Comment ratatiner la présence internationale du Québec

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Décapiter le Québec à l’international

La compagnie britannique d’effets spéciaux Cinesite était à quelques jours de confirmer son implantation à Toronto. Près de sept millions d’investissement initial, création de 200 emplois. Une belle prise pour la ville-reine.
C’était sans compter avec le Délégué général du Québec à Londres, Stéphane Paquet. Nommé depuis quelques semaines à peine, Stéphane a contacté Cinesite, travaillé avec le ministère des Finances à Québec pour produire rapidement une offre concurrente, vanté les avantages de Montréal et… obtenu pour Montréal les 200 emplois.
Voilà l’homme dont le gouvernement Couillard ne veut plus à Londres. L’homme qui est pourtant en début de mandat et qu’il faut rapatrier, avec ses deux jeunes enfants, en pleine année scolaire, de toute urgence.
Pourquoi? Parce qu’ils ont trouvé quelqu’un avec un « meilleur CV ». Et cela tombe bien, il est libéral: Christos Sirros. Car, a-t-on expliqué, il faut s’occuper d’économie à Londres. J’admets sans peine que Christos, un homme charmant, a obtenu un bacc en commerce de McGill en 1970.
Stéphane Paquet, lui, ne peut afficher qu’un misérable diplôme de second cycle à la London School of economics et une carrière de journalisme économique qui l’a conduit au poste d’éditeur adjoint et rédacteur en chef du Groupe Les Affaires de Transcontinental Media. À ce titre, il a été responsable du journal Les Affaires, du magazine A+ et du site web LesAffaires.com, en plus de participer aux discussions stratégiques touchant l’ensemble du Groupe. On constate combien il était mal préparé pour le poste !
En plus, il est jeune. Seulement 42 ans. Christos, à 66 ans, est beaucoup mieux placé pour donner aux britanniques l’image de renouveau que le Québec veut projeter à l’étranger.
L’abandon américain
Depuis 40 ans, le gouvernement québécois tente de prendre pied dans la capitale de son principal partenaire économique et politique, là où sont prises chaque jour des décisions qui affectent notre vie: Washington.
Gouvernements libéraux et péquistes ont multiplié les approches: bureau occupé en itinérance par un diplomate venu de New York, bureau de tourisme, etc. Toujours, le Canada refusait de voir le drapeau québécois flotter quelque part à Washington.
Jusqu’à: Jean Charest. Oui, Jean Charest. C’est grâce à lui que le Québec a enfin obtenu un vrai bureau, politique, économique, de tourisme et scientifique (avec l’ex-astronaute Julie Payette comme déléguée scientifique). Huit personnes assurant le suivi des dossiers, faisant état de la spécificité québécoise en matière économique et environnementale.
Ministre des Relations internationales et du Commerce extérieur, j’y ai nommé comme chef de poste la québécoise détenant le plus grand réseau de contacts dans l’administration américaine de toute l’histoire de notre diplomatie: Isabelle Beaulieu.
Pourquoi ? Cette PhD en Sciences politiques et enseignante en relations internationales a été pendant trois ans Conseillère politique au Consulat général américain à Montréal. Elle a donc été de toutes les visites, connu tous les acteurs, au département d’État et ailleurs, qui travaillent sur des dossiers canadiens et québécois.
C’est pourquoi à Washington, elle a pu rapidement ouvrir des portes qu’on croyait infranchissables: le ministre québécois de l’Environnement, Yves-François Blanchet, a pu rencontrer deux fois la conseillère à l’environnement du président Obama et son secrétaire d’État à l’Énergie.
Infatigable, Isabelle avait même été nommée présidente du groupe des ambassadeurs francophones à Washington pour l’organisation de la semaine de la Francophonie.
Elle a été virée comme une malpropre, à 24 heures d’avis et à quelques jours de la réception de la Fête nationale qui, grâce à elle, allait afficher une affluence record. Les rendez-vous pris ont du être annulés. Elle n’a pas pu faire de transition, présenter ses précieux contacts à son remplaçant car… il n’y a pas de remplaçant !
Le gouvernement Couillard a décidé d’une traite de détruire le travail de tous les gouvernements avant lui, de détruire le travail de Jean Charest, de décapiter et de ratatiner la présence québécoise à Washington. Désormais, et pour la première fois, le Québec est moins bien représenté à Washington que l’Ontario et l’Alberta.
Au diable la parité ?
Nous ne l’avions pas fait exprès, mais en choisissant pour le réseau de délégations les gens les plus compétents (ce qui incluait de garder l’ex-député libérale Christiane Pelchat, excellente à Mexico), nous avions réussi à atteindre, pour la première fois, la parité hommes-femmes dans notre réseau. J’en étais très fier.
Cela ne semble pas être une préoccupation pour le gouvernement Couillard. Le renvoi inexplicable de Caroline Émond, Déléguée générale à Bruxelles, l’illustre bien.
En son cas, on a invoqué l’importance de la remplacer, toutes affaires cessantes, par quelqu’un qui s’y connaît en commerce. Car il y a, voyez-vous, cet accord Canada-Europe. Les enjeux agricoles, en particulier, sont cruciaux pour le Québec.
