Une « vraie affaire » à régler

Les finances du Québec face au déséquilibre fiscal

Chronique de Gilbert Paquette

Pendant qu’à Québec on envisage des mesures dramatiques, fait de coupures de services et de hausses de taxes, donc de réduction de l’État québécois, à Ottawa, on envisage pour bientôt des surplus budgétaires croissants. Jamais la solution du déséquilibre fiscal qui affecte la quasi-fédération canadienne n’aura été aussi évident et pressante.
Comme d’habitude ?
Comme à chaque changement de gouvernement à Québec, le nouveau gouvernement « découvre » un déficit plus important que celui prévu par le précédent gouvernement et reparle de réingénierie de l’État.
Cela est arrivé arrivé lors du retour de Robert Bourassa, ce qu’on appelé alors « l’État Provigo », une tentative avortée menée à la fin des années quatre-vingt par les ministres Paul Gobeil (Provigo) et Daniel Johnson (Power Co.). Avec le retour des libéraux de Jean Charest en 2003, on découvre un important déficit de 4 milliards $ et on propose une « réingénierie de l’État ». Relancé en 2007 par la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, puis en 2010 sous le qualificatif étonnant de « révolution culturelle » par son collègue Raymond Bachand, on propose des coupures de service et des hausses de tarif, notamment la célèbre hausse de 85% des frais de scolarité.
Élu en septembre 2012, le gouvernement Marois tente lui-aussi d’atteindre le déficit zéro institué précédemment sous forme de loi par le gouvernement Bouchard-Landry, mais le ministre Marceau doit annoncer un an plus tard un déficit de 2,5 milliards de dollars. On en est là avec le retour des libéraux.
Y a-t-il une solution ?
Il semble bien que le problème dépasse jusqu’à maintenant les capacités de tous les gouvernements qui se sont succédés à Québec, quelle que soit leur couleur politique. Y a-t-il une solution ?
Les économistes Godbout et Montmarquette, mandatés par Philippe Couillard, notent dans leur récent rapport que « des efforts ont été effectués au cours des dernières années afin de réduire la croissance des dépenses ». Les deux économistes reconnaissent le caractère structurel du déficit. « Le défi est en fait de régler de façon durable un problème de dynamique de croissance des dépenses supérieur à la croissance des revenus gouvernementaux. », soulignent-ils dans leur rapport.
Ils proposent les solutions habituelles. Ils sont « d’avis que le gouvernement devrait recourir à davantage de tarification » . Ils proposent de geler la masse salariale des employés de la fonction publique et des réseaux de santé et de l’éducation : non remplacement des départs, abolition de postes et annulation des hausses salariales. Ils suggèrent aussi une réduction des dépenses fiscales en faveur des entreprises et même une vente des actifs d’Hydro-Québec et de la SAQ.
Critiquant cette approche, des chercheurs de l’IRIS rappellent que le Fonds Monétaire International exhorte depuis des mois les différents pays du monde à s’abstenir de faire davantage appel à l’austérité. Selon eux, les options proposées dans le rapport « perpétueraient le marasme économique, ce qui ferait encore diminuer les entrées de revenus et continuerait à nous garder prisonniers de la logique d’austérité-stagnation » .
Personne ne semble avoir de véritable solution à la crise structurelle des finances publiques de l’État Québécois et personne ne parle non plus de notre moitié de budget public que gère pour nous l’État fédéral, laquelle hypothèque notre capacité d’agir.
Pendant ce temps à Ottawa.
En novembre dernier, le ministre des finances fédéral estimait le surplus anticipé pour 2015-2016 à 3,7 milliards de dollars alors qu’il l'estimait à 800 millions de dollars 8 mois plus tôt en mars dernier. Pour les deux années suivantes, 2016-2017 et 2017-2018, on estime les surplus à 5,0 et 5,7 milliards $ respectivement.
La situation est claire. À cause de la nature même de ses responsabilités, notamment quant à la santé, l’éducation et l’aide sociale, les dépenses du Québec ont toujours tendance à croitre plus rapidement que ses revenus, alors que c’est exactement l’inverse pour les finances fédérales. C’est ce qu’on appelle le déséquilibre fiscal.
Cette situation, Luc Godbout la décrivait ainsi en 2008, six an après que la Commission Séguin eu identifié le problème: « rien n'a été fait pour corriger l'écart fiscal entre Ottawa et le Québec: le partage des ressources financières est toujours à l'avantage du fédéral. Ainsi, entre 2001 et 2008, comme le prévoyaient les projections économiques réalisées par le Conference Board pour la Commission, le gouvernement fédéral a connu huit années consécutives de surplus budgétaires et un surplus cumulé de près de 65 milliards alors que les dépenses du Québec excédaient ses revenus cinq fois en huit ans. »
Comme l’expliquait aussi François Legault en d’autre temps, « alors que la situation financière de la province de Québec restera très précaire et forcera les gouvernements qui la dirigent à faire d’importantes compressions budgétaires qui affecteront la qualité des services publics, un Québec souverain disposera au contraire d’une importante marge de manœuvre ». Cet énoncé était corroboré récemment par l’étude, réalisée par Stéphane Gobeil, suite à une minutieuse analyse des dépenses fédérales, ministère par ministère. « Certes le fédéral nous verse de l’argent, mais même en assumant la perte de ces transferts, un Québec souverain délesté de la bureaucratie fédérale sauverait annuellement 2 milliards de dollars »
Voilà une « vraie affaire » à régler, transférer les revenus fiscaux là où sont les vraies dépenses. Peut-on demander au nouveau gouvernement du Québec comment il pense y arriver sans changement structurel profond de la fédération canadienne ?

