Vers un réalignement en profondeur sur l'échiquier politique?

Québec 2007 - réalignement politique


Lors des élections atypiques de lundi, l'écart serré dans les suffrages obtenus par les trois principaux partis a permis d'éviter, pour une rare fois, les distorsions aberrantes qui caractérisent souvent le mode de scrutin majoritaire. En effet, moins de 5 % des votes distançant les libéraux (au premier rang) des péquistes (au troisième rang), la prime accordée automatiquement par le système au seul parti vainqueur a exceptionnellement été répartie entre les trois partis de tête.

C'est ainsi qu'avec 33,1 % des suffrages, le Parti libéral du Québec a obtenu 38,4 % des sièges (48), récoltant ainsi une prime de 5,3 %. Dans le cas de l'Action démocratique du Québec, 30,8 % des voix lui ont rapporté 32,8 % des sièges (41), soit une prime de 2 %.
Même le Parti québécois a été favorisé par le mode de scrutin car, avec 28,3 % des votes, il s'est fait attribuer 28,8 % des sièges (36), soit une prime de 0,5 %.
Notons aussi que ces trois primes ne totalisent que 7,8 % de distorsions alors que le système accorde normalement une prime de l'ordre de 20 % et même plus au parti vainqueur. La situation dérape parfois complètement.
Ainsi, cette prime peut se gonfler jusqu'à près de 40 % (élections de 1948 et de 1973), éliminant presque l'opposition au Parlement, même si cette dernière reçoit plus de 30 % de l'appui populaire. On peut même assister à un renversement de la volonté populaire, le parti se classant premier dans les suffrages étant relégué dans l'opposition (élections de 1944, 1966 et 1998).
Par ailleurs, le Parti vert et Québec solidaire n'ont pas échappé à la loi d'airain du système, car ils ne seront pas représentés malgré des scores respectifs de 3,9 % et 3,7 % des suffrages. De plus, le syndrome du vote stratégique a certes réduit leurs appuis même si on ne peut mesurer pas ce phénomène avec exactitude. Pourtant, avec un scrutin proportionnel de type mixte compensatoire, ils auraient pu faire élire quelques députés.
Tripartisme à l'ontarienne ou amorce d'un réalignement?
Dans un éditorial publié quelques jours avant les élections, le directeur du Devoir, Bernard Descôteaux, a affirmé que la conjoncture actuelle sonnait la fin du bipartisme tel qu'on l'a connu depuis un siècle ([«La fin du bipartisme»->5474], le 23 mars 2007). Il faisait évidemment référence à la montée de l'ADQ et au succès relatif du Parti vert et de Québec solidaire.
Est-ce à dire que le Québec pourrait aller vers le modèle de l'Ontario, où, malgré le scrutin majoritaire favorisant fortement le bipartisme, des luttes à trois aboutissant parfois à des gouvernement minoritaires sont la règle depuis quelques décennies? Où, par exemple, entre 1985 et 1995, le Parti libéral, le Parti conservateur et le NPD se sont succédé au pouvoir à Queen's Park?
Ou bien ne conservera-t-on pas plutôt le modèle québécois selon lequel, tout comme en 1935 et en 1970, on viendrait de connaître des élections amorçant un réalignement en profondeur sur l'échiquier politique qui rétablirait vite le bipartisme et l'alternance entre les deux partis dominants?
Ainsi, en 1935, l'émergence de l'Action nationale libérale (ALN) a non seulement sonné le glas d'une domination libérale qui durait depuis plusieurs décennies mais a surtout permis de porter au pouvoir, dès l'année suivante, l'Union nationale, issue de la fusion du vieux Parti conservateur et de cette nouvelle formation. Malheureusement, dans cette opération, les leaders progressistes de l'ALN (Gouin et Hamel) se sont fait flouer par le chef du Parti conservateur, Maurice Duplessis. L'Union nationale est vite devenue un parti nationaliste autonomiste à l'idéologie conservatrice qui allait occuper le devant la scène politique jusqu'en 1970.
En 1970, on a assisté à l'émergence du Parti québécois. Recueillant 23,1 % des suffrages, le PQ s'est classé deuxième dans la faveur populaire mais s'est fait attribuer moins de sièges que l'Union nationale et le Crédit social. Le mouvement ascendant était toutefois lancé et le parti souverainiste, quoique fortement sous-représenté en 1973, est alors devenu l'opposition officielle.
En 1976, les péquistes, recevant un coup de main du mode de scrutin majoritaire qui leur avait nui jusque-là, ont pris le pouvoir en faisant disparaître l'Union nationale, dont ils avaient attiré la plupart des sympathisants dans les régions.
