À contre-courant

Chronique de Louis Lapointe

Bien avant d’être dans mon sous-sol à écrire des chroniques, avant de travailler au Barreau du Québec ou dans une université, j’étais un jeune avocat qui pratiquait le droit dans un petit cabinet de Rouyn-Noranda.
Alors que je venais tout juste d’annoncer aux associés du cabinet où je travaillais que je quittais le bureau pour aller travailler à l’Université du Québec qui se cherchait un conseiller juridique spécialisé en droit du travail, un prospecteur se présenta à mon bureau. Cela se passait à la fin de l’automne de 1983. J’avais commencé à informer mes clients de mon départ de la pratique privée. Cet homme travaillait pour une compagnie minière du nom de Utah Mines dont le siège social était situé aux États-Unis et pour qui il accomplissait des travaux d’exploration minière. Il souhaitait que je représente cette compagnie minière dans une procédure d’injonction du gouvernement du Québec qui visait à lui interdire de couper des arbres dans la réserve faunique d’Aiguebelle en Abitibi.
Je lui expliquai que je quittais la pratique privée et que je n’étais pas sûr de pouvoir accomplir toutes les procédures nécessaires pour satisfaire pleinement son mandant, Utah Mines. Il insista, c’était moi qu’il voulait. J’acceptai donc le mandat après m’être assuré qu’un confrère pourrait prendre adéquatement la relève du dossier si cela s’avérait nécessaire.
L’audition était fixée au jeudi alors que nous étions le lundi. Je passai donc une partie de la nuit du lundi au mardi à chercher une faille, n’importe laquelle, que je puisse exploiter dans l’intérêt de mon client, que je finis par trouver. Il s’agissait d’une disposition qui interdisait à quiconque, même les mines, de couper des arbres dans les parcs du Québec, mais je ne me souviens plus trop pour quelle raison, il n’y avait pas de dispositions opérantes ayant le même effet dans le cas des réserves fauniques. Je pouvais donc, sans problèmes, m’appuyer sur la loi des mines pour faire valoir le droit de mes clients de continuer à couper des arbres à l’entrée de la réserve d’Aiguebelle. Une loi dont les effets juridiques sont comparables à ceux de la loi de l’impôt.
Après quelques heures de sommeil, je rentrai de bonne heure au bureau afin de rédiger ma requête en exception déclinatoire que je fis signifier le jour même au gouvernement du Québec. Comme je l’espérais, le juge me donna raison le jeudi matin avant même que le procureur du gouvernement ait pu faire sa preuve.
Ce jugement créa aussitôt une onde de choc, aussi bien à Québec qu’à Rouyn-Noranda. Les médias locaux titraient qu’une mine allait bientôt saccager l’entrée de la réserve d’Aiguebelle. La pression était maintenant dans le camp gouvernement du Québec et sur le ministre Guy Chevrette. Dès la rentrée, en janvier 1984, mon confrère, Guy Bourassa, qui avait pris la relève dans le dossier, fût plongé dans une guerre à la fois juridique, politique, législative et médiatique.
Pour éviter la poursuite de travaux d’exploration minière dans la réserve d’Aiguebelle, Guy Chevrette ouvrit 4 fronts simultanément. Il entreprit à la fois des démarches d’expropriation, d’amendements législatifs et règlementaires, de consultations publiques en vue de créer un parc et une guerre médiatique avec le nouveau procureur de Utah Mines qu’il traita d’avocats en culottes courtes dans une entrevue à la télévision locale. Du pur Guy Chevrette, un homme que je n’ai jamais particulièrement aimé et qui a donné tout son sens au mot «pugnace» bien avant Claude Béchard et Nathalie Normandeau, qui sont des enfants de choeur à comparer lui.
Moins d’un an plus tard, le parc que le gouvernement du Québec tardait à créer depuis des années pour des raisons essentiellement économiques était devenu réalité, le trou dans la loi et la règlementation était colmaté, Utah Mines avait été exproprié et Guy Chevrette était devenu le héros qui avait sauvé le parc d’Aiguebelle.
Aujourd’hui encore, j’aime à croire que le rôle du « méchant avocat » que j’ai joué dans cette histoire a été déterminant dans la création du parc d’Aiguebelle. Jamais mes amis du parc, où j’ai continué d’aller marcher et faire du ski de fond, ne m’ont contredit sur cette contribution. Si je n’avais pas fait mon travail d’avocat ce jour de décembre 1983 où j’ai trouvé une faille dans la loi, la pression populaire n’aurait jamais été aussi forte à l’endroit du gouvernement du parti Québécois et jamais Guy Chevrette n’aurait pu invoquer l’urgence de la situation pour agir aussi rapidement.
À mon avis, si le gouvernement du Québec le voulait vraiment, il pourrait, comme l’avait fait Guy Chevrette dans le cas du parc d’Aiguebelle, utiliser la pression populaire pour revoir de a à z sa stratégie dans le développement des gaz de schiste. Toutefois, contrairement à Guy Chevrette qui avait su profiter de la crise pour prendre le parti de la population en 1984, Nathalie Normandeau et Jean Charest ont manifestement choisi le camp des compagnies gazières. Fidèles à eux-mêmes, ils ont préféré ramer à contre-courant.
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    20 septembre 2010

    Monsieur Lapointe,
    Il y a assez d'avocat qui défendent les bandits et réussissent à les innocenter justement en utilisant à leur avantage les failles dans les lois...
    Pas sûr qu'à l'époque vous étiez conscient de l'effet contraire et de l'impact positif qu'aurait votre trouvaille d'une faille dans la loi quand vous avez fait votre travail d'avocat en 2003. Je vous en donne le crédit tout de même. Et tant mieux si vous avez ainsi arnaqué votre client (consciemment ou non).
    De là à me réconcilier avec les avocats des clients capables de payer, peu importe la répréhensibilité de leurs gestes, il n'en est pas question.