En ne signant pas la constitution canadienne de 1982, on pourrait croire que le Québec a, d’une certaine façon, fait un pas vers son indépendance. Le pas suivant n’aurait-il pas été de boycotter systématiquement les élections fédérales en proposant en lieu et place un cahier de revendications sur des points essentiels pour le Québec, la culture, incluant la langue, l’éducation et l’immigration…? Bref, une charge à fond de train contre le Canada et ses institutions sur ces points précis. Or, les dirigeants de la mouvance souverainiste ont fait exactement le contraire ; ils ont créé en 1991 un parti politique fédéral, le Bloc québécois, avec pour objectif la défense des intérêts québécois au sein du Canada, tout en préconisant une forme de sécession d’avec le Canada… Et quelle devait être la forme de cette sécession ? Une autonomie accrue ? La souveraineté culturelle ? La souveraineté-association ? La souveraineté-partenariat ? L’indépendance ? Un pays entre deux portions de Canada, un Canada de l’est, les Maritimes, et un Canada de l’ouest, à partir de l’Ontario …? L’objectif n’est pas clair. Il ne l’a jamais été. Alors, comment demander à un peuple sain d’esprit de passer son temps à décoder des messages politiques ambigus, contradictoires et inconséquents ? Les québécois devaient-ils voter éternellement pour le Bloc québécois ? L’électorat québécois est-il captif pour toujours de l’idéologie souverainiste ?
Une partie de la réponse est venue le 2 mai 2011, fulgurante. Cette réponse inattendue a fortement ébranlé la mouvance souverainiste enferrée depuis plus de 40 ans dans sa stratégie de négociation d’un nouveau partenariat, en opposition plus ou moins ouverte avec Ottawa, les Premières nations et les neuf autres provinces canadiennes. Une mission impossible ! Il est en effet impensable que le Québec, représentant 23 % de la population canadienne, définisse l’agenda et l’évolution du Canada, comme il est impensable que le Québec obtienne quoi que ce soit par négociation, sans circonscrire clairement, au préalable, ses intentions politiques réelles. La mécanique du cheval de Troie est connue depuis fort longtemps, surtout s’il s’avère que l’objectif ultime, avoué ou non avoué, est de faire progressivement de la Province de Québec un pays ! Il ne faudra pas trop compter non plus sur la docilité de l’électorat québécois pour s’agiter le temps d’une saison, afin de permettre à nos bourgeois gentilshommes de négocier à peu près n’importe quoi avec Ottawa. L’électorat, comme chacun a pu le constater, est on ne peu plus versatile et est plutôt saturé des discours politiques en porte-à-faux !
Notre peuple aura toujours raison sur les marchands d’illusion, car il s’agit bel et bien ici d’un rêve, d’un beau rêve certes, mais d’un rêve tout de même. Pourquoi ? D’une part, parce que l’investissement politique nécessaire et les risques socio-économiques associés à toute démarche sécessionniste véritable sont incalculables et que d’autre part, un tel investissement n’est peut-être plus requis. Dans la saga des dettes souveraines en Europe, on a bien vu le poids réel des souverainetés nationales, quand il s’agit d’honorer ses dettes. Les grecs, tout en se drapant de leur drapeau national, avaient le choix d’assumer seuls leurs dettes et souffrir durant au moins une décennie avant d’en voir la fin, ou accepter le soutien de la Communauté européenne pour les aider à s’en sortir élégamment et surtout, rapidement, sans trop de casse sociale. C’est un exemple qui illustre le réel défi qui interpelle aujourd’hui les peuples : le repli national ou l’entraide et la solidarité internationale. Tout porte à croire que demain, la fédération européenne, malgré des reculs toujours possibles, s’imposera d’elle-même et deviendra essentielle aux yeux des européens. Ici même au Québec, l’évolution politico-économique des trente dernières années milite en ce sens.
Si les décennies 60 et 70 au Québec se sont traduites de facto par des politiques économiques et sociales à forte teneur nationaliste, notamment par une intervention à la fois cohérente et musclée de l’État québécois dans toutes les sphères de la société civile et de l’économie, déjà les trois décennies suivantes ont fait une large place au secteur privé et à une ouverture non équivoque au commerce et à l’économie mondiale, d’abord ici sur le continent américain et bientôt, avec l’Europe. Pour mémoire, rappelons l’Accord de libre-échange canado-américain (ALE) ratifié le 2 janvier 1988, l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) de janvier 1994, l’Accord de libre-échange entre le Canada et le Chili (ALECC) de janvier 1996 et l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) du 4 février 1998. Ce dernier accord, très contesté à l’époque, avait été qualifié par certains de « nouveau manifeste du capitalisme mondial », comme quoi les indignés d’aujourd’hui n’ont rien inventé ! Le projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) n’a pas abouti intégralement pour les 34 pays concernés, mais une étape a été franchie en 2005 avec la mise en œuvre de l’Accord de libre-échange d’Amérique centrale (ALEAC), impliquant la République dominicaine, le Nicaragua, le Salvador, le Guatemala, le Honduras et le Costa Rica.
