Deux des principaux actionnaires minoritaires de Groupe TVA (T.TVA.B) envisagent de porter plainte aux autorités boursières à la suite du rachat de Vision Globale, une transaction «abusive» qui bafoue leurs droits, ont-ils déclaré à La Presse Affaires.
La filiale de Québecor (T.QBR.B) a annoncé il y a deux semaines le rachat de cette entreprise de location de studios, d'équipements cinématographiques et de postproduction pour 118 millions de dollars. En plus de transformer le modèle d'affaires de Groupe TVA, cette transaction sera financée par une émission de droits de souscription d'environ 100 millions qui viendra diluer le capital-actions de la société.
«Le fait de faire une acquisition en émettant des droits de 100 millions, équivalant à 60% de la capitalisation boursière de la compagnie, sans demander l'opinion de 49% des actionnaires, on trouve que c'est un abus des actionnaires minoritaires», a lancé Charles Nadim, associé principal et gestionnaire des actions canadiennes chez Jarislowsky Fraser.
La firme de placements montréalaise est le deuxième actionnaire en importance de Groupe TVA, avec près de 20% des actions en circulation. Or, comme le rappelle Charles Nadim, les actionnaires minoritaires n'ont aucune voix au chapitre puisque la société mère Québecor Média détient 51% des titres et 100% des droits de vote.
Jarislowsky Fraser contemple l'idée d'intenter des recours. «Le règlement dit que quand tu rebalances le capital de façon significative, tu devrais demander à la majorité des actionnaires d'approuver la transaction, a précisé M. Nadim. On explore les avenues avec les autorités financières.»
Même son de cloche chez Lester Asset Management, une société de placement montréalaise qui détient environ 500 000 actions de Groupe TVA (environ 2% du total) pour le compte d'une série de clients. La firme pourrait se tourner vers la Bourse de Toronto (TSX) ou encore l'Autorité des marchés financiers (AMF), a indiqué Stephen Takacsy, directeur des placements et gestionnaire de portefeuille.
«On est en train d'étudier ça, a-t-il avancé à La Presse Affaires. Pour nous, c'est clair que les administrateurs de TVA n'ont pas fait leur job. C'est une situation très évidente où il y a du potentiel d'abus.»
«De faire une acquisition qui n'a aucun rapport avec les autres business [de Groupe TVA], et d'une si grande envergure que ça transforme TVA, qui devient une autre compagnie complètement, sans soumettre ça à un vote des actionnaires minoritaires, c'est ce genre de choses-là que les autorités vont regarder», a ajouté M. Takacsy.
Ni le TSX ni l'AMF n'ont voulu confirmer, hier, que des plaintes avaient été déposées dans le cadre de l'acquisition de Vision Globale. La procédure est toutefois bel et bien possible, a indiqué Sylvain Théberge, porte-parole de l'AMF. «Dans tout dossier, si un investisseur a des raisons de croire qu'une transaction ne s'est pas déroulée dans l'ordre des choses, il peut effectivement se tourner vers l'Autorité et porter plainte.»
«Mauvaise transaction»
Non seulement les actionnaires minoritaires qui ont pris contact avec La Presse Affaires sont-ils mécontents du mode de financement de la transaction, mais encore ils remettent en doute son bien-fondé pour le Groupe TVA.
En gros, disent-ils, les activités de Vision Globale ne cadrent pas avec celles de TVA, et les économies d'échelle possibles sont très faibles. Ils critiquent aussi la somme payée - 118 millions - pour une société qui était au bord de la faillite il y a quelques mois. Ce prix est beaucoup plus élevé que toutes les évaluations de valeur marchande qui ont circulé à ce jour.
«On n'aime pas le modèle d'affaires, a lancé Charles Nadim. C'est une compagnie où il y a très peu de visibilité dans les revenus. C'est très cyclique, tu es très dépendant des blockbusters que tu produis, et on est dans un environnement où le gouvernement vient juste de réduire de 20% les crédits pour la production de films au Québec.»
«Je n'ai pas encore rencontré un seul actionnaire qui est content, a pour sa part dit Stephen Takacsy. Tout le monde est suspicieux de cette transaction.»
Le gestionnaire est persuadé que Pierre Karl Péladeau, actionnaire de contrôle de Québecor et député péquiste de Saint-Jérôme, a influencé la décision d'acheter Vision Globale. M. Péladeau est notamment intervenu en commission parlementaire au début de juillet pour tenter de favoriser le groupe québécois, qui se battait contre un groupe américain. Il est aussi entré en contact avec un dirigeant d'Investissement Québec, actionnaire de Vision Globale.
Martin Tremblay, porte-parole de Québecor, a nié l'influence de Pierre Karl Péladeau.
«M. Péladeau a quitté la compagnie, l'ensemble de ses fonctions au C.A. en mars dernier. La transaction de Vision Globale en est une qui a été pilotée par la direction actuelle, appuyée par Pierre Dion.»
M. Tremblay affirme aussi que l'acquisition de Vision Globale est «tout à fait à propos» dans la stratégie actuelle de diversification des revenus de Groupe TVA, qui cherche à réduire sa dépendance aux revenus publicitaires de sa chaîne généraliste.
Le porte-parole soutient enfin que les actionnaires minoritaires ne pâtiront pas de la transaction. «La direction a pris la meilleure décision en fonction de l'ensemble des actionnaires. Quant à la méthode de financement, c'est une offre de droits de souscription à laquelle ils auront le choix, comme l'ensemble des actionnaires, de souscrire ou non.»
Le titre de Groupe TVA a clôturé à 6,98$ hier à la Bourse de Toronto, en baisse de 3,1%. Il s'échangeait à plus de 10$ au début de l'année.
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