La Caisse de dépôt et placement insiste sur l’importance d’investir dans l’économie réelle sur un horizon à long terme. Pour subvenir aux besoins de ses déposants, certes, mais aussi pour appuyer les entreprises du Québec. Mission impossible ?
Six mois après sa nomination à la présidence de la Caisse de dépôt et placement, Henri-Paul Rousseau énonçait haut et fort ce que cherchait vraiment la direction. « Nous voulons nous situer systématiquement dans le premier quartile de nos groupes de référence, peu importe le domaine d’activité. La barre est haute », disait-il en avril 2003 devant un parterre de 900 personnes réunies par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Depuis, les temps — et le ton — ont changé.
Cette semaine, lorsque Michael Sabia et trois vice-présidents ont rencontré la presse financière pour présenter les résultats de 2013 — un gain de 13,1 % sur l’année et une moyenne de 10 % sur cinq ans —, le mot« quartile »n’a pas été prononcé une seule fois. « Notre plan vise la constance », a dit M. Sabia, dont le premier mandat de cinq ans, qui devait se terminer ce mois-ci, a été renouvelé jusqu’en 2019. Il parle d’un résultat « raisonnable ». « Surfer sur la vague le plus haut possible, ça serait une erreur. Les montagnes russes, ce n’est pas notre affaire. »
L’actif net de la Caisse dépasse maintenant 200 milliards, comparativement à 120 milliards dans le creux survenu lors de la crise financière de 2008.
Tout est une affaire d’équilibre. Autrefois très sensible aux quartiles lors des conférences de presse, la direction insiste maintenant sur les rendements absolus, « l’économie réelle » et le long terme. Et, comme c’est devenu la pratique, elle présente la Caisse comme un partenaire du milieu des affaires québécois, suite logique de la double mission économico-sociale dont l’établissement est investi.
Le débat entourant le rôle de la Caisse, tiraillée entre les besoins de ses déposants et le contexte de sa création en 1965, est éternel. La loi qui la régitstipule qu’elle doit recevoir « des sommes en dépôt conformément à la loi » et doit « les gérer en recherchant le rendement optimal du capital des déposants dans le respect de leur politique de placement tout en contribuant au développement économique du Québec ».
Incontournable
Il est devenu impossible pour la Caisse d’ignorer la deuxième partie de cette mission, inscrite dans la loi depuis les années 2000. Dix jours avant la publication des résultats, un ancien vice-président, Michel Nadeau, avait publié dans les pages du Devoir une lettre dans laquelle il exhortait la Caisse à en faire encore plus pour l’économie du Québec. Invité à se prononcer, Michael Sabia est resté calme. « Je pense que ce que Michel veut dire, c’est “Est-ce que la Caisse en fait assez au plan qualitatif ?” et pas nécessairement quantitatif. Honnêtement, nous sommes sur la même page. Il n’y a pas de désaccord. »
Du début de 2010 à la fin de 2013, la Caisse, qui achète des actions mais participe aussi à des fonds minier et manufacturier, a misé 10,3 milliards sur des entreprises québécoises pour porter le total à 53,8 milliards. En 2013, les engagements ont atteint 3,6 milliards, dont 600 millions auprès des PME. Si l’on prend son portefeuille canadien, les actions québécoises y comptent pour 32 %, comparativement à 15 % à la Bourse de Toronto. (La Caisse ne divulgue pas le rendement de l’ensemble de ses actifs québécois, mais M. Sabia affirme que ce rendement est bon.)
« Selon moi, la priorité, de loin, c’est la gestion des actifs de ses déposants et certaines de ces caisses [les déposants] ne sont pas en santé financière débordante, comme c’est le cas ailleurs », dit Richard Guay, ancien chef des investissements qui a été président de la Caisse dans la deuxième moitié de 2008 avant de passer à l’UQAM comme professeur de finance. « Être capable de payer toutes les rentes promises, ça demeure un défi. »
Si cela « peut se faire en investissant en même temps au Québec, ajoute-t-il, il y a quand même un ordre de priorité, même si ça ne se dit peut-être pas bien politiquement ».
