Ce serait hilarant si ce n'était pas si lamentable

Les fédéralistes eux-mêmes ne croient pas en cet invraisemblable déni du problème national qu'ils ont été les premiers à professer ! Ils n'ont d'intérêt pour les "vraies affaires", qu'à travers la soumission inconditionnelle au Canada.

Droite québécoise - Force Québec


Bientôt quinze ans se seront écoulés depuis le référendum de 1995. Ce soir-là, Parizeau avait dit : " ... on va en manger toute une ! ". Eh bien, cela fait quinze ans qu'on en mange toute une, au fil d'un pénible processus qui, incidemment, trouve une forme d'aboutissement dans la rumeur qui court ces jours-ci, sur la formation d'un mouvement politique par François Legault, Joseph Facal et d'autres. Mouvement ou parti qui, dit-on, voudrait transcender la question nationale... Ou faire comme si elle n'existait pas ? Sans remettre en cause la légitimité de ce projet, on peut toutefois constater que déjà, il arbore cette psychologie trouble qui caractérise notre classe politique sur cette question depuis un bon moment.

Remontons un instant à 1995. Que pouvaient faire ceux à qui l'on fait trop d'honneur en les qualifiant de " fédéralistes ", comme s'ils étaient porteurs d'une option en bonne et due forme plutôt que simples défenseurs d'un statu quo éminemment problématique, après leur courte victoire arrachée dans le déshonneur et la tricherie ? Déjà en état de faillite intellectuelle et politique depuis longtemps, ne pouvant donc rien mettre sur la table, ils se sont rabattus sur une stratégie qui consistait à installer leurs adversaires, et éventuellement le Québec en entier, dans la logique de l'impuissance. Il ne leur restait aucun contenu, que la parole et la propagande.

Cette volonté de neutralisation s'est notamment exprimée, on le sait, dans un programme de commandites ayant fait scandale, dont la gestion malodorante visait à tapisser le Québec de la marque de commerce Canada, mais aussi dans la répétition infatigable, et qui s'est avérée très efficace, du mantra suivant : Les Québécois ne veulent pas entendre parler de référendum, ou de " souveraineté ", ou les deux, enfin, on ne sait plus très bien mais ce n'est pas très important.

Comme ils avaient avaient déjà commencé à marteler cette idée avant même un référendum qui connut pourtant un taux de participation extravagant d'environ 95%, je ne sais pas s'ils y croyaient beaucoup eux-mêmes. Peu importe, les fédéralistes sont habitués de défendre des choses auxquelles ils ne croient pas. Pensaient-ils, toutefois, pouvoir faire bien des adeptes ?

La suite des choses montre que, après l'arrivée de Lucien Bouchard au parti Québécois, dont le gouvernement a résolument entrepris de faire de la gérance provinciale, s'avérant avec le temps un redoutable promoteur de l'idée que l'indépendance est une lubie coûteuse qu'il faut sans cesse remettre à plus tard, le mantra fédéraliste a porté, et très fort, particulièrement sur la classe politique souverainiste, désormais sans horizon indépendantiste tangible, et placée en constante position défensive par l'exercice du pouvoir.

En effet, force est de constater que le PQ s'est progressivement auto-normalisé, et redéfini selon les paramètres dictés par la logique de l'impuissance: Pas de volonté populaire, pas de référendum, pas de référendum, pas d'indépendance, indépendance égale référendum égale hypothèque électorale, et ainsi de suite. Aujourd'hui débarrassé d'éléments " dangereux " comme Parizeau et Landry, ce parti a remodelé sa proposition souverainiste en dehors de tout engagement indépendantiste, dans la conviction affirmée que c'était ce qu'il y avait de mieux à faire.
Ainsi est né le néo-souverainisme, une philosophie politique qui consiste essentiellement à faire de la gouvernance provinciale nationaliste, un peu comme l'ont fait plusieurs gouvernements unionistes, libéraux et péquistes depuis des générations. On évoque bien quelques trucs nouveaux, comme l'élaboration d'une constitution, chantier dont on imagine bien mal qu'il susciterait un vaste élan d'enthousiasme et de mobilisation dans la population. Quant à l'hypothétique et lointain référendum qu'on laisse entrevoir, on ne comprend pas très bien comment un gouvernement au pouvoir depuis quelques années disposerait des appuis nécessaires à une telle entreprise, entre deux réformes et trois controverses, sans, en plus, en avoir formellement obtenu le mandat au préalable.