Serions-nous en train de vivre un phénomène semblable?
Tout comme l'Action libérale nationale et le Parti québécois, l'Action démocratique de Mario Dumont est issue d'un schisme au sein du Parti libéral. Comme dans le cas du PQ en 1970 et en 1973, le mode de scrutin a fortement défavorisé cette formation aux élections de 1994, 1998 et 2003. Les prochaines élections, qui devraient avoir lieu plus tôt que tard étant donné le statut minoritaire du gouvernement, ne permettront-elles pas à l'ADQ de couronner sa marche vers le pouvoir en privant le Parti québécois des principaux châteaux forts qu'il lui reste dans les régions ressources du Saguenay-Lac-Saint-Jean, de l'Abitibi, de la Gaspésie et de la Côte-Nord?
La règle d'airain du scrutin majoritaire s'appliquerait alors dans toute sa rigueur. Le PQ serait presque expulsé de l'Assemblée nationale et risquerait fort de disparaître comme l'Union nationale. Les petits partis ne seraient pas encore assez forts pour faire élire plusieurs députés. Ce pourrait être le début d'une ère où la politique québécoise serait dominée par un parti autonomiste de droite rappelant l'Union nationale. Exit la démarche souverainiste, exeunt les politiques social-démocrates...
Vivement le scrutin proportionnel!
À mon avis, ce dernier scénario est plus plausible que le tripartisme à l'ontarienne compte tenu de la conjoncture actuelle et de la culture politique qui prévaut au Québec. Un troisième pourrait cependant le remplacer pour peu que les trois partis représentés à l'Assemblée nationale veuillent bien reconnaître le caractère pluraliste du Québec de 2007, aient un souci d'équité et fassent preuve de réalisme politique. Ce serait l'instauration dans les meilleurs délais d'un scrutin proportionnel assurant le respect de la volonté populaire telle qu'exprimée dans les urnes, permettant à chaque vote de compter ainsi qu'aux principaux courants de pensée d'être représentés au Parlement.
Acculé au pied du mur, le Parti québécois n'a plus la possibilité de reporter cette réforme après l'accession du Québec à une souveraineté de plus en plus lointaine et hypothétique.
L'ADQ a revendiqué l'instauration d'un scrutin proportionnel jusqu'ici. Cela correspondait évidemment à son intérêt. Mario Dumont changera-t-il maintenant son fusil d'épaule par opportunisme, comme d'autres l'ont fait avant lui? Ou sera-t-il de la trempe d'un René Lévesque, qui a su tenir le phare malgré les résistances internes? Le nouveau chef de l'opposition passera un test sur cette question cruciale au cours des prochaines semaines.
Quant au gouvernement libéral, il s'était engagé à introduire des éléments de proportionnalité dans le système électoral durant les deux premières années de son dernier mandat. Mais il ne l'a pas fait, se contentant de présenter un avant-projet de loi qui a été soumis à une commission ayant reçu plus de 2000 témoignages, un record de participation dans l'histoire du parlementarisme québécois. Un consensus s'est alors formé au sujet de la nature du système à instaurer, mais des divergences ont subsisté en ce qui a trait à des modalités importantes.
Le ministre Benoît Pelletier, responsable du dossier, devait présenter un projet de loi l'automne dernier. Mais il ne l'a pas fait, le caucus libéral s'y étant opposé et le premier ministre Jean Charest n'ayant pas jugé bon de donner le feu vert.
Toutefois, le projet de loi est prêt, même si le ministre a demandé un avis au directeur général des élections. Il pourrait être présenté dès l'ouverture de la session de la nouvelle législature. Si un consensus s'établissait entre les trois partis, ce projet de loi pourrait être adopté avant l'été et le nouveau système pourrait peut-être être en vigueur lors des prochaines élections.
Mais pour atteindre cet objectif, il faudrait enfin mettre fin à la politique politicienne qui, depuis 1970, a transformé ce projet de réforme en une saga interminable.
Paul Cliche, Auteur du livre Pour réduire le déficit démocratique - Le scrutin proportionnel (Les Éditions du renouveau québécois, 1999)

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Membre fondateur du Mouvement pour une démocratie nouvelle et auteur du livre Pour une réduction du déficit démocratique: le scrutin proportionnel ; membre de Québec Solidaire; membre d’ATTAC Québec; membre à vie de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal.





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