Tous ces accords internationaux, appuyés indifféremment par les libéraux ou les péquistes, supposent non pas un repli sur des frontières nationales, mais au contraire un partage volontaire de souveraineté en vue d’un gain économique plus grand. On peut comprendre pour les libéraux, un peu moins pour les péquistes. Si ces derniers se veulent encore les chefs de file de la mouvance souverainiste et de l’affirmation nationale, leur conversion au marché libre, concurrentiel et capitaliste, lequel implique moins d’intervention d’État et des limitations sévères aux programmes sociaux, risque de heurter fortement une bonne partie de l’électorat québécois d’allégeance social-démocrate, comme on peut le supposer en considérant les résultats des élections fédérales du 2 mai 2011.
L’apparente opposition entre discours nationaliste et mondialisation va persister tant que les peuples n’auront pas l’opportunité de définir eux-mêmes la société dans laquelle ils souhaitent vivre et les termes de la solidarité internationale à laquelle ils aspirent. Or, plus souvent qu’autrement, les discussions de fond, comme actuellement le futur accord de libre-échange avec l’Europe, se font à huis clos, ce qui ne fait qu’illustrer l’imposant déficit démocratique auquel nous sommes tous confrontés. À voir au Québec les difficultés récurrentes à définir un nouveau processus électoral, qui serait davantage représentatif, porte à croire que la démocratie n’est toujours qu’une belle utopie !
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Yvonnick Roy
Québec
Des perspectives à revoir
Notre peuple aura toujours raison sur les marchands d’illusion
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
13 décembre 2011Quand on devient adulte, on acquiert le droit de gérer ses avoirs, de prendre ses propres décisions et de de contracter oralement ou par écrit avec d'autres adultes.
C'est la différence entre la liberté et la tutelle.
Pour un peuple, pour une nation c'est la même chose. Gérer exclusivement les taxes et impôts, faire ses propres lois et signer des ententes internationales avec d'autres sujets de droits internationaux. C'est cela la souveraineté. C'est cela l'indépendance. Pas plus mais pas moins.
Une fois qu'on est souverain, on peut partager cette souveraineté par traité, comme l'ont fait les pays européens.
Le fédéralisme canadien, c'est tout sauf cela. Ce n'est pas une union d'États souverains. C'est une union de provinces ou de semi-États culs de jatte, où, sur le plan constitutionnel, la nation québécoise n'a pas plus de pouvoir que les habitants de l'Île-du-Prince-Édouard qui sont à peine 155,000 habitants sur leur île. Il faut être vraiment aveugle ou de mauvaise foi pour ne pas le voir.
Faire l'indépendance ne veut pas dire s'isoler ou se replier sur soi. A contraire, comme un adolescent qui devient adulte, c'est s'ouvrir sur la vie et sur les autres.
Foutez-nous la paix avec votre tutelle fédéralisante. Il n'y a que les esclaves, les idiots, les handicapés mentaux et les non adultes qui acceptent la tutelle. Un être normal et sain ne l'accepte pas. C'est la même chose pour un peuple.
Tu peux remballer ta rengaine
J'ai tout compris je pense
On est plus du même pays. Gilles Vigneault.
Je ne ne peux pas croire qu'il y ait des québécois en 2012 qui acceptent d'être des éternels adolescents. Cela dépasse l'entendement. Quelle tristesse.
Pierre Cloutier
Archives de Vigile Répondre
13 décembre 2011Monsieur Roy
Il n'y a aucun pays, de l'Union Européenne, qui malgré l'endettement de certains d'entre eux, renoncerait à son indépendance et à son identité nationale. À regarder ce qui se passe ici, au Québec. la situation politique est désespérante. Avec l'arrivée de la CAQ, favorisée par l'inertie du PQ à mettre un projet de pays sur la table, ce nouveau parti politique, s'il est élu à la prochaine élection, va finir la besogne sale entreprise par Charest et le PLQ depuis 2003. Le peuple se fait rouler dans la farine comme c'est pas possible par mon oncle Paul et les autres oligarchies qui se cachent derrière nos minables p'tits partis politiques fédéralistes, provincialistes et collabos en plus. Pas surprenant que Marois n'ose pas mettre de projet de pays sur la table; c'est une vendue à l'autocratie oligarque fédéraliste. Marois, c'est l'inertie totale (0 + 0 = 0)!!! La politique et la démocratie, au Québec, je n'y crois plus! Les oligarques contrôlent tout et tiennent le peuple dans l'ignorance, en plus, pour mieux l'exploiter. Seul un printemps québécois pourrrait changer la donne, rien de moins.
André Gignac 13/12/11