Un faux pas de Québec soulève l’ire des autochtones

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Ottawa s'ingère dans les relations entre Québec et les Premières nations

Des représentants des Premières Nations sont « insultés » et « exaspérés » des « positions honteuses » prises par Québec dans une communication officielle avec Ottawa, dans laquelle le gouvernement Couillard exprime son malaise face à l’implication des autochtones dans la procédure d’évaluation environnementale de projets.


Les excuses formelles envoyées jeudi soir par les ministres Isabelle Melançon et Geoffrey Kelley ne suffisent pas : des représentants des Premières Nations ont remis en doute vendredi la sincérité de Québec dans son approche avec les autochtones.


« Est-ce que ça vaut la peine ? Est-ce que toute l’énergie que j’ai dépensée depuis trois ans et demi vaut la peine ? » a demandé le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard.


Au coeur du différend, une lettre que le sous-ministre à l’Environnement Patrick Beauchesne a envoyée au début du mois à l’Agence canadienne d’évaluation environnementale, au sujet du projet de loi C-69, qui prévoit une implication accrue des autochtones dans le processus d’évaluation environnementale de divers projets.


« L’intention du gouvernement fédéral de tenir compte systématiquement du savoir autochtone, au même titre que la science et les données probantes, pourrait s’avérer problématique dans les cas où le savoir autochtone et la science se révéleraient contradictoires », a écrit le sous-ministre dans une lettre dévoilée par Radio-Canada.


Le « savoir autochtone » est une notion « qui nous apparaît très large et mériterait d’être bien définie », a-t-il ajouté.


Des autochtones furieux


« La lettre ne visait ni plus ni moins qu’à limiter le rôle des Premières Nations dans le processus d’évaluation environnementale fédéral et doit être officiellement retirée et reformulée en collaboration avec les Premières Nations », ont réagi des représentants de la nation innue. « Notre droit de regard sur nos ressources semble déranger le gouvernement du Québec. Que l’on soit consulté lorsqu’il s’agit de mettre en valeur notre territoire, c’est cependant pour nous une question de dignité », a ajouté le Conseil de la nation attikamek.


La ministre fédérale de l’Environnement, Catherine McKenna, a aussi fait un pied de nez à Québec en réaffirmant ses intentions dans un tweet. « Nous rendrons obligatoire la prise en compte du savoir traditionnel autochtone [dans la procédure d’évaluation environnementale], au même titre que la science et d’autres critères », a-t-elle martelé.


Dans sa lettre d’excuses, Québec s’est défendu d’avoir voulu « nier l’importance des droits et du savoir des autochtones ». « La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, notamment, nous amène d’ailleurs à mettre en oeuvre de nouvelles manières de faire. C’est ce que nous souhaitons réaliser en collaboration avec vous », ont écrit les ministres de l’Environnement et des Affaires autochtones, Isabelle Melançon et Geoffrey Kelley.


Lien de confiance brisé


Trop peu, trop tard, ont répliqué des représentants des Premières Nations en soulignant au passage que la déclaration onusienne — adoptée en 2007 et ratifiée par le Canada trois ans plus tard — a entre autres pour point de départ « le respect des savoirs, des cultures et des pratiques traditionnelles autochtones ».


Au-delà des excuses, Ghislain Picard aurait souhaité trouver un engagement de Québec à emboîter le pas à Ottawa afin que soient considérées les connaissances autochtones dans l’évaluation d’un projet. « La lettre d’excuse […] ne fait nullement référence au fait que le Québec cherchait aussi par cette correspondance à limiter le rôle des Premières Nations dans les projets », a aussi relevé la nation innue.


Le grand chef de la nation attikamek, Constant Awashish, s’est inquiété des impacts de la lettre sur le lien de confiance — « déjà fragile » — entre les autochtones et les gouvernements. « Une excuse, c’est une excuse. La sincérité, par contre, c’est quelque chose d’autre », a-t-il laissé tomber. « Est-ce qu’ils ont tout le temps ce discours-là quand on n’est pas présents ? » a-t-il demandé. Il a ajouté qu’à son avis, les connaissances autochtones et la science peuvent très bien cohabiter.


Le professeur Ghislain Otis, de la Chaire de recherche du Canada sur la diversité juridique et les peuples autochtones de l’Université d’Ottawa, a quant à lui convenu de l’importance de « baliser » le savoir autochtone et de s’assurer qu’il est « pertinent » et « crédible ». Mais « l’obligation de prendre en compte les connaissances autochtones, ça n’oblige pas à donner une valeur probante et déterminante à ces connaissances-là », a-t-il rappelé. « Ça veut juste dire que, dans le panier des savoirs dans lequel on doit puiser pour s’éclairer et prendre une décision, on va mettre notamment le savoir autochtone », a-t-il résumé.


Convention de la Baie-James


Des autochtones ont par ailleurs été froissés par le fait que le sous-ministre Beauchesne ait jugé les intentions d’Ottawa incompatibles avec les dispositions de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, ce traité signé en 1975 avec les Cris et les Inuits. Il a dit s’inquiéter des provisions de la loi fédérale — qui pourraient permettre de déléguer une évaluation d’impact aux autochtones, moyennant l’adoption d’un règlement — en dehors de ce territoire « conventionné ». « La substitution avec les communautés autochtones suscite des questionnements sur son applicabilité et sur les mécanismes qui seraient mis en oeuvre », a écrit le sous-ministre. « La lettre exprime carrément où le Québec se situe, c’est-à-dire : nos seules obligations s’expriment en fonction et en marge de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois », a déploré Ghislain Picard. 


> La suite sur Le Devoir.



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