Un homme et son parti

Élections fédérales - 2011 - le BQ et le Québec


Gilles Duceppe a beau en avoir vu d'autres en vingt ans de vie politique, il avait clairement l'air d'un homme dépassé par les événements quand il a rendu visite au Devoir mardi matin.
Il y a de quoi. Une ascension aussi fulgurante que celle du NPD est un phénomène qu'il est presque impossible de contrer en l'espace de quelques jours, comme l'ADQ en a fait une démonstration spectaculaire au printemps 2007. On ne peut qu'espérer limiter les dégâts.
«Il faut revenir au fond des choses», a expliqué le chef du Bloc. Cela ressemble à ce que disent les entraîneurs de hockey quand ils ne savent plus à quel saint se vouer. Ils parlent tous de la nécessité de revenir au «jeu de base».
Si besoin était, le SOS lancé à Gérald Larose, qui n'en était pas à sa première gaffe, a donné la mesure du désespoir qui s'est emparé du Bloc québécois. Pour un «pur et dur» que l'ancien président de la CSN aurait peut-être pu ramener au bercail ou simplement convaincre d'aller voter, combien d'électeurs plus modérés a-t-il fait fuir en traitant Jack Layton d'«imposteur», d'autant plus «crapuleux» que, à la différence des «autres crosseurs professionnels», il se drape dans le drapeau du progrès social?
Si le chef du Bloc a toujours l'air fâché depuis un mois, ce n'est certainement pas M. Larose qui va donner une image plus souriante au Bloc. Il a eu beau émettre un communiqué — à en-tête du Bloc — pour s'excuser de la virulence de ses propos, le mal était déjà fait.
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Il serait absurde de rendre M. Duceppe responsable du fait qu'aucun événement comme le scandale des commandites ou les compressions dans l'aide financière accordée aux artistes n'est venu faire oublier la lassitude que le discours bloquiste provoque déjà depuis un bon moment.
Il n'en demeure pas moins que la déconfiture appréhendée du Bloc signifierait vraisemblablement la fin de la carrière politique de celui qui l'incarne presque à lui seul depuis quinze ans, comme en témoigne la publicité télévisée du Bloc, conjuguée à la première personne du singulier.
Malgré les limites que son caractère exclusivement québécois imposait à l'action du Bloc, son chef était généralement reconnu comme le champion incontesté des intérêts du Québec à Ottawa.
Une des données les plus significatives du plus récent sondage Angus Reid réalisé pour le compte de La Presse et du Toronto Star est que 45 % des Québécois disent maintenant désapprouver le travail de M. Duceppe, alors que 35 % l'approuvent et que 20 % n'ont pas d'opinion sur la question.
Au fil des ans, il a connu des moments plus difficiles que d'autres, par exemple l'élection de novembre 2000, alors que les libéraux de Jean Chrétien ont recueilli plus de voix que le Bloc, malgré l'adoption de la Loi sur la clarté.
Depuis la défaite péquiste de 2003, M. Duceppe n'en demeurait pas moins une sorte de phare pour les militants souverainistes. Alors que le PQ était entré dans une période de turbulence qui en avait amené certains à s'interroger sur sa survie, il démontrait qu'un souverainiste pouvait encore être un gagnant.
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Au printemps 1997, quand André Boisclair a conduit le PQ au bord de l'abîme, M. Duceppe a bien cru que son heure était venue. Le caucus péquiste s'est rebiffé à la perspective de voir un homme aussi autoritaire devenir chef, mais personne ne doutait qu'il avait l'étoffe nécessaire.
Si les élections de lundi prennent des allures d'hécatombe, il devra oublier définitivement le PQ. Même si Pauline Marois «échappait» la prochaine élection au Québec, le chef du Bloc ne serait sans doute plus perçu comme l'homme de la situation.
En rétrospective, certains diront que cette sixième campagne était de trop, que M. Duceppe aurait dû passer le flambeau et se garder en réserve de la république, mais d'autres l'auraient sans doute accusé de se défiler. Il est vrai que la relève est loin d'être évidente.
Il aurait sans doute apprécié que Mme Marois vienne lui donner un coup de main en cette pénible fin de campagne, mais la chef du PQ n'a apparemment pas jugé utile d'annuler ses vacances.
Après le travail intensif des derniers mois pour préparer son vote de confiance, on peut très bien comprendre que Mme Marois ait voulu profiter d'une pause dans les travaux de l'Assemblée nationale pour prendre un peu de repos, mais elle a manqué une belle occasion de démontrer la solidarité que les deux leaders souverainistes ont célébrée avec éclat lors du dernier congrès péquiste.
On ne dira jamais à quel point le vent peut tourner rapidement en politique. Il y a à peine dix jours, plusieurs voyaient les élections de lundi comme la première période d'une partie comme celle qui avait presque permis au Oui de l'emporter en 1995. D'abord la victoire du Bloc, bientôt suivie de celle du PQ et finalement un référendum. Il faudra vraisemblablement revoir ce plan.


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