Quelle semaine éprouvante à fréquenter les médias! Du babillage, de l'anecdote, du pathos, du reportage «pas cher», du sérieux affecté, on nous a fait crouler sous les statistiques, trembler devant les hypothèses. Il ne manquait plus, pour finir, que la réclamation d'André Boisclair de publier le palmarès des horreurs! À chacun son viaduc, à chaque région ses peurs, à chaque quartier ses raisons d'angoisser. Qu'on se le tienne pour dit, la province est dangereuse.
De tous les bavardages auxquels nous aurons eu droit, celui d'Alain Dubuc mérite la palme de béton. Le chroniqueur de Gesca qui, déjà, nous avait avoué avoir honte du PET aéroport dans son Éloge de la richesse, un équipement dont l'indigence l'indispose quand il rentre des États-Unis, de Toronto ou d'ailleurs dans le monde développé, a de nouveau été pris de malaise, mais cette fois-ci, il nous a tous entraîné dans la turpitude : «Nous sommes tous collectivement un peu responsables du sous-investissement chronique dans notre réseau de transport, dont cet accident deviendra très certainement le symbole. C'est d'abord et avant tout un phénomène sociétal, le résultat d'attitudes, de valeurs, d'attentes et de choix dont nous avons été complices». (La Presse 4 octobre)
Nous avons donc eu droit à un exercice de flagellation publique. Nous sommes tous en cause. C'est le Québec lui-même qui est en cause, capricieux, gâté, irresponsable et imprévoyant. Le grand voyant gescaien est pris d'angoisse : «Comment en est-ton arrivé là?» C'est digne du Tiers Monde, pas d'une province prospère. Mais voilà, reconnaît-il, «Le Québec est en crise financière depuis 25 ans, avec une population qui ne veut pas payer et ne veut rien sacrifier. Il fallait que ça cède quelque part». Nous méritons donc ce qui arrive. Nous avons laissé le gouvernement provincial balayer sous le tapis, reporter sans cesse les échéances pour laisser aux autres les factures. «L'expédient n'a pas choqué parce qu'il flattait d'autres attitudes québécoises, notamment la valorisation des fonctions plus nobles de l'État au détriment du prosaisme (sic) des piliers de ponts...», nous assène-t-il, pour mieux nous culpabiliser d'avoir été selon lui indifférents à l'économie, au point d'avoir oublié «que c'est une mission essentielle de l'État et qu'une société avancée doit disposer, en transport et ailleurs, d'infrastructures publiques de haute qualité.»
Curieux son vocabulaire, tout de même. L'État? Et non pas le gouvernement provincial? Dubuc est vraiment victime des événements. Le Québec est en crise financière, mais ce sont nos attitudes qui sont en cause? C'est vrai, il faudrait qu'il s'ajuste aux moyens que le régime lui laisse, qu'il cesse de s'imaginer pouvoir se payer «les fonctions plus nobles de l'État» et se contente des aspirations provinciales qui sont les seules vraiment dignes de son rang et de sa place dans le Canada.
Il a raison, l'homme de Gesca, le Québec ne peut plus continuer comme ça, sous risque de voir la route se dérober sous ses pas. Pour composer avec le sous-financement chronique et les diveres manœuvres d'étranglement financier, le gouvernement du Québec a été condamné à user de deux stratagèmes pour tenter d'esquisser des réponses un tant soit peu adéquates aux aspirations nationales que la population nourrit à son endroit, sans égard à son statut constitutionnel de province en laisse. Le premier de ces stratagèmes, le recours aux déficits récurrents, a depuis longtemps déjà frappé son Waterloo, sanctionné par les marchés financier et béni par la loi de Lucien Bouchard. Le second, celui qui consiste à gérer à courte vue, à compromettre l'avenir pour gagner du temps et de la marge de manœuvre, ne produit plus d'illusions : les viaducs se gangrènent, les routes se minent, les universités croulent sous les déficits, des régions entières agonisent. Le gâchis s'est accéléré avec la décision d'Ottawa de réduire ses transferts de façon draconienne. Il n'était plus, il n'est plus possible de finasser devant les manoeuvres de déstabilisation délibérée des finances de la province. Nous voilà lancés dans la spirale de la médiocrité programmée.
Et tout cela tiendrait d'abord à des attitudes, à des travers de notre mentalité? Notre culture serait à ce point imperméable au réel qu'elle constituerait le principal obstacle à notre prospérité? Mieux vaut l'automutilation que l'affrontement, cracher sur le Québec que casser le carcan canadian. L'homme de Gesca ne voit jamais que les limites qu'il nous invente, il est plus fort pour s'attaquer aux travers qu'il nous impute que pour combattre un régime qu'il tient pour accessoire dans ce qui nous empêche.
Le gouvernement du Québec n'a plus les moyens de ses responsabilités. Et cela ne tient pas d'abord au fait que les Québécois ne génèrent pas suffisamment de ressources fiscales pour s'occuper convenablement de leurs affaires. Cela tient au fait qu'ils n'en contrôlent qu'une partie et que ce qu'ils contrôlent ne leur donne pas une prise stratégique déterminante. Ceux-là qui ne veulent pas le voir pour mieux demeurer des inconditionnels du Canada composent inévitablement avec l'hypocrisie qui consiste à prétendre que les débats et le statut constitutionnels sont sans conséquence et sans souffrance sociale pour notre société.
La Commission Johnson ne sera qu'un autre exemple éloquent de la pensée séparée et de la gestion provinciale. Elle ajoutera au florilège de l'impuissance résignée. Qu'il y ait eu ou non négligence, que l'événement ait été ou non un véritable accident, tout cela reste à établir. L'état des routes et des infrastructures publiques, lui, - et c'est une évidence - ne cesse de témoigner jusqu'à quel point chaque jour qui passe dans notre statut actuel nous condamne à une médiocrité certaine. Médiocrité de fait. Médiocrité de pensée et d'attitude qui multipliera les prétextes à la tergiversation, les dilemmes de gestion à la petite semaine, les échappatoires et les alibis. Le Canada est une hypothèque qui nous empêche de poser les événements dans le seul registre de notre responsabilité propre. La lâcheté et le délabrement vont de pair.
La province commence à se montrer sous son vrai visage. Elle donne ses fruits. Ceux-là qui lèvent le nez sur l'étalage grimacent pourtant devant ce qu'ils cultivent.
Une province bananière
Chronique de Robert Laplante
Robert Laplante173 articles
Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]
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