Une question de respect

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Le PLC tient tellement le Québec pour acquis qu'il peut le mépriser allègrement


En créant sa propre agence de publicité, au début des années 1960, Jacques Bouchard avait déclenché une véritable révolution dans le domaine. Jusque-là, la publicité destinée aux consommateurs québécois était une simple traduction de messages conçus à Toronto, dont la piètre qualité linguistique et la déconnexion avec ceux qu’elle prétendait rejoindre frisaient souvent le ridicule.


Avec ses associés de BCP, M. Bouchard a créé un modèle de publicité dans lequel les Québécois pouvaient se reconnaître en misant sur leurs traits identitaires, qu’il allait admirablement décrire dans un livre culte publié en 1978 sous le titre Les 36 cordes sensibles des Québécois. Ces messages publicitaires, qui sont devenus de véritables pièces d’anthologie, cherchaient précisément à faire vibrer ces cordes.


 

En 1968, le Parti libéral du Canada, qui venait de se donner un nouveau chef en la personne de Pierre Elliott Trudeau, avait retenu les services de BCP pour préparer une campagne publicitaire distincte destinée à l’électorat québécois. Il s’agissait d’une première dans les annales politiques canadiennes.


Il est tristement paradoxal qu’un demi-siècle plus tard, le PLC maintenant dirigé par son fils ait choisi d’agrémenter sa campagne d’une composition d’un groupe rock originaire de Toronto, dont la traduction française était si mauvaise qu’elle aurait pu être faite par Justin Trudeau lui-même.


Après s’y être d’abord refusé, le PLC a finalement décidé de faire un nouvel enregistrement de la chanson One hand up / Une main haute, qui avait été tournée en dérision sur les médias sociaux, mais la bourde n’en demeure pas moins sidérante.


 

 

L’idée de Jacques Bouchard était précisément que les entreprises désirant vendre leur produit au Québec auraient bien plus de succès en respectant l’identité de ceux qu’elles cherchaient à séduire. Jusque-là, personne n’avait imaginé que la clientèle québécoise puisse être différente de celle du reste du pays. On aurait pu espérer que cette mentalité coloniale avait disparu, mais il semble bien que non.


On a souvent déploré la faible présence de Québécois dans l’entourage proche du premier ministre. De toute évidence, ils ne sont pas mieux représentés dans l’organisation du PLC. Tout cela n’est pas nouveau, direz-vous. Il y a dix ans, Denis Coderre avait démissionné avec fracas de son poste de lieutenant politique de Michael Ignatieff au Québec en dénonçant l’omnipotence des conseillers torontois, auxquels il reprochait déjà d’avoir « une méconnaissance totale de la réalité sociale et politique québécoise ».


Il ne s’agit pas d’une simple bavure comme il s’en produit inévitablement dans le cours d’une campagne. On n’autorise pas la diffusion de la chanson thème sans s’assurer qu’elle traduit bien le message qu’on veut transmettre. Malgré le tollé, un porte-parole du PLC — francophone, qui plus est — a félicité The Strumbellas d’en avoir eux-mêmes assuré la traduction. L’idée de choisir une chanson composée en français ne semble avoir effleuré personne. À moins qu’aucun compositeur francophone n’ait voulu s’associer aux libéraux !


 

 

Il est difficile de ne pas voir là une autre illustration de l’insensibilité congénitale à la spécificité québécoise qui caractérise le PLC et dont le sabotage de l’accord du lac Meech demeure le plus bel exemple à ce jour. L’image de Jean Chrétien donnant l’accolade à son fossoyeur, Clyde Wells, est inoubliable.


Personne ne savait exactement quel effet concret aurait la reconnaissance de la « société distincte » dans la Constitution, ni même si elle en aurait un. Pour la grande majorité des Québécois, cette reconnaissance était simplement une réparation de l’affront commis en 1982 et un témoignage de respect envers ce qu’ils étaient fiers d’avoir bâti au fil des siècles malgré les vents contraires de l’histoire.


Jagmeet Singh reste très vague sur la façon dont un gouvernement néo-démocrate ferait en sorte que le Québec réintègre le giron constitutionnel canadien à des conditions honorables, mais il en a au moins exprimé le souhait. Andrew Scheer ne répondra pas à toutes les demandes de François Legault, mais il manifeste une certaine ouverture. Malgré toute l’horreur que lui inspire la Loi sur la laïcité, Elizabeth May n’engagerait pas le gouvernement fédéral dans sa contestation.


Comme une sorte d’aumône, le gouvernement Trudeau se contente de délier les cordons de sa bourse, que ce soit pour l’accueil des migrants ou encore le tramway de Québec, mais il demeure totalement fermé à tout ce qui pourrait renforcer le statut ou les pouvoirs du Québec au sein de la fédération.


On dit que le respect se mérite. En politique, il s’impose. Encore faut-il prendre les moyens de l’imposer.









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