Un mythe semble solidement ancré dans l'esprit de partisans de cette loi spéciale qui bâillonne le mouvement étudiant. Un mythe selon lequel les opposants à cette loi cautionnent la violence et l'intimidation contre des étudiants sages qui ne demandent qu'à rentrer en classe.
Selon ce raisonnement simpliste, il n'y aurait donc que deux postures possibles dans ce conflit: soit vous êtes pour la loi spéciale, soit vous êtes pour la violence et l'intimidation. Comme si on ne pouvait être à la fois contre l'une et l'autre. Comme si on ne pouvait raisonnablement être pour le retour en classe de tous les étudiants, quel que soit leur point de vue dans ce débat, dans les meilleures conditions qui soient.
Voilà des semaines que des voix s'élèvent pour dire qu'il n'appartient pas aux tribunaux et à la police de régler un conflit politique qui s'enlise. Voilà des semaines que, par entêtement ou simple calcul politique, le gouvernement Charest ignore ces voix de la raison. Quatorze semaines plus tard, il est pour le moins ironique de voir ce même gouvernement se poser aussi brutalement en grand défenseur de la loi et l'ordre pour désamorcer une crise qu'il a lui-même nourrie. Il est ironique de l'entendre parler de «liberté» alors qu'il adopte une loi aux relents duplessistes qui brime la liberté d'expression et d'association. Et il est pour le moins paradoxal de l'entendre en appeler à l'urgence d'une paix sociale alors qu'il signe ce que les leaders étudiants ont qualifié de «déclaration de guerre».
«Déclaration de guerre» aux étudiants. L'expression est sans doute outrancière. Mais on conviendra que le refus d'en arriver à une solution négociée, réclamée à l'unisson par des carrés rouges, verts et blancs, n'est pas tout à fait un calumet de la paix. Une loi qui restreint de façon importante le droit d'association et d'expression et qui donne des pouvoirs accrus aux policiers, non plus.
Avec cette loi spéciale, toute personne qui organise une manifestation de 50 personnes ou plus pourra difficilement le faire sans être inquiétée par la police. Il faudra en donner tous les détails par écrit au moins huit heures à l'avance, le lieu, le parcours, la durée... Les policiers pourront ordonner un changement de lieu s'ils estiment qu'il y a des «risques graves pour la sécurité publique». C'est tout juste si on ne demande pas aux manifestants de fournir la liste de leurs slogans avant de prendre la rue.
Des amendes très salées allant jusqu'à 125 000$ attendent les dissidents et les associations étudiantes qui pourront être tenues responsables d'actes de casseurs qu'elles ne cautionnent pas. On pourra leur couper les vivres, c'est-à-dire mettre fin aux cotisations étudiantes qui constituent leur oxygène. «Est-ce que je peux contrôler tous mes membres? La réponse honnête est non», a dit hier la présidente de la FEUQ, Martine Desjardins, visiblement indignée.
On pourrait se croire dans une mauvaise pièce de théâtre improvisée. Mais le gouvernement semble savoir parfaitement ce qu'il fait. Il sait très bien dans quel sens le vent souffle. Les résultats du sondage CROP, publiés dans nos pages aujourd'hui, nous disent que 60% des Québécois croient l'attitude du gouvernement justifiée. Soixante-cinq pour cent croient que celle des étudiants ne l'est pas. Les deux tiers s'y disent en faveur de cette loi spéciale.
«En politique, ce qui est cru devient plus important que ce qui est vrai», a dit Talleyrand. Qu'importe si le gouvernement a géré ce conflit de façon lamentable en le laissant pourrir. Qu'importe si cette loi matraque rentable sur le plan politique est foncièrement injuste. Ce n'est pas ce qui a été retenu. Ainsi accepte-t-on une dérive autoritaire au nom de la liberté. Triste ironie.
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