Aux origines du double mandat
Lorsque Henri-Paul Rousseau s’amène devant la Chambre de commerce en 2009, neuf mois après son départ de la Caisse et quelques mois après la crise, il est là d’abord et avant tout pour expliquer le contexte de la perte de 40 milliards enregistrée en 2008. Mais devant les 850 invités, il se permet un détour d’un demi-siècle.
« Vous pouvez remonter jusqu’en 1965, lire toutes les éditions de la Loi de la Caisse, vous n’y trouverez pas le moindre énoncé de mission, lance-t-il. La fameuse double mission de la Caisse provient de l’interprétation d’un discours que le premier ministre Jean Lesage a prononcé à l’Assemblée législative en 1965. »
Il cite alors le discours en question, dans lequel Jean Lesage dit ceci : « Encore ne faut-il pas entretenir d’illusions sur l’usage qui doit être fait de la Caisse. En particulier, on aurait tort de croire que cet instrument doit servir à financer, dans n’importe quelle condition, des projets économiques ou sociaux si essentiels soient-ils. La Caisse n’est pas destinée à subventionner le gouvernement, les municipalités, les commissions scolaires ou les entreprises. […] Elle doit pouvoir satisfaire à la fois des critères de rentabilité convenable et rendre disponibles des fonds pour le développement à long terme du Québec. »
La Caisse gère l’argent de 31 déposants, dont les plus gros sont, par exemple, le régime de retraite des employés du secteur public (plus de 45 milliards), la Régie des rentes du Québec (45 milliards), les travailleurs de la construction et la CSST. (Pour consulter la liste complète.)
Battre les indices
Dans les faits, la Caisse a battu l’indice de référence auquel elle compare ses résultats. Son gain de 13,1 % en 2013 est légèrement supérieur à son indice de 12,6 %. Sur quatre ans, sa performance de 10 % dépasse aisément l’indice de 8,8 %. Sur le plan des quartiles, un vice-président a indiqué au Devoir que le rendement médian de 31 caisses surveillées de près par la Banque Royale a été de 13,8 %, ce qui placerait donc la Caisse dans le troisième quartile.
« Je me réveille pour beaucoup de choses, mais pas pour l’indice. On gère pas mal en absolu. L’immobilier, c’est vraiment du long terme », a laissé tomber Daniel Fournier, chef de la direction de la filiale immobilière Ivanhoé Cambridge, lors du huis clos pour la présentation des résultats. « Par exemple, il y a deux ou trois choses qu’on a faites cette année qui n’ont généré aucun rendement. Et même à court terme, ça nous a coûté de l’argent, mais pour le long terme, c’est exactement ce qu’on devait faire. »
***
Les administrateurs de la Caisse
Le conseil d’administration de la Caisse de dépôt et placement peut être composé de 9 à 15 personnes, dont le président de la Caisse, qui en est membre d’office. Voici sa composition actuelle (13) :
Robert Tessier (mars 2009, ex-président de Gaz Métro) ;
Michael Sabia (mars 2009, ex-président de Bell Canada) ;
Elisabetta Bigsby (novembre 2009, ex-cadre à la Banque Royale) ;
Louise Charette (avril 2005, ex-cadre à la Commission de la construction du Québec) ;
Patricia Curadeau-Grou (octobre 2013, conseillère auprès du président de la Banque Nationale) ;
Michèle Desjardins (décembre 2009, présidente de Consultants Koby) ;
Rita Dionne-Marsolais (janvier 2013, économiste et ex-ministre) ;
Gilles Godbout (janvier 2013, ex-vice-président de la Caisse) ;
Denys Jean (septembre 2011, président de la Régie des rentes du Québec) ;
François Joly (mars 2013, administrateur de sociétés, ex-cadre au Mouvement Desjardins) ;
Jean La Couture (janvier 2013, administrateur de sociétés) ;
François R. Roy (décembre 2009, administrateur de sociétés, ex-directeur des finances de l’Université McGill) ;
Ouma Sananikone (août 2007, administratrice de sociétés).
LA CAISSE DE DÉPÔT
Une question d’équilibre?
La Caisse vise à faire fructifier l’avoir de ses déposants à long terme. Sans oublier le Québec.
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