Le 18 novembre 2014, au cinéma Excentris, se tenait la première du film documentaire God Save Justin Trudeau, réalisé par Guylaine Maroist et Éric Ruel, dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire de Montréal. Dans ce film maintenant disponible en DVD, on présente le combat de boxe qui eut lieu le 31 mars 2012 entre Justin Trudeau, à l’époque simple député libéral de Papineau, et Patrick Brazeau, alors sénateur pour le Parti conservateur. Une dualité qui perdure depuis plus d’un siècle et demi dans l’arène politique canadienne allait être présentée directement dans un ring de boxe, là où les idées politiques laissent place à des créatures qui manifestent fondamentalement le besoin d’exalter leurs ego. Le documentaire présente les deux pugilistes dans leur entraînement trois mois avant le combat, ainsi que la couverture médiatique qui en est faite par les médias canadiens et québécois, jusqu’au grand soir. Au-delà de ce combat, on déplore silencieusement, par le travail de l’image, les calamités de la politique spectacle contemporaine. […]
Ce film nous fait comprendre les rouages de la politique spectacle dont Trudeau est en quelque sorte la marionnette de l’heure. Selon lui, la stratégie ultime de la victoire se résume ainsi : « C’est pas juste une question de si on va gagner le combat ou non. C’est une question de comment on va pouvoir gagner le combat. » Pour Trudeau, le « comment » ne prend malheureusement qu’une forme très limitée : gagner le combat se fait par la détermination et la volonté intérieure. Si Justin gagne, c’est parce qu’il a confiance en lui, car il connaît ses propres capacités. Il est performant, car il a de la volonté et il le sait. La plus grande qualité d’un politicien, selon lui, est d’avoir une très bonne connaissance de soi, et non du monde dans lequel il est. Et surtout, il se dit chanceux. Mais la chance ne voudrait rien dire « si on n’est pas digne des chances aléatoires qu’on reçoit de l’univers » et… il a toujours compris cela.
Trudeau dit avoir une conscience politique. Il veut un meilleur pays pour tous, juste et équitable. Il aime son pays, le Canada. Ah ça, nous savons qu’il l’aime. Il nous dit qu’il doit reprendre la bonne direction, à l’opposé des plans des conservateurs. Et il est prêt à tout pour cela. Mais prêt à faire quoi ? Quelle est la direction que doit prendre le Canada selon Trudeau ? Il nous répond que nous devons garder le Canada que nous avons collectivement bâti. Qu’il est contre la division, contre le cynisme ! C’est un gentil garçon ! Sa compagne, Sophie Grégoire, est bien d’accord et pour cela l’encourage. Elle est derrière lui. Elle l’admire. Elle aussi veut une société juste et équitable, puisque « la force humaine, c’est se voir sous la plus belle lumière ». Elle est fière du courage de son mari, car c’est de cette façon qu’il réussit. Mais derrière ce beau discours qui frôle la vertu narcissique, la question pourtant fondamentale de la façon de faire une société juste et équitable prend une dimension assez funeste. À écouter le discours de Trudeau, sans regarder les images du documentaire, nous pourrions croire qu’il fait partie d’une communauté ésotérique et spirituelle de paix dans le monde.
Les motifs de Trudeau pour s’engager dans ce combat de boxe étaient fort simples. Il se sent souvent sous-estimé et pris à la légère. Il combat parce qu’il a envie de montrer qui il est, c’est-à-dire un homme qui porte dans son coeur force et détermination. La cause est importante, oui, mais n’est pas le motif principal. C’est plutôt parce qu’il est fondamentalement bon et qu’il doit le prouver. […]
Le spectacle qu’offre Trudeau est la politique qu’il propose. Il fait de la politique comme il fait de la boxe : il doit se donner en spectacle au lieu de promouvoir des idées politiques par le dialogue. Pourtant, la politique n’est pas seulement affaire de force et de courage, elle nécessite une réflexion solide sur ce qu’est exactement une société juste, et Trudeau doit expliquer comment il se servira du pouvoir politique. Une scène importante du documentaire présente un regroupement pour le député dans Papineau, où il est acclamé et apprécié par un milieu manifestement anglophone et multiculturel. On le traite en héros, en vedette même, on veut des photos avec le beau Justin Trudeau. Il est acclamé, croule sous les applaudissements, et personne ne se rend compte qu’il n’y a aucune raison d’applaudir, après une allocution bien misérable. […]
Ce long métrage met mal à l’aise. En plus de poser un regard nécessaire sur Justin Trudeau pour les prochaines élections qui se tiendront en 2015, Maroist et Ruel abordent de front une des problématiques majeures de la politique contemporaine de plus en plus dépourvue d’idées politiques et d’abord rivée, comme la téléréalité, aux personnages et à leurs personnalités. Trudeau est la potiche de l’ère de l’individualisme radical, où les préoccupations émancipatrices ne peuvent se formuler autrement que dans les paramètres du « soi ». Il n’est certes pas seul, les médias sont les maîtres d’orchestre de ce grand jeu et les électeurs tombent directement dans le panneau. Ils se laissent émouvoir, comme ils le feraient devant un film ou une pièce de théâtre. À l’écoute du film, nous aurions même envie de lui offrir sympathie et compassion. Mais au fur et à mesure que l’on côtoie le personnage, nous nous apercevons que c’est impossible, qu’il n’y a rien à quoi se rattacher, aucune idée à laquelle s’identifier.
DES IDÉES EN REVUES
Trudeau, potiche de l’individualisme radical
À écouter ses discours dans «God Save Justin Trudeau», on dirait qu’il fait partie d’une communauté ésotérique pour la paix dans le monde
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