Il ne manquait que les petits fours et le pot de tisane - encore qu'un 40 onces de vodka aurait été plus indiqué, histoire de mettre de la vie dans ce débat soporifique que nous ont infligé hier soir les télédiffuseurs.
Avec Elizabeth May dans le rôle de la mouche du coche, les leaders ont été pour l'essentiel des invités modèles, corrects et bien élevés. Une soirée entre voisins de bonne compagnie, bien gérée par l'hôte impeccable que fut Stéphan Bureau, mais fréquemment interrompue par l'agaçant bavardage de l'invitée de dernière minute, dont l'impétuosité était inversement proportionnelle à la pertinence de ses interventions. N'importe, Elizabeth May aura eu beau s'agiter, son français chancelant, ses envolées à contre-temps et ses petits gestes nerveux n'ont pas réussi à perturber le calme olympien des joueurs sérieux.
Mais qu'est-ce qui a bien pu pousser les télédiffuseurs à orienter le débat à partir des questions, le plus souvent oiseuses, posées par des intervenants censés représenter «le vrai monde»? Première question: pourquoi ne pas nationaliser les pétrolières? Personne, même pas Jack Layton, n'était en faveur. Alors pourquoi la question ?
Deuxième question: pourquoi pas un organisme indépendant (sous-entendu, non élu) pour définir les objectifs en matière d'environnement ? Tout le monde était contre, même Mme May qui ne siégera pas de sitôt au Parlement, alors pourquoi la question?
Troisième question: chaque leader pourrait-il mentionner un «bon coup» réalisé par son voisin de gauche? Alors là, on était vraiment plongé dans la guimauve de la convivialité, à croire qu'on se trouvait dans une séance de psychothérapie collective. On a perdu une demi-heure à ce petit jeu-là.
Suivit tout un segment sur la criminalité à partir de la tragédie de Dawson, comme si ce genre d'événement se répétait tous les jours, puis les envolées prévisibles sur l'identité et la culture. Vint ensuite la question de la santé - urgences, médecins de famille - qui était complètement hors-sujet, puisque cela relève des provinces. Finalement, on a abordé, trop brièvement, les affaires étrangères - domaine qui relève vraiment, celui-là, du fédéral mais auquel on n'a pas alloué plus de temps qu'au problème passager de la listériose.
Exception faite d'un échange relativement musclé sur la reconnaissance de la «nation» entre Harper et Duceppe - les seuls leaders qui soient vraiment en lice au Québec -, le ton général de la rencontre tenait davantage du colloque que d'un débat. Le fait que les participants aient été assis côte à côte plutôt que debout derrière leurs lutrins a certainement contribué à aseptiser l'atmosphère.
Autre problème, le fait d'avoir convié cinq leaders autour de la table a empêché l'organisation des débats à deux qui faisaient auparavant le sel de ces exercices. En outre, il aurait été pour le moins absurde de permettre à Mme May de débattre en face à face avec le leader d'un parti qui a fait ses preuves, elle dont la formation n'a jamais fait élire un seul député sous sa bannière, et n'a jamais obtenu le 5% de voix normalement nécessaire pour être admis aux débats télévisés.
Y a-t-il eu un gagnant? Non, puisqu'il n'y a pas eu de «knock-out», ni de petite phrase assassine. Mais il n'y a pas eu de perdant. Chacun a été égal à lui-même.
Duceppe était éminemment prévisible, d'autant plus que c'était hier la huitième fois qu'on le voyait dans ce genre de débat et que le Bloc a toujours à peu près le même discours.
Layton était plus sûr de lui que dans les débats précédents, non seulement parce que son français s'est amélioré mais aussi parce que son parti a commencé à engranger au Québec, où il est maintenant, selon CROP, à égalité avec les libéraux!
Dion était à son meilleur, dans la mesure où il a eu la possibilité de développer ses idées dans un cadre qui lui convenait bien.
Harper, enfin, a été parfaitement zen. C'était exactement l'attitude à adopter, face aux piques qui lui venaient de toutes parts. Il s'exprimait très bien en français, sans effort apparent. Il était calme, avenant, rassurant, au-dessus de la mêlée, bref il avait l'air d'un premier ministre.
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