Finie la commission Bouchard-Taylor? Pris dans une «crise des perceptions», le Québec s'est captivé pour l'exercice et s'y est donné avec générosité et franchise. Par respect pour un tel intérêt populaire, le rapport des deux commissaires ne peut ni rester lettre morte ni expirer à la faveur d'une joute politique. Que l'enseignement se poursuive!
Pour que la conciliation dont rêvent les commissaires Gérard Bouchard et Charles Taylor se traduise dans le Québec de demain, deux choses capitales doivent se produire: il faut que les citoyens aient droit eux aussi au dernier chapitre de ce feuilleton qui les a tenus en haleine et que le gouvernement transpose le legs pédagogique des commissaires en politiques éliminant les obstacles à l'intégration.
Si l'on se fie aux premières réactions suscitées par le dépôt du volumineux rapport, ce double défi est colossal. Les commissaires n'avaient même pas encore présenté le fruit de leur labeur à la presse qu'à Québec on adoptait déjà une motion sur le maintien du crucifix à l'Assemblée nationale! Une résolution presque cavalière: en affichant leur attachement à un symbole patrimonial, les députés ont surtout suggéré qu'il était inutile de lire cette brique de 300 pages pour affirmer haut et fort l'importance de l'héritage québécois. D'un coup de baguette politique, voilà que l'on sabrait ce qui constitue la plus grande richesse du rapport: son caractère éminemment pédagogique.
Lorsqu'un journaliste a demandé à Jean Charest de pointer ce qui l'avait le plus étonné dans ce document, le premier ministre a évoqué précisément son aspect pédagogique. Avec un malaise évident, il a parlé d'un «style inhabituel» et de «pédagogie sur les concepts».
Il est vrai qu'à côté de la réflexion Bouchard-Taylor -- qui transite sans apparent problème de la laïcité ouverte à l'interculturalisme, en passant par la crispation identitaire québécoise, le rôle des médias et l'intégration --, les récents rapports Castonguay (financement de la santé) et Pronovost (agriculture et agroalimentaire) ont l'air de parfaits précis techniques assortis de modes d'emploi.
C'est justement pour la sagesse philosophique et la finesse du propos qu'il contient que le document dévoilé jeudi appelle à une suite, qui s'inscrit dans une logique différente de celle à laquelle ont droit la majorité des rapports remis au gouvernement. Cette pédagogie, qui déroute peut-être la gent politique, doit servir non seulement les parlementaires, mais aussi l'ensemble des citoyens du Québec.
Ils ont beau avoir nagé dans les perceptions plutôt que dans la réalité, les Québécois ont vécu avec émotion cette supposée crise des accommodements. Ils ont accueilli avec un certain soulagement la décision du gouvernement Charest de s'en remettre à deux savants pour extirper le vrai du faux et proposer des pistes afin d'aplanir les différends. Ils ont suivi avec intérêt les audiences. Attendu avec impatience qu'on pose un diagnostic. Ne serait-ce que pour leur participation active et leur vibrant intérêt, ils ont droit à une noble conclusion.
La commission parlementaire proposée par la chef du Parti québécois, Pauline Marois, pourrait permettre en partie de répondre à cet espoir. Le premier ministre a écarté cette idée, y voyant une manière saugrenue de refaire une consultation déjà complétée. Nous croyons plutôt que Mme Marois en appelle à un judicieux échange de rôles. Après avoir été placés dans une situation d'écoute pendant des mois, MM. Bouchard et Taylor peuvent bien se délier la langue un brin pour le bénéfice à la fois des élus et des citoyens.
L'opération permettrait d'éviter ce qui risque de se produire trop vite: que les partis politiques ne kidnappent cet ouvrage pour le transformer, qui en une fin de non-recevoir, qui en une revendication démagogique ou même un bonbon électoral.
Des assises parlementaires permettraient, par exemple, à des responsables du ministère de l'Éducation d'approfondir les questions délicates que sont le port de signes religieux par les enseignants et l'octroi de congés religieux. L'Office de la langue française gagnerait à pousser la réflexion sur les manières de solidifier le français. Les sbires du ministère de l'Immigration voudraient assurément mieux comprendre leurs failles en matière d'intégration des nouveaux arrivants au marché de l'emploi.
Les commissaires n'ont convaincu personne en affirmant que les pratiques d'accommodement ne menacent en rien la culture québécoise francophone. Tout comme ils ont donné l'impression de laisser la majorité porter le fardeau des responsabilités, enchevêtrée qu'elle est dans son malaise identitaire, totalement dépourvue de solutions. Ces quelques questions, et bien d'autres encore, méritent des réponses. Que la classe politique entende les deux professeurs.
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