Caroline fut pendant cinq ans représentante des producteurs canadiens de lait, œuf et volaille auprès de… l’Organisation Mondiale du Commerce ! Avant cela, elle était directrice adjointe pour le Commerce internationale pour l’association des Producteurs laitiers. Ensuite, elle fut vice-présidente aux affaires gouvernementales pour une entreprise, disons, commerciale, dont vous avez peut-être entendu parler: Bombardier.
Par qui la remplace-t-on? Par un homme de grande valeur, certes. Mon ancien sous-ministre, Michel Audet. Je soupçonne d’ailleurs qu’on l’éloigne de Québec parce qu’il a trop bien travaillé avec moi. Michel a une formation en relations industrielles et en connaît un rayon en relations internationales. Mais en commerce, il n’arrive pas à la cheville de la personne qu’il remplace.
Heureusement, Michel profitera du travail de Caroline. Grâce à elle, et pour la première fois, le Québec a un contact direct avec le Service européen des affaires extérieures (équivalent de leur ministère des affaires étrangères). Merci Caroline.
J’aurais bien vu Michel Audet à Mexico, cependant.
Amis bavarois ? « We’re not that into you » !
De Munich, le délégué Michel Côté est rappelé pour de pures raisons budgétaires. Il avait réussi le tour de force d’inviter le Président de l’Allemagne, M. Joachim Gauck, au Québec. Michel Côté est dégommé deux mois avant cette visite — ce qui en complique la préparation — et on coupe la tête de notre bureau en Bavière en plein 25e anniversaire de la relation privilégiée Québec-Bavière. On vient de leur dire que, finalement, « we’re not that into you ». Vous, la région économique la plus forte, la plus innovante d’Europe, vous qui nous considérez votre « partenaire stratégique » en Amérique du Nord, eh bien vous ne nous intéressez pas tant que ça finalement !
Dans l’orgie de nominations partisanes, la seule que j’applaudirais est celle de Line Beauchamp à l’Unesco. (Comme ma collègue Agnès Maltais, j’aimerais être convaincu que l’UPAC a complètement écarté Mme Beauchamp de ses enquêtes. Je suppose que M. Couillard a détenu cette information avant de la nommer. Lorsque j’ai moi-même exprimé des réserves sur sa nomination au 375e de Montréal, ce n’était pas le cas.) D’abord, le poste était vacant. Ensuite, les responsabilités gouvernementales passées de Mme Beauchamp l’ont bien préparé pour ce poste. Je la félicite et lui souhaite bon succès.
Mais pour le reste, ma collègue Carole Poirier, résume bien la situation:
« Le Parti libéral met fin au mandat de gens compétents, qui ont fait leurs preuves et, surtout, qui n’étaient pas partisans. On les rappelle au Québec à grands frais pour nommer deux anciens ministres et un ex-député du Parti libéral. Combien coûtent ces décisions aux contribuables? Le gouvernement coupe dans les services à la population au nom de l’austérité, mais se permet de dépenser des milliers de dollars pour briser des contrats, rapatrier des gens plus tôt que prévu et envoyer des amis libéraux à l’étranger. C’est aberrant! »
Des fermetures à courte vue
Fermer le bureau de Moscou, alors que nos entreprises s’intéressent de plus en plus au marché émergent russe, cela signifie rapatrier à grand frais deux personnes. S’il fallait réduire les dépenses, j’aurais réduit de deux personnes une délégation générale ailleurs, ou au siège du ministère.
Fermer les antennes de Santiago et Taipei ? Encore là, deux personnes au total. J’ai pu constater combien notre représentante à Milan réussissait, toute seule, à ouvrir des portes à nos entreprises et nos institutions et à générer, en contrats et en contacts, plusieurs fois son salaire. Passer de 20 à 19 personnes dans un poste, ça se gère. Passer de 2 à zéro ou de 1 à zéro, c’est énorme. Cela dit aussi au pays hôte: vous ne nous intéressez pas.
La ministre actuelle affirme que le PQ n’a pas de leçon a lui donner en fermeture de poste car Lucien Bouchard, dans un geste théâtral, en a fermé plusieurs lors de son arrivée en 1996 et dans l’atteinte du déficit zéro. C’était une très très grave erreur à laquelle je me suis opposé avec toute mon énergie. Erreur que nous avons réparée en les rouvrant et en étendant le réseau dans les années qui ont suivi.
Jean Charest, ensuite, a ouvert Mumbaï, en Inde, et Sao Paulo, au Brésil, et Moscou et nous a donné un vrai bureau à Washington. Je souhaitais établir une présence en Afrique où j’ai ouvert deux bureaux d’Expansion Québec, pour les entreprises. Car je sais que chacun de ces postes rapporte bien davantage à l’économie québécoise que ce qu’il coûte.
On a calculé qu’en 2012-2013, chaque dollar investi dans le ministère rapportait trois dollars en ententes commerciales fermes, grâce à l’accompagnement serré que nous avons effectué. Et cela n’inclut pas les investissements comme ceux que l’on doit à Stéphane Paquet. On a calculé que les 600 salariés des Relations internationales et du Commerce extérieur généraient par leur travail l’équivalent de 2 500 emplois par an au Québec. Encore sans compter l’attraction d’investissement.
De Jean Lesage à Jean Charest, nos premiers ministres comprenaient tout ça. Pas Philippe Couillard. Pas étonnant qu’il traite les délégations comme un sénat libéral, pas étonnant qu’il veuille ratatiner tout le ministère en le réduisant au statut de secrétariat. Le gâchis ne fait que commencer.

Squared

Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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