Comment militer sans s'épuiser ?

Tribune libre 2010



Version allongée d'une chronique du journal communautaire Point Sud, juin
2010
Comment faire l'amour à un nègre sans s'épuiser ? Comment militer sans
s'épuiser ? N'ayant pas l'expérience de Dany Laferrière, je lui laisse le
soin de répondre à la première question pour me concentrer sur la seconde.
On entend parfois des bénévoles ou des militants (souverainistes,
sociaux-démocrates, féministes, écologistes, altermondialistes, pacifistes,
etc.) nous dire : j'en fais trop, cela n'a pas d'allure, je suis épuisé.
Réfléchissons ensemble sur des moyens concrets pour éviter cela.
Comment respecter nos limites ? D'abord, il faut les établir, ces limites.
Je me souviens de chauffeurs bénévoles dans un centre de bénévolat. Ils
s'étaient engagés à conduire des personnes à l'hôpital, pour des
traitements, deux jours par semaine. On leur a demandé ensuite de le faire
trois, puis quatre jours par semaine. Ils n'ont pas osé dire non. Ils se
sont découragés et ont décroché complètement. Grosse perte pour
l'organisme. Il est important, pour les organismes communautaires, de
respecter les limites que les bénévoles ont fixées. Il faut mettre cela par
écrit, au besoin.
Un bénévole, un militant, doit bien connaître les motivations qui l'ont
amené à offrir ses services. Il doit connaître ses forces, et ce qui lui
fait plaisir. S'il accepte de faire des tâches qui ne sont pas dans ses
forces, il s'usera plus vite. Le bénévolat, le militantisme doivent se
faire dans le plaisir. Quand il y a de la complicité dans un groupe, c'est
plus facile de faire du bénévolat. Évidemment, on peut développer de
nouvelles forces, de nouvelles connaissances, dans un organisme, mais il y
a des zones où nous ne sommes pas à l'aise et qu'il faut respecter. Que
faire en cas de débordement ? Lancer un appel à toutes et à tous via le
bulletin de liaison de l'organisme, recruter de nouveaux bénévoles,
inlassablement.
Quand l'organisme pour lequel ont milite ne connaît pas lui-même ses
limites, il est difficile qu'il respecte celles de ses bénévoles. Nos
organismes doivent apprendre à dire non, lorsqu'ils sont sollicités pour
des tâches qui ne relèvent pas de leurs priorités. Nos organismes sont
hypersollicités (tables de concertation, consultations, présentation de
mémoires, etc.). Il faut savoir refuser. Danielle Fournier, de l'Université
de Montréal, Lise Gervais, de Relais Femmes et Christine Boulet du Centre
des femmes l'Héritage, de Louiseville. ont bien démontré, dans leur étude «
Le beau risque » (2003), que les groupes doivent choisir avec soin leurs
lieux de concertation s'ils ne veulent pas négliger leur mission de base.
Allons-y avec une comparaison. Des études en sociologie du travail ont
démontré la corrélation suivante entre la durée hebdomadaire du travail et
la satisfaction au travail. Grosso modo, les personnes les plus satisfaites
(le premier sous-groupe) sont celles qui travaillent disons autour de 5 %
de plus que les heures requises normalement (par hypothèse 37 heures, alors
que leur semaine de travail est de 35 heures). Tout se passe comme si leur
entourage leur envoyait ce message : tu travailles bien, on a besoin de toi
un peu plus. Le deuxième sous-groupe de niveau de satisfaction (un peu
moins satisfait) : les personnes qui font exactement les heures requises
(disons 35 heures). Le troisième sous-groupe, le plus insatisfait : les
bourreaux de travail (50 heures…). Ce sont des moyennes, bien sûr.
Par analogie (mais avec des heures moins nombreuses !), la leçon à tirer de
ceci pour les militants et les bénévoles : faire des petits extras, c'est
bien, c'est même valorisant ; ne jamais dire non, s'épuiser dans le
bénévolat, c'est malsain.
Ces quelques réflexions valent pour tous les âges de la vie mais sont
probablement particulièrement pertinentes pour les retraités : la société a
grand besoin de leur implication citoyenne, pratiquée dans la sérénité.
L'objectif de militer sans se fatiguer ? Militer longtemps et
efficacement. Car il peut sembler paradoxal, en ce qui concerne le
militantisme (mais non dans le cas du bénévolat), de vouloir conjuguer
engagement et sérénité, le militantisme se nourrissant habituellement
d'urgence, de crise, d'agitation, de passion et de fébrilité. Le problème,
c'est qu'il y a une crise ─ et même des crises ─ aujourd'hui et
qu'il y en aura encore d'autres demain : il faut se garder des énergies
pour être d'attaque face à ces nouvelles crises qui surgiront
immanquablement. Et c'est justement si on veut militer longtemps, avec
ténacité, et avec quelques succès, qu'il faut chercher, à tâtons et dans le
doute constant, à concilier la capacité d'agir dans l'immédiat et dans le
long terme.

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Jacques Fournier98 articles

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Organisateur communautaire dans le réseau de la santé et des services sociaux





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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    11 juin 2010

    Monsieur Fournier, l’option souverainiste a brûlé une génération de militants dévoués qui ne comptaient ni temps et argent. On a fini par écoeurer pas mal de monde qui aujourd’hui ne veulent plus rien savoir et pourquoi donc ?
    Parce que le parti qui la portait n’écoute plus personne depuis 1995. Qu’on a la certitude que tout est pipé d’avance que eux seuls savent ce qui est bon ou pertinent. Que nous étions devenus uniquement des ramasseux de fric et on avait le culot de nous dire que cela était de l’action politique.ON DEVAIT FERMER NOTRE GUEULE !
    On nous a fait le chantage de l’urgence et de l’éminence des élection, que ce n’était jamais le temps de débattre etc...
    On a fini par démotiver et démobiliser ! Moi monsieur Fournier ; on ne m’y prendra plus !
    Je recommence à militer pour une organisation citoyenne non-partisane dont les membres n’ont pas comme objectif le pouvoir. Cela a le mérite d’attirer moins de carriéristes et d’opportunistes. Bien sûr qu’il y aura certaines tensions ; nous sommes des êtres humains. Mais je dois vous avouer que j’ai retrouvé un certain plaisir en compagnie de gens qui ont atteint un degré de maturité et de sagesse parce qu’ils ont justement tiré des leçons de la militance péquiste.
    Nous partageons ensemble l’idée suivante : ’’Ni à gauche, ni au centre et ni à droite, L’INDÉPENDANCE D’ABORD !’’
    Denis Julien de Lotbinière

  • Serge Charbonneau Répondre

    9 juin 2010

    Merci pour ces conseils, Monsieur Fournier.
    Le militantisme c'est comme le bénévolat, une sorte de tordeur qui lorsqu'il nous attrape un doigt, nous fait passer tout le bras quand ce n'est pas le reste au grand complet.
    Et oui, souvent lorsqu'on est au dessus de ses limites, on finit par tout abandonner.
    Merci,
    Serge Charbonneau
    Québec