Mais attention, une exception de taille est survenue au milieu de ce processus de rapetissement des horizons : De 2003 à 2005, Bernard Landry, qui parlait constamment de patrie et d'indépendance nationale, ce qui tranche comme une scie-à-chaîne par rapport au discours néo-souverainiste actuel, présida à l'élaboration de ce qui allait être, selon plusieurs, le programme le plus résolument indépendantiste de l'histoire du PQ. Or, à la même période et pendant un bon moment après l'adoption dudit programme et le départ de Landry, le PQ récoltait des scores ronflants dans les sondages, meilleurs qu'aujourd'hui, idem pour l'option indépendantiste, alors même que le gouvernement libéral était bien loin de la sa déroute actuelle. Était-ce il y a des siècles ? Non, cela fait à peine cinq ans.

Or, d'aucuns, incluant un chroniqueur réputé souverainiste du valeureux Devoir, qu'on ne peut quand même pas accuser d'être à la solde de Paul Desmarais, aiment aujourd'hui décrire l'adoption de ce programme, ni plus ni moins que comme une folie, une concession hasardeuse faite à une bande de purs-et-durs ahuris. Beaucoup de ceux qui tiennent ce discours largement accepté comme parole d'évangile, s'appuient sur, tenez-vous bien, la défaite péquiste de 2007 qui, selon eux, démontre sans l'ombre d'un doute que la population ne voulait, et ne voudrait toujours pas de référendum.

Rappelons, juste en passant comme ça, que cette défaite dite historique, fut en fait le résultat d'une élection où trois partis, dont le PQ, se partagèrent le vote de façon assez égale, en plein milieu du double mandat habituel de huit ans du gouvernement en place, cycle quasi naturel qui n'a pas été brisé au Québec depuis des décennies, et alors que les péquistes étaient dirigés par un jeune chef nouvellement élu, inexpérimenté et encore mal connu sauf pour avoir admis en pleine tourmente sa consommation de cocaïne lorsqu'il était ministre. Allo ? Et on veut nous faire croire que ce jour-là, les Québécois ont rejeté l'indépendance ?

Il est là, le réflexe acquis de l'impuissance, dans toute sa splendeur, chez beaucoup de ceux qui se disent souverainistes, et qui distillent la grisaille à tour de bras. L'indépendance n'est pas faisable, point barre, pas moyen de leur enlever ça de l'esprit. Un vrai cas d'hypnose collective.

Ils sont convaincus de leur affaire, même si leur foyer principal, le PQ, peine à retenir les factions disparates qui l'ont historiquement composé, parce que dépouillé du ciment indispensable d'un engagement indépendantiste concret.

Et c'est ainsi que nous arrivons aujourd'hui au comble de l'errance souverainiste : Des ex-péquistes qui essaient de fonder un mouvement politique, et qui, sur la foi de la leçon d'impuissance qu'ils ont bien apprise et récitent fidèlement, invitent des fédéralistes à se joindre à eux dans le but de s'occuper des " vraies affaires " dans l'intérêt supérieur du Québec, sans souiller cette noble démarche de l'infâme chose indépendantiste. Mais, surprise, on apprend sous la plume du lucide André Pratte que les amis fédéralistes approchés se font tirer l'oreille ! Ce serait hilarant si ce n'était pas si lamentable. Voilà donc la réponse à la question posée plus haut : Les fédéralistes eux-mêmes ne croient pas en cet invraisemblable déni du problème national qu'ils ont été les premiers à professer ! Ils n'ont d'intérêt pour les " vraies affaires ", qu'à travers la soumission inconditionnelle au Canada.