Squared

Gilbert Paquette67 articles

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Ex-ministre du Parti Québécois
_ Président des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO)

Gilbert Paquette est un chercheur au Centre interuniversitaire de recherche sur le téléapprentissage (CIRTA-LICEF), qu’il a fondé en 1992. Élu député de Rosemont à l’Assemblée nationale du Québec le 15 novembre 1976, réélu en 1981, Gilbert Paquette a occupé les fonctions de ministre de la Science et de la Technologie du Québec dans le gouvernement de René Lévesque. Il démissionne de son poste en compagnie de six autres ministres, le 26 novembre 1984, pour protester contre la stratégie du « beau risque » proposée par le premier ministre. Il quitte le caucus péquiste et complète son mandat comme député indépendant. Le 18 août 2005, Gilbert Paquette se porte candidat à la direction du Parti québécois. Il abandonne la course le 10 novembre, quelques jours à peine avant le vote et demande à ses partisans d’appuyer Pauline Marois. Il est actuellement président du Conseil d’administration des intellectuels pour la souveraineté (IPSO).





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6 commentaires

  • Stéphane Sauvé Répondre

    1 mai 2014

    " La solution , refaire un front commun de toutes les forces vives de la nation comme en 2012 et en 1972 même combat afin que la bête recule.«"»
    Roland Carrier
    ...pas tant pour que la "bête recule" que pour que nous avancions et réalisions ce dont nous sommes capables.

  • Archives de Vigile Répondre

    1 mai 2014

    M. Paquette,
    Votre texte est vrai, toujours d'actualité et juste. Toutefois nous proposons de joindre au vôtre le texte du "prof" Lauzon publié aujourd'hui dans le Journal de Montréal. Voici un exposé minutieux et clair des astuces fiscales qui profitent aux millionnaires bien de chez nous et qui en abusent avec un plaisir renouvelé.
    Il faudra recomposer nos forces et faire ėchec aux libéraux élus selon le slogan électoral américain suivant " four more years", un cauchemar de libéralisme excessif qui s'activera dans tous les domaines à savoir vendre nos biens, notre patrimoine issu de la révolution tranquille un oxymoron bien de chez nous. La solution , refaire un front commun de toutes les forces vives de la nation comme en 2012 et en 1972 même combat afin que la bête recule.

  • Pierre Cloutier Répondre

    30 avril 2014

    Stéphane Gobeil qui a écrit "Un gouvernement de trop" était aussi conseiller de Pauline Marois. Pourquoi le PQMarois n'a pas pris des dispositions pour que tout cela soit contenu dans une proposition d'indépendance au peuple québécois? À qui la faute sinon à la petite élite péquiste des dernières années?
    Pierre Cloutier

  • Marcel Bernier Répondre

    29 avril 2014

    Ne soyons pas dupes, monsieur Paquette!
    Les stratèges fédéraux savent sur quel bouton appuyer pour nous amener à investir dans la fédération. Que ce soit l’affaire Nadon, la réforme du Sénat, le déséquilibre fiscal ou même le péage sur le prochain pont reliant Montréal à la Rive-sud, tout pour que nous nous agitions comme des poules pas de tête.
    Il s’agit maintenant d’élaborer un nouveau discours qui nous mènera vers notre émancipation nationale. En son temps, le Front de libération du Québec et le Ralliement pour l’indépendance du Québec ont fait beaucoup pour l’avancement de notre cause, précipitant même nos élites à fonder un parti, le Parti Québécois, pour faire droit aux doléances des plus hardis pour sortir de l’impasse dans laquelle nous étions. N’étant pas particulièrement un adepte de la violence, il reste que nous nous devons d’élaborer d’autres stratégies et d’autres tactiques pour arriver à nos fins.

