Une génération de jeunes gens sans espoir économique

Angleterre : une longue série d'inégalités

Crise - Angleterre - 2011




Ce qui frappe, dans les photos des émeutes londoniennes, ce sont les visages sous les capuches: des jeunes, tous, mais sans distinction d'ethnie. Ce qui frappe aussi, c'est la forme de l'émeute: des pillages, vols de télés ou de chaussures, pas de slogans revendicatifs. Mais c'est oublier un peu vite qu'une paire de baskets de marque coûte 80 livres à Londres, là où la Job Allowance (revenu minimum d'insertion) s'élève à 51,85 livres par semaine pour les moins de 25 ans. Or, le taux de chômage chez les 16-24 ans est proche des 20 %.
C'est oublier aussi que beaucoup ne touchent pas même cette allocation: 30 % des 18-24 ans sont tout simplement inactifs, absents du marché du travail — seule la moitié d'entre eux le sont pour cause d'études.
Pourtant, la moyenne nationale est bien moins dramatique: 7,7 % de chômage «seulement» pour l'ensemble du Royaume-Uni. Quant au salaire hebdomadaire médian, il est de 499 livres, soit dix fois la Job Allowance. Premières inégalités d'une longue série.
Car la situation s'est violemment dégradée au Royaume-Uni depuis les années 90. La concentration des richesses est revenue au niveau des années 30: 1 % de la population trustait 12 % des revenus anglais en 1937, 4,7 % dans les années 70 — mais 10 % en 2000. Aujourd'hui, les 10 % les mieux payés de la population touchent 10 fois plus que les 10 % les plus pauvres.
Ce fossé originel, mais aussi les conséquences directes de la crise récente, touche les jeunes de plein fouet. «Les jeunes étaient déjà la catégorie la plus touchée par la récession en 2009», explique John Hill, économiste à la London School of Economics. Les deux dernières années n'ont rien arrangé: tandis que les chiffres nationaux s'améliorent, le chômage de longue durée a augmenté de 5 % chez les jeunes, l'inactivité, de 3 %.Le sociologue Richard Sennett, professeur à l'Université de New York, le confie: «La cause des émeutes de Londres, c'est l'indifférence du gouvernement. Toute une génération de jeunes gens n'a plus aucun espoir économique et se sent méprisée par le reste de la société.»
Car les ethnies ou les sexes n'influent que peu sur les inégalités: «Les différences de revenu au sein de chaque groupe sont infiniment plus importantes que celles entre les groupes», explique le rapport du National Equality Panel, publié en 2010. En revanche, l'écart entre zones géographiques riches et pauvres est immense: à Tottenham, il y a par exemple 10,5 % de chômeurs, 30 % d'inactifs.
Mais ce qui compte le plus, c'est la classe. «L'Angleterre est un pays où la conscience d'appartenir à une classe sociale est extrêmement forte, explique Sennett. Or, les événements récents et la politique du dernier gouvernement ne font qu'accroître le sentiment d'abandon des plus pauvres.»
Depuis le début des années 90, la paupérisation des classes inférieures est telle qu'une nouvelle classe sociale a même vu le jour, l'«underclass», constituée des familles qui ne travaillent pas depuis deux générations et vivent exclusivement des aides sociales. Dans cet univers où plus de la moitié des mères sont célibataires et où la violence est quotidienne, les réseaux sociaux classiques, porteurs des valeurs de morale et d'ordre, n'ont plus cours.
À contre-courant, «l'écart entre les ouvriers et les étudiants de fac s'est agrandi en dix ans», souligne Sennett. Faut-il voir, dans la brutalité des vitrines brisées ces dernières nuits, une tentative de traverser par la force ce fossé social? Une télé-écran plat, une paire de chaussures à la mode. Autant de symboles d'une égalité économique qui, au Royaume-Uni, tient de la chimère.


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