Contrairement à ce que Mme Thibault avait affirmé dans un courriel envoyé au Devoir mardi par sa relationniste, le Conseil exécutif ne réglera pas la facture de ses frais de défense. En fait, le ministre Benoît Pelletier a précisé hier que l'État ne prend plus à sa charge depuis le 8 juin les factures de conseil juridique et de communication de Mme Thibault. La relationniste de Mme Thibault, France Bouffard, de Sphère Communication, a reconnu hier que son courriel de mardi était erroné. «Ç'a été en effet clarifié par le ministre, [selon quoi] c'était jusqu'au 7 juin que nous facturions la lieutenant-gouverneure et qu'à partir du 8, c'est la citoyenne privée [sic] que nous facturons.» Mme Thibault estimait que le secrétaire général du Conseil exécutif, Gérard Bibeau, lui avait «permis de retenir les services de conseillers juridiques et d'affaires publiques» et que, «conformément aux principes d'équité et de justice qui doivent prévaloir en pareilles circonstances», les frais encourus même après son départ seraient remboursés.
Hier au Conseil exécutif, on fulminait. La secrétaire générale associée à la communication gouvernementale, Marie-Claire Ouellet, a répété au Devoir ce que le ministre Pelletier avait martelé en Chambre le matin même, soit que Mme Thibault, lorsqu'elle était encore en fonction, le 11 avril dernier, n'avait jamais demandé de «permission d'embaucher des conseillers juridiques et en communication» mais qu'elle en avait simplement «informé» M. Bibeau. «Il y a eu un certain nombre de conversations téléphoniques pour qu'on s'assure qu'elle prenne l'argent dans les budgets dont elle dispose, mais M. Bibeau n'a pas donné de permission, il a pris acte, c'est tout», a précisé Mme Ouellet.
Il a été impossible hier d'obtenir des précisions à propos des sommes engagées à titre de frais juridiques et de communication par Mme Thibault entre le 11 avril et le 8 juin. Mme Bouffard a confirmé au Devoir qu'elle avait en effet obtenu des mandats de la part de Mme Thibault avant le 8 juin, certifiant qu'elle n'a jamais reçu de paiements avant le 8 juin pour des services rendus après cette date.
En début d'après-midi hier, Marie-Claire Ouellet, du Conseil exécutif, affirmait «n'avoir jamais vu ces factures passer» et que c'est au cabinet de la lieutenant-gouverneure qu'il fallait demander cette information. Mais à cet endroit, la porte-parole Véronique Cyr a retourné la balle à Mme Ouellet. Les factures, a soutenu Mme Cyr, «ont été envoyées à l'administration, donc au ministère du Conseil exécutif, pour le suivi approprié. Autrement dit, je ne les ai pas», a dit la porte-parole de la lieutenant-gouverneure. En fin d'après-midi, la version de Mme Ouellet avait évolué: «À partir du moment où il y a une enquête qui se met en branle, il est délicat de rendre publiques des factures.»
Enquêtes policières
Hier matin, contrairement à ce qu'il avait décidé la veille, le gouvernement du Québec a en effet annoncé qu'il référait à la Sûreté du Québec le dossier de Lise Thibault, blâmée mardi par des rapports des vérificateurs généraux du Québec et du gouvernement fédéral. En début d'après-midi, le gouvernement fédéral imitait celui du Québec en annonçant que la Gendarmerie royale du Canada allait se pencher sur les dépenses injustifiées de la lieutenant-gouverneure.
Mardi, M. Pelletier avait dit préférer rencontrer Mme Thibault afin d'obtenir sa version des faits avant de faire appel à la police. Il avait aussi ordonné une série de «vérifications additionnelles» de la part du ministère du Conseil exécutif. Hier, M. Pelletier a précisé que l'enquête policière «n'exclut pas l'autre [enquête]», celle du Conseil exécutif, et que l'idée d'une rencontre avec Mme Thibault n'a pas été abandonnée.
Devant la commission des Institutions, M. Pelletier a été bombardé de questions de la part de l'opposition à propos de la lieutenant-gouverneure. Au sujet des dépenses de Mme Thibault encourues entre le 11 avril et le 8 juin, M. Pelletier a promis qu'il «s'informerait». En fin de journée hier, son entourage n'avait toujours pas de réponse. «L'enquête va se pencher sur tout ça», s'est borné à dire son attaché de presse, Luc Fortin.
Au reste, M. Pelletier a répété son souhait de voir le poste de lieutenant-gouverneur «être modernisé» tout en mettant l'opposition en garde contre «un populisme qui croit qu'on peut tout balancer sans conséquences». À ses yeux, «quand on a une connaissance de nos institutions, on est obligé d'être un peu plus nuancé».
M. Pelletier ne savait pas si le lieutenant-gouverneur actuel, Pierre Duchesne, ancien secrétaire général de l'Assemblée nationale, avait décidé de renoncer à sa pension de retraite. Il a toutefois précisé que des discussions étaient en cours depuis le 8 juin pour clarifier les règles de dépenses du lieutenant-gouverneur. En fin de journée, il a fait savoir qu'il avait discuté avec son homologue fédérale, Bev Oda. Les deux ministres ont convenu «de se rencontrer d'ici la fin de juin afin de discuter plus en détail des mesures à mettre en place pour l'avenir».
Le Bloc québécois a déposé une motion réclamant que Mme Thibault soit convoquée devant le Comité des comptes publics. Le NPD s'est opposé à convoquer Mme Thibault.
Une suite de controverses
Dans une version plus spectaculaire, l'affaire Thibault est une resucée de nombreuses controverses suscitées par le train de vie princier des lieutenants-gouverneurs. En 1989, le fait que Martial Asselin avait exigé une limousine plus luxueuse que celle du premier ministre Robert Bourassa avait soulevé l'indignation.
En janvier 1984, le gouvernement Lévesque souhaitait réduire le budget consacré au représentant de la reine et avait évoqué l'idée de vendre la maison Dunn sur le chemin Saint-Louis. Au fédéral, on s'en était scandalisé. Serge Joyal, alors secrétaire d'État (et aujourd'hui sénateur), avait déclaré: «On s'attend à ce que Québec loge le lieutenant-gouverneur!» Il avait argué que depuis le début de la Confédération, Québec s'était engagé à fournir «feu et lieu» aux représentants royaux. C'est pour cette raison que dans les années 1870, le fédéral avait transféré à Québec les droits de propriété sur Spencer Wood (rebaptisé domaine du Bois-de-Coulonge depuis), où les représentants de la Couronne britannique ont été logés jusqu'au 21 février 1966, date à laquelle un incendie a ravagé la somptueuse résidence vice-royale et tué le lieutenant-gouverneur Paul Comtois.
Peu avant l'entrée en fonction de Gilles Lamontagne, le gouvernement Lévesque avait finalement réduit de 37 % le budget de dépenses du lieutenant-gouverneur. Cette économie avait été réalisée «par la réduction d'une dizaine de postes dans le personnel du lieutenant-gouverneur et par le fait qu'il ne disposerait que d'une limousine et non de deux» (La Presse, 6 avril 1984). Quant à elle, Mme Thibault disposait de trois voitures de fonction, et c'est paradoxalement sous un gouvernement du Parti québécois que ses dépenses ont augmenté de 80 % à la fin des années 90, comme l'a rappelé Benoît Pelletier hier.
Avec la collaboration d'Hélène Buzzetti et d'Alec Castonguay


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