  • Jean-Jacques Nantel Répondre

    29 avril 2014

    Personnellement, je crois que toute cette histoire de déséquilibre fiscal ne dit rien à la population et ne la convainc pas; elle qui est habituée à entendre divers économistes chevronnés lui dire une chose et son contraire.
    Pour le Québécois moyen, il est beaucoup plus convaincant (et évident) d'entendre dire que, par exemple, un Québec indépendant installera des péages à l'intention de tous ceux qui traversent présentement son territoire gratuitement en y abîmant ses routes, ses ponts et ses autres infrastructures ou en faisant exploser des villes comme Lac Mégantic.
    Il s'agit ici du principe tout à fait convaincant de l'utilisateur-payeur.
    Si on veut convaincre la population, il nous faut absolument abandonner le vieux discours supposément rassurant qui ne nous a amené que des défaites pour plutôt dire carrément la vérité à la population au sujet de l'argent que pourra faire un Québec souverain en éliminant les détournements du Canada anglais.
    On veut gagner ou non? Ou pour être plus exact: on veut arrêter de perdre ou non?

  • Stéphane Sauvé Répondre

    29 avril 2014

    Monsieur Paquette,
    Merci pour cette contribution. Vous avez raison, le déséquilibre fiscal est à régler.
    Maintenant, je ne vous poserai que deux questions.
    En tant que président de l’organisme Cap sur l’indépendance, « un regroupement d’organismes non partisans qui constatent la nécessité et l’urgence d’entreprendre une campagne permanente pour réaliser l’indépendance » (http://www.capsurlindependance.org/index.php?option=com_content&view=article&id=1&Itemid=104) quel est votre plan de match?
    ... Comme il est écrit dans la déclaration de principe de votre organisation « c’est le projet d’un peuple qui a droit à sa liberté collective et à la maîtrise de son destin. »
    Or, le peuple est actuellement à la merci d’un gouvernement qui n’a pas été élu pour que nos « vraies affaires » soient oubliées ou volées comme c’est actuellement en train d’être le cas.
    Le réseau dont vous êtes le représentant doit prêcher chez les non-convertis.
    Il doit aussi changer d’approche pour convaincre, informer, réseauter. Il doit INNOVER.
    Idem pour Vigile. La nouvelle mouture de Vigile, c’est du cosmétique. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un solide site de collaboration. Et, l’argent n’est pas le problème. C’est un problème d’approche et de vision. Peut-être même de courage.
    C’est l’ensemble des organismes qui œuvrent pour l’indépendance qui doit remettre en question leur approche.
    Tout le reste, y compris votre dernier article (qu’on a lu mille fois sous différentes plumes) ou celui de Le Hir sur les écarts de langage d’une libérastre notoire, revient ni plus ni moins à faire du sur place (et je pèse mes mots). Le temps de «Parler QC» ou d’un « PARTI québécois » (tel qu’on a connu) est révolu.
    Les loups sont dans la bergerie monsieur Paquette, il est grand temps qu’on allume les lumières!
    On nous annonce ce soir qu’Hydro-Québec et la SAQ seront probablement vendues au privé...et ce n’est que le début...
    ... À moins que des hommes comme vous mettent ses culottes ou passent le flambeau.
    J’ai rongé mon frein depuis trop longtemps avec cette approche bouchardesque ou maroisienne. Il est grand temps que le peuple se donne les moyens de ses ambitions. Vous êtes un outil qui peut nous y aider, mais...
    ...en aurez-vous le courage?
    Avec respect Monsieur Paquette,
    Stéphane Sauvé
    PS: J’en profite pour saluer Yves Michaud, un homme de courage qui a dit les choses crument parfois, mais avec un cœur vaillant de combattant. J'ai appris que vous étiez impliqué avec Vigile, SVP passez le mot...