Il y a fort à parier qu'au mieux, les Legault et Facal attireraient surtout la mouvance héritière de Mulroney, plus ou moins vaguement souverainiste à l'occasion mais surtout conservatrice, et pouvant se nourrir, comme autrefois, dans les rangs nationalistes et péquistes, et peut-être maintenant, adéquistes.

Quoi qu'il advienne, la vaste majorité des plus fidèles supporteurs du régime canadian restera probablement au parti Libéral, quand bien même celui-ci serait accablé provisoirement par les révélations répétées sur sa culture de favoritisme et d'éthique élastique, ne serait-ce que parce que ce parti, qui les a historiquement toujours bien servis, dispose d'une base électorale absolument indéfectible qu'ils ne retrouveront jamais ailleurs, qui carbure encore et toujours à la peur de l'indépendance, même pendant que les souverainistes n'en finissent plus de se faire les chantres de leur propre renoncement. Pourquoi des libéraux iraient-ils risquer d'abîmer durablement leur aptitude à jouer le rôle de défenseurs du statu quo, dans une quelconque collaboration périlleuse avec des souverainistes ?

Dans un avenir prévisible, ils voudront plutôt voir au remplacement de Jean Charest en temps opportun, et faire preuve d'unité.


En clair, ce à quoi nous assistons, pour l'heure, n'est pas tant la naissance d'une coalition fédéraliste-souverainiste, que le chambranlement inévitable d'un souverainisme transi d'impuissance.




Nic Payne
Montréal


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    9 octobre 2010

    Je retiens cette phrase : « Comme ils avaient déjà commencé à marteler cette idée avant même un référendum qui connut pourtant un taux de participation extravagant d’environ 95%. »
    Devant les taux de participation endémiques aux différentes élections, ces dernières années, comment se fait-il que le Parti Québécois ne se lance pas dans une élection référendaire?
    Je ne vote pas depuis 15 ans. Coïncidence? De retour de Paris pour le 30 octobre 1995, « je me souviens » avoir voté pour la dernière fois. Je précise que je ne suis pas souverainiste au sens où l'entend la majorité (et pourtant j'ai voté oui). J'ai été témoin du « score » serré en finale! Puis, le lendemain, la grande léthargie politique (La « Grande Noirceur » du vingt-et-unième siècle) s'est installée au Québec. Au Québec, seul un projet rassembleur pour faire « sortir le vote », le monde de leur spa de banlieue, les montréalais de leur vie branchée mais vide, les arracher de leur télé ou de leur ordinateur, pour créer autre chose qu'une misère capitaliste.
    Voter pour des opportunistes, peu importe leur inféodation, non merci! Mais voter pour une idée, ça oui! Peu importe qui la dévoile.
    Les gens sont cyniques face à la « chose » politique? Voici la définition que donne le Littré du cynique : « Qui appartient à une philosophie affectant de braver les convenances. Diogène, philosophe cynique. Par extension, effronté. Homme cynique et bravant les convenances. Ses cyniques discours. »
    Les gens bravent les convenances en ne votant pas. Ils disent simplement, assez, c'est assez!
    Qu'on nous propose des idées! Mais il est vrai de dire que nos politiciens sont tellement pauvres intellectuellement qu'il ne leur viendrait sûrement pas à l'esprit de sonder leur pensée (en supposant qu'ils en ont une) pour proposer une idée.
    Les politiciens sont, aujourd'hui, des mercenaires, des professionnels payés pour défendre une idée (un puits de pétrole, une mine de diamants), peu importe laquelle! Pas étonnant que la majorité des politiciens soient des avocats! C'est leur métier, de défendre n'importe quoi!
    André Meloche
    Sainte-Sophie