«Avec un sourire, la révolution!»: la revanche des urnes

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Documentaire québécois sur la lutte nationale des Catalans


Montréal avait sa gueule de bois des lendemains de tempête de neige. Dans ce contexte hivernal, la projection d’Avec un sourire, la révolution ! prenait des allures de fête politique. Car le cinéaste Alexandre Chartrand nous transporte dans toute cette agitation identitaire qui a fait de la Catalogne l’enfant terrible de l’Espagne. Ou le plus gros caillou dans son soulier…


Ce n’est pas la première fois que le cinéaste québécois — qui s’exprime parfaitement en catalan — braque sa caméra sur les soubresauts de ce coin d’Europe que plusieurs aiment comparer au Québec, partageant une même soif d’indépendance. Mais ce qui ne cesse de frapper Alexandre Chartrand depuis qu’il s’intéresse à ce combat, c’est la ferveur des Catalans, qu’il n’a pas hésité à comparer à celle, plus tiède, de ses compatriotes. Dans Le peuple interdit (2016), son documentaire précédent, le parallèle en avait froissé certains.


Cette seconde célébration d’une population déterminée à prendre en main son destin illustre la montée dramatique qui précède la tenue du référendum du 1er octobre 2017, une consultation décisive à laquelle tenait mordicus Carles Puigdemont, alors président de la Catalogne, et que le président de l’Espagne, à l’époque Mariano Rajoy, va contrecarrer par tous les moyens.


Pour les Catalans, pas question de se laisser intimider, une détermination qui suscite l’admiration de celui qui regrette encore un peu d’avoir voté « non » au référendum de 1995 (« J’avais 18 ans, j’ai changé, et aujourd’hui je fais des films qui vont dans l’autre sens, qui collent à mes aspirations. »). Ce courage devant l’adversité n’a rien d’étonnant pour Alexandre Chartrand, lui qui fréquente la Catalogne depuis plusieurs années. « Leur engagement citoyen est fascinant, constate le cinéaste. On dit qu’en présence de deux Catalans, nous sommes déjà face à quatre associations ! Cette participation tentaculaire est née sous la dictature du général Franco ; comme ils ne pouvaient faire de la politique, ils s’impliquaient dans des associations de quartier. Et pratiquaient aussi un militantisme plus underground… »


Tournage difficile


Sans qu’il en soit question de manière détaillée, cet héritage est bien visible dans Avec un sourire, la révolution ! et qui ne peut que susciter l’étonnement devant tant d’ingéniosité, et de discrétion, que l’on pourrait croire impossible à l’ère des réseaux sociaux. Comme dans un véritable jeu de cache-cache, les autorités espagnoles ont tout fait pour mettre la main sur les urnes, moyen le plus sûr d’empêcher la tenue du référendum. Introuvables… « J’aurais aimé faire un film là-dessus, se désole Alexandre Chartrand. Dans chaque comté, une personne, dont l’identité était tenue secrète, allait chercher des urnes en France, arrivées de Chine par le port de Marseille et installées dans un entrepôt près de Perpignan. Ils les cachaient ensuite chez eux jusqu’au moment du scrutin ! »


Cette ingéniosité ainsi déployée a cédé sa place à un courage exemplaire le jour du vote, alors que l’armée et la garde civile espagnoles n’ont pas ménagé leurs efforts pour freiner cet élan démocratique. Efforts musclés et brutaux dignes d’un coup d’État, ce qu’avait prédit le célèbre chanteur engagé Lluís Llach, dont la fougue inspirante n’a rien à envier à celle d’un Gilles Vigneault. Désireux de filmer le processus référendaire jusqu’à son aboutissement, Alexandre Chartrand et son équipe ont campé au milieu d’un groupe de citoyens dans une des nombreuses écoles de Barcelone destinées à servir de bureau de scrutin — et il ne fallait pas en sortir pour éviter que ces lieux leur échappent.


Perceptions


« Pendant un instant, j’ai été apeuré et paniqué », reconnaît le documentariste, qui souligne que ce fut le tournage le plus difficile de toute sa carrière, ses personnages se révélant méfiants, fuyants et imprévisibles parce que constamment traqués par les autorités espagnoles. « Mais je me suis vite raisonné, surtout en voyant tous ces Catalans solides sur leurs pieds. J’étais là pour filmer, et je n’allais pas perdre la tête à un moment aussi important. » Cette présence sur la ligne de front lui permettra de capter des images saisissantes de brutalité policière, autres moments embarrassants pour le gouvernement de Mariano Rajoy, lui qui parlait de « fureur démocratique » pour défendre l’intégrité du territoire espagnol.


Là où Alexandre Chartrand a davantage joué de prudence, c’est sur le plan des perceptions. Visiblement, la notion de documentaire semble soluble dans celle du reportage, c’est du moins notre impression devant sa « mise en garde » épinglée en introduction, précisant qu’il s’agit de son seul et unique point de vue sur les événements. « C’est à cause du Peuple interdit, tient-il à préciser. Dans plein de festivals et d’événements, je me suis fait reprocher d’être toujours du même bord, et pire, d’orienter le regard des spectateurs ! »


À la fois un signe du brouillage des genres, ainsi que celui d’une méconnaissance du public à les distinguer, le cinéaste réitère qu’il n’est pas « journaliste ». « Ce n’est pas ma voix que l’on entend, mais c’est moi qui choisis ce que l’on entend. » À savoir la soif de liberté de plus de deux millions d’indépendantistes catalans.


Avec un sourire, la révolution ! prendra l’affiche au Québec le vendredi 1er février.




Une version précédente de cet article affirmait à tort que Avec un sourire, la révolution ! était disponible sur Tout.tv. Nos excuses.







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