Québec -- L'ancien premier ministre péquiste Bernard Landry juge «lamentable dans l'ensemble» le Rapport Bouchard-Taylor. Mais le pire, à ses yeux, fut lorsque l'un de ses signataires, Gérard Bouchard, a déclaré que ceux qui le critiquaient se plaçaient en rupture avec l'héritage de René Lévesque.
«Me faire dire que, parce qu'on critique l'interculturalisme, on tourne le dos à la pensée de René Lévesque, ça m'a heurté profondément. René Lévesque était pour la "convergence culturelle" et non l'interculturalisme!», a soutenu Bernard Landry.
C'est le second ancien premier ministre péquiste, après Jacques Parizeau, à s'en prendre avec virulence au Rapport Bouchard-Taylor. Avant même que M. Parizeau n'intervienne dans Le Journal de Montréal, Gérard Bouchard avait publié une charge contre les membres de sa «famille politique», les souverainistes, lesquels avaient à ses yeux commenté le rapport en le déformant profondément.
M. Landry proteste: «J'ai été l'un des plus actifs, dès les débuts, avec Gérald Godin et Louise Harel», dans les efforts d'inclusion des nouveaux arrivants, en conformité avec «l'idéal de Lévesque». «Et moi, je le faisais en français, en anglais et en espagnol», précise M. Landry, qui soutient du reste avoir toujours été favorable au «Nous inclusif». Il se demande pourquoi, dans le rapport, on tourne le dos à une «notion aussi extraordinaire» que la «convergence culturelle» pour la remplacer par l'«interculturalisme», qui est «un flirt grossier avec le multiculturalisme», peste-t-il, citant des experts de la commission. Il déplore que le Canada soit le seul pays à avoir inclus le multiculturalisme dans sa constitution, une grave erreur qui conduit au communautarisme, c'est-à-dire à un éclatement dont «les immigrants sont les premières victimes». Cela a bien été démontré selon lui par le romancier Neil Bissoondath dans son essai Le Marché aux illusions (Boréal, 1995).
Lorsqu'il était au gouvernement, M. Landry dit avoir «pratiqué la convergence culturelle» et soutient que «les libéraux ont fait de même». Dans cette façon de voir le Québec, il y a, explique-t-il, «un tronc commun enraciné ici depuis plusieurs siècles, auquel s'ajoutent des gens venus accueillis par fraternité et qui consolident ce tronc commun». Il rappelle, un sourire dans la voix, que Gérard Bouchard a déjà parlé en 1999 de «brûler les souches dans le feu de la Saint-Jean». «Ce n'est pas ça qu'il faut faire, réplique-t-il. Mieux vaut que des essences exotiques joignent la forêt en s'acclimatant, comme la nature le veut.»
«Canadien français»: du «profilage ethnique»
Aux yeux de l'ancien chef péquiste, le rapport fait mouche quant à la lutte contre la discrimination, aspect pour lequel il n'a que des bons mots. Mais le rapport comprend plusieurs autres failles importantes sur lesquels il se penchera de façon plus approfondie dans un texte à paraître.
Il déplore par exemple l'expression de «Québécois d'ascendance canadienne française», suggérée par la commission pour rebaptiser ceux que l'on nomme les Québécois «de souche».
«C'est horrible que de vouloir ressortir de façon anachronique un des vocables les plus inappropriés qu'on puisse imaginer», tonne M. Landry en parlant du terme de Canadien français. Pourquoi donc? «Parce qu'il demande du profilage ethnique!» Selon lui, «Canadiens français» exclut du «Nous» nombre de personnes qui peuvent tout à fait y revendiquer une place. Comme Charles Taylor, «pourtant un descendant de Madeleine de Verchère», ainsi que tous les premiers ministres d'origine irlandaise que le Québec a eus, non seulement les Johnson, mais Jean Charest lui-même. «À me propre table familiale, il y a pas mal de gens qui se trouveraient exclus» advenant le retour à une telle notion.
Il estime aussi que le rapport commet une «erreur grossière» en cherchant à «culpabiliser» le groupe majoritaire historique. Or, dans son parcours, cette nation a été «l'une des plus accueillantes». Notamment à l'égard des juifs, souligne-t-il. Alors que ces derniers n'avaient pas le droit d'être élus ailleurs dans l'Empire britannique, un juif, Ezechiel Hart, est élu député de Trois-Rivières à la Chambre de l'assemblée du Bas-Canada. M. Landry évoque aussi les Irlandais, passés du gaélique au français et qui portent les patronymes d'O'Leary, O'Connel, O'Neill, etc.
Enfin, M. Landry estime que le rapport a «manqué de courage» car il n'a pas su demander que l'on interdise aux professeurs et enseignants de porter des signes religieux. Parlant des deux coprésidents qu'il «respecte par ailleurs beaucoup», M. Landry dit «qu'ils auraient dû respecter en cela le voeu des syndicats», surtout à un moment, ajoute-t-il, où l'on voit qu'en Turquie, on interdit le voile à l'université.
Ordre du Québec
M. Landry sera à l'Assemblée nationale jeudi avec les autres anciens premiers ministres québécois vivants (Pierre Marc Johnson, Daniel Johnson (fils), Jacques Parizeau et Lucien Bouchard, frère de Gérard Bouchard), lesquels seront élevés au rang de grand officier de l'Ordre national du Québec, la plus haute distinction remise par l'État québécois. René Lévesque et Robert Bourassa recevront la décoration de manière posthume.
En France, tout président obtient automatiquement la plus haute distinction, la grand-croix de la Légion d'honneur. En février, le premier ministre Jean Charest a assisté en France à la remise de la grand-croix au magnat Paul Desmarais. M. Landry note que René Lévesque n'a jamais reçu de tels honneurs puisqu'il a été fait «grand officier». «J'ai beaucoup d'estime pour M. Desmarais, mais il y a comme une disproportion», a noté M. Landry.
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