C’est finalement à cause d’une carte de crédit appartenant à l’entreprise BCIA que Tony Tomassi est tombé, hier.
Photo : Clément Allard - Le Devoir
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Québec — Attaqué depuis des mois sur l'attribution des places en garderie, c'est finalement à cause d'une carte de crédit appartenant à l'entreprise BCIA que Tony Tomassi est tombé, hier.
Malgré l'amitié qu'il dit encore lui porter, Jean Charest l'a expulsé en fin de journée non seulement du cabinet des ministres, mais aussi du caucus libéral. Une chute sans précédent dans les dernières décennies pour un membre d'un gouvernement.
Lorsqu'il était député, M. Tomassi a «eu en sa possession et utilisé une carte de crédit émise par une compagnie pétrolière et appartenant à la compagnie BCIA», a expliqué le premier ministre, qui a qualifié ces faits de «troublants qui soulèvent des questions». «Comme premier ministre du Québec et chef du gouvernement, je ne peux accepter une telle situation», a déclaré le premier ministre solennellement.
Il a même pris soin de transmettre ces informations à la Sûreté du Québec «à qui nous avons demandé de faire la lumière sur ces faits». Réagissant quelques minutes plus tard, le leader parlementaire de l'opposition officielle Stéphane Bédard a déclaré: «Si M. Charest dit à la SQ de mettre son nez là-dedans, c'est que j'imagine [qu'il détient des] informations importantes qui font en sorte qu'il y a des actes criminels qui ont été posés.»
C'est un journaliste, en matinée hier, qui a posé une question au cabinet de Tony Tomassi sur l'utilisation de la carte de crédit, a raconté Jean Charest. Le bureau du premier ministre a été mis au courant après la période de questions, vers 11h15. M. Charest a ensuite interrogé son ministre, lequel a admis avoir utilisé la carte de crédit avant de devenir ministre en 2008. M. Charest n'a donné aucune précision quant à la période pendant laquelle M. Tomassi a fait usage de la carte à des fins personnelles. «Je pense que je n'avais aucun autre choix dans les circonstances», a déclaré le premier ministre. Vers 16h, la presse parlementaire a été convoquée en catastrophe pour 16h30 dans le hall de l'édifice Honoré-Mercier, où M. Charest a annoncé sa décision d'expulser M. Tomassi et de le remplacer à la Famille par la ministre Yolande James.
BCIA
Agence de sécurité privée, BCIA est dirigée par Luigi Coretti, important donateur du Parti libéral et ami de Tony Tomassi, «comme j'ai beaucoup d'autres amis au sein de la communauté italienne», a déclaré le député de Lafontaine en matinée hier, au sortir du caucus libéral.
BCIA a obtenu au cours des dernières années de nombreux contrats avec l'État. Un entre autres, de 1,6 million pour des «services de sécurité et de gardiennage de personnes incarcérées dans les prisons de Montréal», comme l'a révélé la leader parlementaire de l'ADQ, Sylvie Roy, hier. BCIA, qui a aussi reçu un financement de 4 millions par le truchement des Fonds d'intervention économique régionaux (FIER), s'est récemment placée sous la loi de la faillite. Un des administrateurs des quatre FIER qui ont investi chacun un million de dollars dans BCIA est Pietro Perrino, ancien président des jeunes libéraux qui a travaillé auprès de Jean Charest en 1998.
Hier en Chambre, le critique péquiste en matière de sécurité publique, Bertrand St-Arnaud, a aussi soutenu que BCIA et son patron Coretti ont entretenu des contacts étroits avec Everest Financial, une compagnie reconnue coupable de blanchiment d'argent en 2005. BCIA transporte les fonds des bureaux de change d'Everest Financial.
Dans son édition d'hier, La Presse avançait que M. Tomassi a été aidé par Luigi Coretti pour atteindre ses objectifs de financement. Coretti se serait servi de ses cadres pour verser des milliers de dollars au PLQ. Sept anciens employés de l'entreprise ont avoué au quotidien montréalais avoir reçu des billets pour participer à des activités du PLQ en 2007 et en 2008. Selon un témoignage, M. Tomassi aurait remis en personne des billets pour un événement de financement du PLQ à Anjou en 2008. Pour cet événement, un tournoi de golf, M. Coretti aurait acheté une dizaine de billets à 500 $. Or, depuis 1977, un électeur ne peut contribuer à un parti politique pour plus de 3000 $.
Lorsqu'on lui a demandé s'il avait apporté dans les bureaux de M. Coretti des billets pour une activité de financement, M. Tomassi a eu cette réponse: «À ma connaissance, je ne peux pas me rappeler. Je le rencontre à quelques occasions. Est-ce que lors d'une de ces occasions, je lui ai apporté des billets pour une activité de financement? Je ne me rappelle pas, mais ça se pourrait.»
Du reste, le Directeur général des élections (DGE) fera des vérifications dans les états financiers de l'association de comté de Lafontaine. C'est M. Tomassi qui l'a révélé hier matin, soulignant que son entourage allait collaborer avec le DGE. M. Tomassi est ainsi le quatrième ministre du gouvernement Charest qui verra le DGE descendre dans ses bureaux de comté. Il soutient toutefois que ce sont des vérifications de routine.
Ces faits, avant même le congédiement de M. Tomassi, avaient conduit Pauline Marois à dire que le gouvernement Charest a «tous les indices» d'un gouvernement corrompu. Selon elle, l'ensemble des allégations dévoilées jour après jour «font qu'apparaît actuellement ce qui nous semble même être un véritable système organisé pour recueillir des fonds par le Parti libéral». À ses yeux, une commission d'enquête «serait la meilleure voie à privilégier pour faire taire les rumeurs, si ce sont des rumeurs, pour contrer [les allégations], si ce sont des allégations».
Pas de lien
Quant à Jean Charest, il a refusé net de faire quelque lien que ce soit entre le congédiement de M. Tomassi et les nombreuses allégations de favoritisme dans l'attribution des places en garderie. Depuis le mois de décembre, le critique péquiste en matière de famille, Nicolas Girard, bombarde le ministre Tomassi d'allégations qui laissent croire que le ministre a aidé des contributeurs libéraux à obtenir des places.
Hier, M. Charest s'est toutefois déclaré «très à l'aise avec les réponses que le gouvernement a données sur ces allégations-là» et a soutenu que sous le couvert de l'immunité parlementaire, le Parti québécois et Mme Marois «ne se sont pas privés de dire à peu près n'importe quoi».
Cette réponse de Jean Charest a conduit le leader parlementaire de l'opposition officielle, Stéphane Bédard, à soutenir que M. Charest était «encore une fois en plein déni, en plein déni des raisons qui actuellement font en sorte que les institutions du Québec sont ébranlées». À ses yeux, il y a «apparence de corruption» de la part du gouvernement du Québec.
Le député de Québec solidaire, Amir Khadir, est allé un peu plus loin, affirmant que «le gouvernement libéral de M. Jean Charest est [...] corrompu par le pouvoir de l'argent». Il a ajouté que «si le gouvernement libéral est persuadé du contraire, M. Charest n'a aucun autre choix devant lui que de déclencher une enquête publique pour y voir plus clair sur toutes les allégations de malversation, de trafic d'influence, de financement illégal du Parti libéral du Québec». Le chef adéquiste a pour sa part formellement demandé la tenue d'une commission d'enquête exclusive sur le financement du Parti libéral du Québec.
Croisée dans les couloirs du parlement alors qu'elle sortait de l'étude des crédits du ministère de l'Éducation, Michelle Courchesne a commenté le renvoi de son collègue en ces termes: «C'est toujours très, très triste ces événements-là. C'est sûr que ça nous bouleverse, c'est sûr que nous affecte.» La ministre de la Justice, Kathleen Weil, s'est quant à elle réfugiée dans la formule «je n'ai pas de commentaire».
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